DOI: https://doi.org/10.25364/19.2020.4.1

ISSN: 2663-9815

Studia linguistica romanica 2020.4

Avant-propos

Français parlés et français 'tout court'

Julie Rothenbühler°, Maguelone Sauzet°, Marie-José Béguelin°, Gilles Corminboeuf*

°Université de Neuchâtel, *Université de Fribourg

julie.rothenbuhler@unine.ch, maguelone.sauzet@unine.ch, marie-jose.beguelin@unine.ch, gilles.corminboeuf@unifr.ch

Reçu le 25/8/2020, accepté le 5/10/2020, publié le 5/11/2020 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

[…] pour dégager des systèmes de formes cohérentes dans la description, il est très souvent nécessaire de rassembler des usages de la langue qui paraissent se situer à des « niveaux » de norme hétérogènes. En établissant ce point de méthode, on pourrait justifier l'idée que l'étude du « français parlé », où figurent, en tout venant, tous les niveaux possibles, est en fait l'étude du « français tout court ». (Blanche-Benveniste 1983 : 27)

[1] La base de données Corpus oral de français de Suisse romande (OFROM) (Avanzi, Béguelin & Diémoz 2012-2019) a été mise en libre accès le 9 janvier 2013 sur le site internet de l'Université de Neuchâtel. Elle abrite, archivés méthodiquement, des témoignages échantillonnés du français parlé en Suisse romande, qui permettent d'en documenter les variétés et l'évolution. À ses débuts, OFROM était constitué d'une quinzaine d'heures d'enregistrements transcrits, équivalant à environ 300.000 mots. La base a été étoffée par étapes, au prix d'efforts soutenus. Suite à une mise à jour intervenue le 5 novembre 2018, son contenu a été porté à 64 heures d'enregistrements alignés texte / son, illustrant le parler de 341 locuteurs et locutrices romands pour un total d'un million de mots. Outre sa valeur patrimoniale intrinsèque, OFROM a très vite été reconnu, dans le monde entier, comme une ressource de référence pour l'étude du français parlé en Suisse romande.

[2] Le présent volume célèbre le franchissement de ce palier symbolique du premier million de mots, dont on peut souhaiter qu'il ne soit pas le dernier. Car en peu d'années, les banques de données du type d'OFROM sont devenues des ressources stratégiques, indispensables à l'avancement des recherches en linguistique (qu'il s'agisse de lexique, de prosodie, de morphosyntaxe, de variation dialectale, d'étude de l'interaction, etc.), ainsi qu'au traitement automatique du langage. Ces bases sont exploitées aussi, de plus en plus souvent, aux fins de l'enseignement, notamment de l'enseignement des langues secondes (Johnsen 2020). Autant de raisons qui plaident pour la pérennisation de tels outils, ce qui suppose de les adapter périodiquement aux mutations technologiques, mais aussi et surtout de poursuivre leur développement.

[3] Comment la base OFROM a-t-elle pris naissance ? Pour comprendre sa genèse, il faut se reporter aux premières années du 21e siècle, moment où les corpus largement disponibles pour la recherche sur le français parlé faisaient encore cruellement défaut.

[4] L'idée de créer une base de données orales pour la Suisse romande a germé dans le cadre plus large du projet Encyclopédie grammaticale du français (EGF), dont l'ambition était de rendre disponible, en libre accès sur internet, une synthèse critique des connaissances grammaticales accumulées sur le français1. Or, en première place parmi les options de l'EGF figuraient l'adéquation descriptive et la place faite aux données langagières authentiques : chaque fait linguistique traité dans l'EGF devait pouvoir, autant que possible, être étayé sur corpus oraux et écrits, avec une attention particulière portée aux variétés régionales. Voici en quels termes la question des corpus est évoquée dans un descriptif programmatique de l'EGF, daté du 16 novembre 2003 :

L'EGF vise également à étoffer les corpus disponibles pour le français, notamment les corpus oraux qui pour l'heure n'atteignent pas la masse critique (les corpus disponibles pour l'anglais sont de l'ordre de 10 millions de mots ; pour le français, on ne dispose encore, tout compris, que de 2 millions de mots environ, ce qui ne répond aux besoins ni de la recherche linguistique, ni de la recherche en traitement informatique de la langue). Un effort de collecte sera mené en Belgique francophone et en Suisse romande, afin de faire place aux différentes variétés de français. Sont prévus : un corpus d'oral, un corpus de presse, un corpus littéraire, un corpus de copies d'élèves. (Descriptif du projet EGF, version du 16.11.2003, p. 4, nos italiques)

