L'évolution des cadres de discours dans la coutume de Normandie

The evolution of indexical frames in Norman customary law

Mathieu Goux

Université de Caen Normandie (Caen, France)

mathieu.goux@unicaen.fr

https://orcid.org/0000-0003-4211-8309

Reçu le 23/11/2020, accepté le 23/3/2021, publié le 7/10/2022 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Pour citer cet article

Goux, Mathieu 2022. L'évolution des cadres de discours dans la coutume de Normandie. Studia linguistica romanica 2022.8, 116-130. https://doi.org/10.25364/19.2022.8.6.

Résumé

Avant l'établissement du code civil, les droits coutumiers fragmentaient la juridiction du Royaume de France et au sein même des régions, des droits locaux pouvaient nuancer, contrevenir ou dépasser les dispositions mises en place par la coutume générale. La délimitation des espaces géographiques dans lesquels la coutume trouve à s'appliquer est donc cruciale dans son interprétation. Nous étudions dans cet article la façon dont les cadres de discours déterminent, dans le corpus ConDÉ dédié à la coutume de Normandie, l'espace où elle trouve à s'appliquer. Nous complétons cette étude avec l'analyse de quelques cadres temporels, afin de déterminer leur évolution générale en diachronie longue.

Abstract

Before the Napoleonic Code was established, regionally specific customary laws had fragmented the jurisdiction of the Kingdom of France. Even within the regions themselves, local laws could nuance, contravene or exceed the provisions established by general custom. Interpreting customary law therefore crucially requires considering the geographical areas of its application. Studying data from the ConDÉ corpus dedicated to Norman customary law, this paper explores how indexical frames in these texts define the geographical area where the respective legal regulations are applicable. In addition, the longitudinal development of some temporal frames is examined.

Sommaire

1 Introduction
2 TAC, GC et glose de la coutume réformée
3 Dans la coutume réformée
4 Conclusion
Abréviations et références bibliographiques

1 Introduction

[1] Bien que le rattachement de la Normandie au Royaume de France date de 1204, et de la victoire de Philippe Auguste sur Jean sans Terre, les Normands depuis « n'avaient plus vécu que dans une préoccupation : conserver jalousement leur patrimoine à l'encontre des contaminations françaises » (Yver 1986 : 4). Cette conservation passa notamment par le droit coutumier normand, qui ne connut une rédaction officielle qu'en 1583, bien après les dispositions de l'ordonnance de Montils-lès-Tours de 1453. Il faut dire que le Très Ancien Coutumier (TAC, 12e siècle), puis le Grand Coutumier de Normandie (GC, fin 13e s./début 14e s.) avaient fait l'objet d'une rédaction très soignée et ont fait autorité pendant près de trois-cents ans (Yver 1986 : 3-5).

[2] À l'instar des autres droits coutumiers, plus encore peut-être dans le cadre de la coutume de Normandie, ce texte juridique n'est pas seulement une liste de dispositions légales organisant droits et devoirs des personnes, de leurs biens et de leurs relations privées, mais il détermine par essence tout un espace géographique dans lequel ces dispositions trouvent à s'appliquer, puisque la coutume est considérée comme une source de droit de temps immémorial, issue d'un « usage oral consacré par le temps » (Grinberg 2006 : 63-64) et appliquée, partant, dans un certain domaine. Cet espace trouva même à s'étendre lors de la réforme de 1583 puisqu'au terme d'un « référendum » (Yver 1986 : 12) la concernant, on intégra aux dispositions coutumières le territoire de Caux, étendant davantage encore son influence.

[3] En ce sens, la délimitation spatiale des frontières de la coutume normande, à l'échelle d'une région ou de certaines villes, est un enjeu au cœur des textes coutumiers, enjeu que nous proposons d'analyser dans cet article grâce aux ressources offertes par le projet RIN ConDÉ. Ce dernier offre effectivement la numérisation, la transcription et l'outillage pour le traitement automatique (lemmatisation et étiquetage morpho-syntaxique) de huit coutumiers normands, du TAC à Pesnelle (1771). La grande homogénéité du corpus nous permet d'éliminer des variations d'ordre géographique ou générique, et d'observer avec une précision inédite l'évolution de la langue française sur près de six siècles.