[5] Marie-José Béguelin – alors professeure de linguistique française à l'Université de Neuchâtel – résolut de relever le défi et de collecter des données orales en Suisse romande en vue d'un large partage. Pour ce faire, elle put compter sur une équipe soudée et motivée de collaborateurs, où figurèrent – tour à tour ou simultanément – Mathieu Avanzi, Virginie Conti, Gilles Corminboeuf, Ayça Dursen, François Delafontaine, Laure Anne Johnsen et Pascal Montchaud. Les fonds propres de la chaire furent mis à profit pour acquérir des enregistreurs et des micros de bonne qualité. Mathieu Avanzi, avec autant d'énergie que de charisme, lança concrètement la collecte de données. Un protocole méticuleux fut mis en place, anticipant sur les problèmes techniques ou juridiques susceptibles de se poser en cours de route. Ensuite, à partir de l'année 2008, les étudiants de Bachelor de français furent invités, dans le cadre de séminaires sur la syntaxe de l'oral, à réaliser des entretiens avec des locuteurs issus des différents cantons de la Suisse romande, puis à transcrire une partie du matériau sonore récolté pour en étudier les aspects linguistiques pertinents. D'avance, il était convenu que les enregistrements réalisés seraient mis en ligne et rendus disponibles pour la recherche, ce qui valorisait notablement le travail des étudiants. L'équipe neuchâteloise de linguistique française se mobilisa pour compléter, vérifier et anonymiser les transcriptions des étudiants, et aussi pour assurer les étapes successives du développement de l'archive. Grâce à un subside octroyé, dans le cadre du projet Campus virtuel suisse, par Jean-François Perret, alors responsable du Service qualité de l'Université de Neuchâtel, il fut possible d'embaucher un développeur web, Pierre Ménétrey, qui conçut l'architecture de la base en collaboration avec Mathieu Avanzi, sur la base des vœux formulés par les membres de l'équipe. Dans le même temps, Alain Berrendonner, Frédéric Gachet et leurs étudiants de l'Université de Fribourg s'associaient à la tâche de collecte et de transcription, ce qui eut pour effet d'enrichir et de diversifier efficacement la base.

[6] Près d'une décennie après l'acte fondateur de l'EGF (cf. n. 1), il fut ainsi possible, au début de l'année 2013, d'ouvrir le site OFROM. D'emblée, il fut doté d'un moteur de recherche et d'un concordancier, ainsi que d'une fonction qui permet de télécharger aisément l'extrait sonore correspondant à un extrait de transcription sélectionné. Aujourd'hui encore, cette fonction particulièrement utile et ergonomique, qui fait que le téléchargement s'adapte automatiquement à la durée choisie, distingue OFROM des autres corpus oraux à disposition.

[7] Pour la petite équipe neuchâteloise qui, avec des moyens modestes et beaucoup d'abnégation, avait ainsi réussi à porter OFROM sur les fonts baptismaux, ce début d'année 2013 fut un moment de joie, mais aussi d'inquiétude : car Mathieu Avanzi et Marie-José Béguelin, pour des raisons différentes, étaient tous deux sur le point de quitter l'Université de Neuchâtel. Le premier appelé par d'autres fonctions, la seconde atteinte par l'âge de la retraite... Qu'allait-il advenir d'OFROM ? Le travail de collecte resterait-il sans suite, comme cela arrive trop souvent ?

[8] C'était sans compter sur Andres Kristol et Federica Diémoz, du Centre de dialectologie et d'étude du français régional de l'Université de Neuchâtel. Tous deux acceptèrent avec enthousiasme de reprendre le flambeau, ce qui impliquait non seulement d'héberger OFROM, mais aussi et surtout de le faire vivre. Au cours des années qui suivirent, Federica Diémoz sut se procurer les appuis facultaires et rectoraux nécessaires au développement de la base, appuyée sur le terrain par une équipe tout aussi engagée que la première, constituée de François Delafontaine, Maude Ehinger, Julie Rothenbühler et Maguelone Sauzet. Grâce à leur travail acharné, la base OFROM doubla, puis tripla de volume, alors que Pierre Ménétrey, toujours en lien avec Mathieu Avanzi, poursuivait le développement de l'interface de recherche.

[9] Du 8 au 9 mai 2014 se tint à Neuchâtel le colloque international Corpus de français parlé et français parlé des corpus, qui permit de faire connaître OFROM et de le confronter avec les corpus oraux développés en d'autres lieux de la Francophonie (CEFC, CFPB, CFPP2000, CFPQ, CIEL-F, CLAPI, ESLO, FRAN, IPFC, MPF, PFC, VALIBEL ; Avanzi, Béguelin & Diémoz 2016a, 2016b). À l'occasion de ce colloque fut aussi inauguré, avec le soutien de l'Institut des Sciences du langage et de la communication et du Rectorat de l'Université de Neuchâtel, l'Observatoire du français en Suisse romande, qui a pour mission de stimuler les recherches sur les variétés du français en Suisse romande, tout en gérant et développant la banque de données en ligne OFROM.