[4] Nous nous sommes intéressé dans cet article aux cadres indexicaux, ou cadres de discours dans le sens de Combettes (1998, 2005). Ce sont des constructions détachées, des groupes prépositionnels ou des subordonnées circonstancielles qui, notamment en position initiale, déterminent des espaces d'interprétation des prédicats subséquents. Les coutumiers de notre corpus invitent particulièrement à les étudier. Le principe même de ces textes oblige les auteurs et les commentateurs à préciser régulièrement des cadres géographiques dans lesquels s'applique telle ou telle disposition juridique, en opposant les droits coutumiers entre eux et, au sein de la coutume de Normandie, entre les dispositions générales, celles s'appliquant exclusivement et à partir de 1583 dans le territoire de Caux, et les dispositions locales. De plus, les textes de loi offrent également, à côté de ces délimitations spatiales, des étendues temporelles, des durées d'application d'une décision, sa fin ou son début, exprimées elles aussi par des cadres de discours. En effet, ces cadres sont des outils de cohérence textuelle, permettant à l'auteur, comme le résume Apothéloz (1995 : 11), de « fonder son texte sur un savoir partagé, en sorte que le destinataire dispose de tous les éléments lui permettant de reconstruire l'intention de signification qui était au départ du texte ». Leur prise en compte est ainsi déterminante à tout moment de la lecture d'un texte, d'autant plus dans le cadre d'un coutumier comme ceux de notre corpus.

[5] Cela nous a d'autant plus intéressé, que la gestion de l'espace et du temps par l'intermédiaire de ces cadres de discours a été surtout abordée en synchronie ou dans des corpus restreints (Charolles & Vigier 2005 ; Fuchs & Fournier 2003 ; Combettes 2005 ; Goux 2020). Il est cependant difficile de mener une étude systématique en diachronie longue tant il convient de comparer des textes suffisamment similaires pour évaluer la façon dont la portée de ces syntagmes évolue dans le temps, puisque l'on considère que l'interprétation textuelle de ces cadres, de texte en texte, n'évolue guère.

[6] À notre connaissance, il n'existe pas encore d'études en diachronie longue sur les cadres de discours. Si leurs mécanismes, notamment en termes de continuité thématique et d'accessibilité référentielle, sont relativement connus, et si les études portant tant sur la langue contemporaine (Charolles & Vigier 2005), que sur la langue classique (Fuchs & Fournier 2003 ; Goux 2020), permettent de mettre au jour les spécificités de ce type de construction, il reste à établir un parcours diachronique de ces phénomènes et de leur apparition en langue française. L'hypothèse que nous explorerons est que ces structures cadratives sont une innovation assez récente dans l'histoire du français ; elles seraient ainsi peu représentées dans les anciens états de langue, et tendent à se multiplier au fur et à mesure que l'empan de lecture, et particulièrement l'écriture dite périodique (Goux 2017), se développe. En effet, comme ces cadratifs déterminent des blocs d'interprétation délimités, ils dépendent de la capacité de mémorisation des lecteurs ; et comme il est considéré que celle-ci est allée augmentant au fur et à mesure de la période moderne (cf. Ayres-Bennett 2004 : 17-36 notamment ; Combettes 2020 : 74), on s'attendrait à ce que l'emploi de ces cadratifs se soit généralisé au fur et à mesure du temps1.

[7] En tant qu'outil de cohérence, il convient dans un premier temps de replacer les cadratifs au sein du système général de l'organisation textuelle des coutumiers. Capin & Larrivée (2017) ont pu notamment observer, dans des textes législatifs médiévaux, que l'expression ou la non-expression du sujet clitique avait partie liée avec la cohérence générale de l'énoncé, dans la mesure où la non-expression du sujet tend à maintenir un support thématique dans le texte, au regard de l'expression d'un sujet explicite qui marquerait pour le lecteur l'irruption d'un nouvel actant et, partant, d'un nouveau thème (Capin & Larrivée 2017 : 99-100). Dès lors, au fur et à mesure que la position sujet se saturerait à l'écrit et perdrait, ce faisant, cette interprétation thématique particulière, il serait attendu de voir apparaître de nouvelles stratégies de thématisation, ou la création de nouveaux supports de thématisation, ce qui aurait des conséquences sur l'emploi des cadratifs qui indexent sous leur interprétation les expressions référentielles subséquentes.

[8] Il reste cependant que, malgré l'homogénéité du corpus, il est impossible de faire une étude systématique de ces structures tant leur identité, catégorielle comme sémantique, est des plus multiples2. Nous avons donc choisi de nous focaliser sur deux types de cadratifs, fréquemment trouvés dans les textes :

1.

Pour les cadres spatiaux, nous avons choisi d'étudier les emplois de l'expression en Caux et ses variantes (dans le territoire/pays de Caux, etc.), qui détermine une zone géographique particulière quant à l'application de certaines dispositions de la coutume réformée3.

2.

Pour les cadres temporels, nous avons choisi d'observer l'évolution de l'expression dans/en l'an & jour, qui détermine un cadre temporel régulièrement trouvé dans les textes juridiques.

[9] Notre corpus se compose de l'intégralité du corpus ConDÉ, soit huit textes allant du TAC à Pesnelle (1771) et dont les références sont données en bibliographie. Nous avons opposé dans nos commentaires trois sous-corpus : le TAC et le GC d'une part, comme représentants de l'« ancienne langue française » ; d'autre part, la coutume réformée (1583) ; enfin, la glose des commentateurs de celle-ci (1583-1771), que nous mettrons notamment en lien avec l'histoire du livre et tout ce qui est du ressort de la médialité. En effet, la généralisation de l'emploi des titrailles à compter de l'invention de l'imprimerie a eu une influence notable sur l'interprétation thématique des énoncés (cf. Besa Camprubí 2002), ce qui s'est répercuté sur la gestion de ces structures cadratives. Nous avons aussi isolé le texte de la coutume réformée car celle-ci, rédigée en 1583 et n'ayant point été retouchée jusqu'à l'abandon définitif du droit coutumier au 19e siècle, se prête mal à une analyse en diachronie longue du fait de sa grande stabilité dans le temps. Nous l'avons cependant passé au crible, pour compléter notre panorama et avoir un point de repère entre ces deux vies de la coutume de Normandie.

[10] Nous nous sommes intéressés à deux paramètres en particulier : d'une part, à la position de ces syntagmes cadratifs au sein des structures phrastiques, en observant notamment si nous les trouvons, ou non, en position initiale comme c'est souvent le cas dans la langue contemporaine (Charolles & Vigier 2005) ; d'autre part, leur participation à la structure d'actance des prédicats qu'ils indexent. Les cadratifs en langue contemporaine étant effectivement des constructions détachées, ils sont indépendants de la notion traditionnelle de valence verbale : il nous a donc semblé intéressant d'observer s'il y avait un changement particulier en diachronie longue, et notamment si ces cadres de discours se sont progressivement émancipés de la sphère verbale.

[11] Dans un premier temps (§ 2), nous avons donc comparé l'emploi des cadratifs entre le TAC, le GC et les gloses de la coutume réformée ; dans un second temps (§ 3), nous nous sommes intéressé plus précisément au sous-corpus de la coutume réformée. Enfin, notre partie conclusive (§ 4) compare ces derniers résultats et répond à notre hypothèse de travail.

2 TAC, GC et glose de la coutume réformée

[12] Le corpus ConDÉ nous autorise à mener une étude en diachronie longue sur les cadres de discours du 13e siècle, du TAC jusqu'à Pesnelle (1771), avec un bémol cependant : la période allant du 14e siècle à la réformation coutumière, puisque le GC, composé vers 1300, a été recopié quasi-identiquement sur près de trois siècles, ce qui court-circuite toute analyse rigoureuse en diachronie. Nous précisons dès lors que la dynamique du changement observée peut être chronologiquement décalée au regard de la réalité des faits de langue, du moins sur cette période spécifique.

[13] Nous avons donc fait l'hypothèse que ces syntagmes remontent progressivement à l'initiale des structures phrastiques, en position cadrative et ce parallèlement au recul de la postposition du sujet. Les quelques études évoquant les cadratifs en diachronie longue, tels les travaux de Combettes (1998, 2005) sur le cas particulier des constructions détachées, observent effectivement un équilibrage entre le maintien ou le rappel du support thématique de l'énoncé, par excellence prise en charge par la fonction de sujet, et l'établissement d'un cadre de discours, l'un accompagnant l'autre dans le temps.

[14] Bien que les courbes d'évolution ne soient pas régulières, l'étude de notre corpus semble valider cette hypothèse. Par exemple, en prenant le cas de la précision spatiale en Caux (et ses variations), et en observant sa position pré- ou postverbale dans la glose, nous obtenons les résultats suivants (tableau 1 et figure 1). Rappelons que, du fait de l'histoire particulière du territoire normand, cette précision n'apparaît pas avant la période moderne : on ne la trouve qu'à partir du coutumier de Le Rouillé (1539).

Coutumier

Occurrences

Position préverbale

Position postverbale

Le Rouillé (1539)

1

1 (100%)

0

Terrien (1578)

42

14 (30%)

28 (70%)

Bérault (1614)

148

48 (33%)

100 (67%)

Basnage (1678)

315

119 (40%)

196 (60%)

Merville (1731)

197

21 (10%)

176 (90%)

Pesnelle (1771)

239

117 (49%)

122 (51%)

Tableau 1 : Emploi de la précision locative (en) Caux

Figure 1 : Emploi de la précision locative (en) Caux

[15] Nous voyons que l'emploi préverbal du cadratif spatial en Caux augmente notablement avec le temps, s'équilibrant chez Pesnelle (1771) autour d'une répartition quasi équipollente entre les emplois et avec l'exception notable de Merville (1731) qui, sur cette variable-ci, semble assez archaïsant : il n'emploie pour ainsi dire jamais la forme en tête de séquence phrastique, préférant la repousser, autant que faire se peut, en fin de structure, par excellence en fin de phrase graphique (1). Il s'agit cependant d'une exception dans ce qui est une dynamique régulière dans le temps.

(1)

[…] car en ce cas, elles prendroient leur mariage avenant sur toute la succession tant en Caux que hors Caux. (Merville 1731 : 307)4

[16] De même, l'étude de la localisation temporelle par l'expression an & jour révèle une progression notable dans l'emploi du cadratif qui « remonte » progressivement en tête de structure phrastique, bien que cette évolution soit moins régulière que précédemment (tableau 2 et figure 2). Nous voyons cette fois-ci que Merville (1731) est conforme aux prédictions empiriques sur cette donnée-là, ce qui laisse à croire qu'il développe d'autres stratégies d'indexation spatiale dans son corpus5.

Coutumier

Occurrences

Position préverbale

Position postverbale

TAC (≃ 1250)

3

1 (33%)

2 (67%)

GC (≃ 1300)

8

1 (12,5%)

7 (87,5%)

Le Rouillé (1539)

69

1 (1,4%)

68 (98,6%)

Terrien (1578)

50

8 (16%)

42 (84%)

Bérault (1614)

97

13 (13,4%)

84 (86,6%)

Basnage (1678)

178

42 (23,6%)

136 (76,4%)

Merville (1731)

123

34 (27,6%)

89 (72,4%)

Pesnelle (1771)

80

14 (21,2%)

66 (78,8%)

Tableau 2 : Emploi de la précision temporelle (dans l')an & jour

Figure 2 : Emploi de la précision temporelle (dans l')an & jour

[17] Cette remontée, lente et progressive, se matérialise par plusieurs étapes successives qu'illustrent les exemples suivants : la précision temporelle est tout d'abord trouvée en position postverbale (2a), où elle peut être analysée comme une sorte de complément intra-prédicatif à interprétation circonstancielle, ici temporelle. On assiste ensuite à un détachement de cette sphère verbale principale, en faisant de cette précision temporelle un complément cette fois-ci d'un participe présent (2b). À ce moment-là, et bien qu'en tant que telle, l'expression l'an & jour endosse le rôle de complément postverbal, l'ensemble de la proposition participiale s'interprète comme un cadre temporel du fait de sa grande mobilité syntaxique. Il s'agit d'une véritable construction détachée comme celles qu'analyse Goux (2020), qui va dès lors progressivement remonter en tête de séquence phrastique, et finalement abandonner son support prédicatif (2c), sa position initiale l'autorisant à s'affranchir de celle-ci. Elle termine ici son évolution, et s'aligne sur les cadres de discours modernes (Charolles & Vigier 2005).

(2a)

i entend parler seulement de ce retrait auquel elle donne l'an & iour, & non du tems donné par la conuention des parties […] (Bérault 1614 : 663)

(2b)

[…] car la Coûtume donnant l'an & jour pour exercer le retrait lignager, il suffit que l'on soit conçû durant ce temps […] (Basnage 1678 : II.343)

(2c)

Aprés l'an & jour de la datte du defaut donné, on ne peut plus en faire juger le profit ny en avoir les dépens. (Basnage 1678 : II.561)

[18] Nous trouvons la même évolution pour le cadratif spatial, qui s'autonomise progressivement de la valence verbale et passe d'argument d'un verbe tensé (3a) à celui d'un verbe participial (3b), avant de terminer son évolution comme groupe prépositionnel en position initiale (3c).

(3a)

Toutefois si c'estoit en Caux, où les heritages ne sont partables, & n'y a qu'vn heritier, ceste opinion pourroit auoir lieu. (Terrien 1578 : 200-201)

(3b)

Du depuis appelle aussi ledit Robert & prend lettres pour esre releué des sousſtiens qu'il auoit faits à Aumale & maintenir ladite ferme esre vn propre, auquel partant suyuant la Coust. de Caux artic. 300. les deux tiers luy appartiennent. (Bérault 1614 : 441)

(3c)

Dans la Coûtume de Caux cette liquidation est beaucoup plus embarrassée, quand le mariage des filles ne peut être entièrement payé sur les meubles (Basnage 1678 : I.504)

[19] Ces occurrences, et malgré l'irrégularité des chiffres que nous avons relevés, dessinent une pragmaticalisation de la structure, qui évoluerait d'un argument d'une prédication principale à celui d'une prédication seconde, et ce jusqu'à une autonomisation comme support cadratif, que l'on peut assimiler à une sorte de prédication réduite comme Combettes (2005) propose généralement de le faire. De plus, la suppression de tout support référentiel facilite cette évolution, comme cela a été observé dans les textes narratifs de l'époque classique (cf. Goux 2020)6, et permet ainsi à ces bornes d'être employées avec une grande plasticité dans les énoncés. La théorie selon laquelle ces cadres de discours seraient une innovation récente dans l'histoire de la langue française se vérifie donc globalement dans le corpus ConDÉ, et ce même si cette évolution est loin d'être régulière.

3 Dans la coutume réformée

[20] La coutume réformée consacre sa douzième section à la région de Caux, sous le titre De succession en propre au bailliage de Caux, & autres lieux tenans nature d'iceluy. Il s'agit d'une innovation de la réforme, le territoire de Caux ayant été intégrée assez tardivement au régime coutumier normand. Ce territoire, par son histoire particulière7, observe des législations distinctes du régime général ; cela invite dès lors tant les articles coutumiers que les commentateurs à rappeler, lorsque besoin est, que telle disposition ne s'applique que dans ce territoire particulier.

[21] De prime abord, nous observons que le chapitrage de la coutume opère d'ores et déjà un cadre d'interprétation : les articles étant numérotés continûment, il est facile de déterminer qu'ils traitent du territoire de Caux. Du point de vue éditorial de plus, les entêtes et l'indication du chapitre courant des imprimés orientent la lecture, en proposant un rappel constant de la section commentée. Partant, la mention de la précision spatiale en Caux, au sein de la partie dédiée spécifiquement à ce territoire, apparaît superfétatoire, ce que nos relevés tendent à montrer. Ainsi, sur les 25 articles que compte ce chapitre, 19 ne donnent pas explicitement la précision en Caux (4), contre 6 la donnant (5).

(4)

CCLXXXII.

Le donateur peut stipuler un droit d'accretion au profit des puisnez. Le donateur ou testateur pourra, si bon luy semble, ordonner que la portion d'un puisné mourant sans enfans accroitra aux autres puisnez, sans que l'aîné y prenne part. (Basnage 1678 : I.534)

(5)

CCLXXX.

La disposition dudit tiers faite ausdits puisnez ne les exclud de prendre part & portion aux biens situez tant en bourgage qu'autres lieux, étans hors la Coûtume de Caux, si le contraire n'est declare par ladite disposition. (Basnage 1678 : I.533)

[22] Nous rappelons que ces articles ont été rédigés lors de la réformation de la coutume normande, soit vers les années 1583 (Yver 1986), à une époque où l'imprimé et ses conventions typo-dispositionnelles s'imposaient au regard du manuscrit. Partant, il semble bien y avoir une continuité entre cette rédaction et le support matériel du texte. Comme cette rédaction est stable dans le temps cependant, nonobstant quelques changements superficiels d'ordre typo-orthographique, il nous est impossible de faire une analyse en diachronie longue de ce complément spatial dans la coutume réformée elle-même. Tout ce que l'on peut avoir, c'est un instantané de son emploi à l'époque de la première rédaction du texte. Nous en proposons néanmoins un panorama, qui nous permettra d'avoir un point de référence pour nos autres analyses. Le terme Caux apparaît ainsi à 20 reprises dans l'ensemble des articles de la coutume réformée, selon la répartition suivante :

Bailliage de Caux

4 occ.

Coutume de Caux

4 occ.

En Caux

9 occ.

Hors Caux

2 occ.

Tiers de Caux

1 occ.

Tableau 3 : Occurrences de Caux dans les articles de la coutume réformée

[23] Au regard de leur intégration syntaxique, on observera que toutes ces expressions, dans la coutume, sont en position postverbale. Elles peuvent ainsi occuper des fonctions de compléments locatifs après un verbe comme être (6a) ou, si elles ne font point partie de la structure d'actance du verbe, se trouvent en fin de proposition ou après le prédicat principal de l'article (6b). On ne saurait donc les considérer comme syntagmes cadratifs à proprement parler, et c'est donc soit grâce à une rétro-analyse du prédicat antécédent, soit grâce au chapitrage global de l'ouvrage comme nous le suspections précédemment, que s'effectue l'interprétation particularisante de ces articles. La remontée du cadre spatial que nous avons observé précédemment n'a cependant et vraisemblablement pas encore eu lieu à la fin du 16e siècle, ce qui est cohérent avec nos observations précédentes où la position préverbale de la précision locative n'est, au mieux, observée que dans 30% des cas (cf. tableau 1 et figure 1).

(6a)

ARTICLE CCXCIII.

SI en ladite succession y a héritage assis, partie en lieu où l'on use de la Coutume de Caux, & partie hors la disposition d'icelle, l'aîné prend tout ce qui est en Caux, & outre il partage avec ses freres les biens qui sont hors Caux, & a le choix par préciput, si bon lui semble, tout ainsi que s'il n'y avoit point de biens en Caux. (Merville 1731 : 303)

(6b)

ARTICLE CCXCVII.

LES filles seront mariées sur les meubles delaissées par les pere, mere & autres ascendans, s'ils le peuvent porter ; & où ils ne seroient suffisans, le mariage se payera à la proportion de toute la succession, tant en Caux, bourgeoisie, que hors Caux, pour la part qui échéra tant à l'aîné que puînez (Merville 1731 : 306)

[24] Pour les cadres temporels, et si nous reprenons comme précédemment l'expression an & jour, nous la trouvons à 35 reprises dans le corpus de la coutume réformée. Une fois encore, cette expression se retrouve elle aussi quasiment toujours en position postverbale, et comme complément extraprédicatif (7a). Ces résultats sont, de même, cohérents avec nos observations précédentes (tableau 2 et figure 2).

(7a)

ARTICLE CCCCLXII.

L'Héritage baillé à rente rachetable en tout ou partie, est sujet à Retrait dans l'an & jour, en remboursant le principal de la rente & arrérages à celui à qui elle est dûë […] (Merville 1731 : 454)

[25] Quatre occurrences sortent néanmoins de ce schéma8 et méritent commentaire. Deux d'entre elles emploient clairement l'expression comme syntagme cadratif tel qu'observé aujourd'hui9 (7b), ce qui tend à montrer que même lors de la rédaction de la coutume réformée, toute la gamme des structures étaient représentées à l'écrit. Il y aurait ensuite eu une progression de l'emploi préverbal au détriment de l'emploi postverbal, et la stabilisation de l'emploi cadratif en tant que tel à partir du 17e siècle. Enfin, les dernières occurrences font de l'expression an & jour le sujet syntaxique et le thème de l'article en question dans une perspective définitionnelle (7c), ce qui sort du cadre de notre étude.

(7b)

ARTICLE DC.

SI dans l'an & jour le Varech est reclamé par personne à qui il appartient, il lui doit être rendu, en payant les frais raisonnables faits pour la garde & conservation d'icelui, tels que Justice arbitrera. (Merville 1731 : 554)

(7c)

ARTICLE CCCCXLVIII.

L'An & jour de la Clameur de l'héritage decreté, commence à courir du jour de l'adjudication par decret & dernière renchere […] (Merville 1731 : 452)

[26] Si ce n'est ces exceptions cependant, nous avons une progression très proche de celui que suit l'expression en Caux. De plus, dans la mesure où il n'y a pas de chapitrage a priori de la coutume selon ce paramètre temporel, la précision an & jour trouvant à s'appliquer dans n'importe quelle partie de la coutume, nous ne pouvons qu'envisager une stratégie de réanalyse de la part des lecteurs. La position postverbale du complément temporelle oblige effectivement à revenir sur le prédicat antécédent pour l'actualiser, ce qui peut apparaître comme coûteux à la lecture. La remontée progressive du cadratif en position initiale aurait ainsi évité de proroger une précision essentielle, dans une mouvance, du reste, observée tout au long de la période classique et au-delà10.

4 Conclusion

[27] Nous avons observé une progression vers la position préverbale de ces cadres spatio-temporels, de façon cohérente avec le recul de l'enchaînement verbe-sujet dans les coutumiers (Capin & Larrivée 2017 ; Goux & Larrivée 2020) et l'évolution générale des constructions détachées d'interprétation cadrative (Combettes 2005). Nous avons établi que cette évolution ne devient notable que lors de la première moitié du 17e siècle, et ce bien que les structures préverbales se rencontrent à tout moment de l'évolution diachronique. Si cela reste antérieur au recul observé dans les textes littéraires (cf. Combettes 1998), il nous faudrait mettre ceci en relation avec le développement thématique des énoncés pour établir définitivement que ces textes juridiques sont le lieu d'une évolution précoce des changements linguistiques : en effet, la relation entre cadratifs et thématicité, notamment dans les zones initiales ou préverbales, est connue (Combettes 2005 : 31-32 ; Capin & Larrivée 2017).

[28] Malgré cette réserve, l'élection de la zone préverbale dans l'établissement d'un cadre de discours, en addition parfois d'une découpe chapitrée, guide assurément la lecture et instaure un « bloc d'interprétation » qui limite l'émergence d'ambiguïtés interprétatives. Cette observation nous offre une porte d'entrée vers le profil des lecteurs auxquels pouvaient s'adresser ces textes dans la mesure où, comme le note Adam (2018 : 44, 201-203), ce type d'indices, associés à des critères relevant de la typo-disposition et de la vilisibilité (au sens d'Anis 1983), permet de faciliter la compréhension auprès des lecteurs non spécialement versés dans ces textes de spécialité. Moins le texte est organisé et moins s'assure-t-il de construire ces cadres d'interprétation et d'assurer la continuité textuelle, plus il se prête à une lecture privée ; au contraire, plus il s'assure de guider sa progression, plus il s'oriente vers un grand nombre de lecteurs ou, du moins, des lecteurs qui ne connaîtraient pas a priori son contenu (Martin 1982 : 168-171).

[29] Le développement de ces stratégies de lecture, dans le domaine littéraire, a été concomitante avec l'extension de l'alphabétisation générale de la population. Dans le domaine du texte de spécialité, cette évolution a, de même, été observée, bien que plus tardivement (cf. Rossi-Gensane & Goux 2020, pour les recettes de cuisine). Cela semble aller dans le sens d'une démocratisation de l'accès à ces textes ou d'une publication à proprement parler, qui correspondrait à l'extension de la lecture de la coutume en-dehors des cercles consacrés des professions de loi, en accord avec les observations des historiens (voir Besnier 1935 ; Yver 1986 ; Rigaudière 2018 : 213-220, 748-752 par exemple)11. Évolutions linguistiques et évolutions socio-culturelles iraient donc de pair dans cette problématique, les unes éclairant les autres.

Abréviations et références bibliographiques

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1 Cette augmentation de l'empan de lecture, et de la capacité mémorielle des lecteurs, se serait développée parallèlement à la généralisation de la lecture silencieuse, amplifiée par la révolution de l'imprimerie (voir Martin 1982 : 168-171). Les sources et les informations manquent cependant, pour calculer précisément cette évolution : la simultanéité entre ces événements socio-culturels et les révolutions textuelles invitent cependant à y voir de la corrélation.

2 Pour un essai de panorama en langue contemporaine, voir Rossari, Ricci & Wandel (2018).

3 Avant la coutume réformée, nous n'avons pas relevé de structures cadratives spatiales susceptibles d'une étude comme la nôtre. Nous pouvons mettre cela en relation avec l'évolution globale du continuum textuel et notamment les remarques de Capin & Larrivée (2017) : les structures cadratives ne se trouveraient pas dans les textes antérieurs à 1583 puisque d'autres stratégies de thématisation seraient à l'œuvre. Nous pouvons aussi considérer qu'avant l'intégration du territoire de Caux en 1583, la délimitation du territoire normand allait d'elle-même pour les législateurs, ce qui rendait ce type de précision spatiale inutile.

4 Nous reprenons la pagination originale des témoins.

5 Nous notons notamment qu'au regard des autres textes du corpus, Merville (1731 : s.p., 1-3) prend soin dans ses premières pages, et avant le commentaire des articles de la coutume, d'en faire l'histoire et la géographie événementielle. Il y aurait donc peut-être ici un effet de genre, ce prologue agissant comme une sorte d'« archi-cadrage », sa position initiale indexant l'intégralité de l'ouvrage sous sa coupe. Cela est notable, car bien que les autres commentateurs fassent des détours historiques ou géographiques, ils le font généralement au long de leur texte et non au sein d'un dispositif para- ou péritextuel spécifique.

6 Combettes (2017) a observé que les contrôles référentiels, cataphoriques notamment, des constructions détachées employées comme cadratives n'apparaissaient que dans le courant du 19e siècle, soit après notre corpus.

7 Nous renvoyons à Boüard (1984 : 220-221 notamment) pour une histoire du territoire de Caux.

8 Articles CCLXIV, CCCCLVII, CCCCXLVIII & DC.

9 Articles CCLXIV & DC.

10 Nous renvoyons à Siouffi (2010 : 126-127) et à Goux (2019 : 109) sur ce point.

11 Et au niveau linguistique, cela est cohérent avec la gestion du discours rapporté dans la Coutume de Normandie, telle qu'analysée par Goux (2022).