[10] De nombreux travaux, thèses ou articles scientifiques, ont exploité la base OFROM depuis sa création, si bien que le site s'est enrichi d'une rubrique bibliographique. Y figurent des études sur la variation, la syntaxe et la sémantique, les marqueurs d'indétermination, la phonologie, etc. Sans nul doute, ces études seront appelées à se multiplier au cours des prochaines années.

[11] Ce numéro thématique de Studia linguistica romanica illustre le type de recherches que permet une telle archive du français parlé. Elle réunit neuf études qui prennent OFROM pour base empirique, ou qui comparent les données issues d'OFROM avec d'autres corpus. Le point de vue adopté est « dialinguistique » (Gadet 2020 : § 3.3.5) : cela signifie que ces études ne se limitent pas au(x) français parlé(s), encore moins au français de Suisse (« en Suisse romande on parle et on écrit le français », Thibault & Knecht 2004 : 10), mais qu'elles proposent des descriptions du français 'tout court', dans sa diversité. Elles répondent en cela à une double exigence : celle, fondamentale, de connaissance du système de la langue et celle qui vise à documenter les exploitations discursives de ce système.

[12] Voici en quelques mots le contenu. En ouverture du numéro, Federica Diémoz, Julie Rothenbühler et Maguelone Sauzet s'interrogent sur la dimension diatopique de certaines unités lexico-syntaxiques, en combinant d'une part une étude des pratiques linguistiques des Suisses romands et d'autre part une étude de leurs représentations linguistiques. Cette double approche s'accompagne d'une réflexion méthodologique à propos des conditions dans lesquelles cette dimension de la variation peut être documentée au 21e siècle. La contribution de Claus Pusch porte sur l'accord variable des noms collectifs en français parlé, et compare les données issues de plusieurs études. L'auteur identifie les facteurs morpho-syntaxiques qui expliquent l'accord variable et montre l'intérêt qu'il y a à inclure l'accord pronominal et à ne pas limiter la description à l'accord verbal. François Delafontaine s'interroge sur la capacité de la particule quoi à apparaître à l'intérieur d'une unité syntaxique. Si cette particule constituait un indice fiable de fermeture d'une unité linguistique, cela ouvrirait des perspectives pour les tâches de segmentation automatique de l'oral – comme celles expérimentées dans le cadre du projet Segmentation of oral corpora (SegCor) à Orléans. Prenant l'exemple des extenseurs de liste, qu'elle nomme restituteurs d'ensemble par inférence, Emmanuelle Guerin propose d'une part une justification de ce choix terminologique – choix en lien direct avec son approche du phénomène –, et d'autre part une réflexion à la fois méthodologique et théorique sur la nature des données empiriques. L'auteure insiste sur le recours nécessaire à des métadonnées relatives au type de situation de communication et à la relation qu'entretiennent les interactants (i.e. à leur histoire communicationnelle commune). Laure Anne Johnsen et Mathieu Avanzi s'attellent également à l'étude des extenseurs de liste, mais leur approche est tout autre, dans la mesure où ils proposent une analyse outillée des contours réalisés sur les syllabes terminales des éléments d'une liste clôturée par un extenseur. S'il n'existe pas en propre dans les énumérations un contour dédié, les auteurs font néanmoins l'hypothèse de l'existence d'un procédé de stylisation. Anke Grutschus et Sandra Schwab, pour leur part, étudient les paramètres métriques (poids syllabique, par exemple) – rarement pris en compte dans la littérature – pouvant expliquer la réalisation d'un redoublement du sujet. Une hypothèse qu'explorent les auteures est que la présence ou l'absence du clitique pourrait s'expliquer par une tendance à l'équilibrage syllabique des groupes accentuels. Ruggero Druetta se penche sur les réalisations de la diathèse passive en français parlé. Confirmant la rareté de cette diathèse, il souligne l'exploitation originale de l'alternance actif-passif, par exemple pour remédier à des blocages syntaxiques. Une analyse des valeurs aspectuelles du passif ouvre sur une réflexion relative à la grammaticalisation de la construction. La contribution de Gudrun Ledegen et Philippe Martin porte sur l'interrogation indirecte in situ, attestée dans la majeure partie de la francophonie. Confrontant plusieurs corpus de français parlé, les auteurs proposent une analyse morphosyntaxique, diastratique et prosodique de cette construction du français tenue pour non standard. En clôture de ce numéro, Gilles Corminboeuf et Timon Jahn présentent les résultats d'une analyse de 1000 constructions hypothétiques en si. Établissant dans un premier temps une tripartition syntaxique, ils s'attellent dans un second temps à l'étude des constructions en si micro-syntaxiques – les plus communes – en proposant notamment une analyse sémantique du profil épistémique de la protase et de l'incidence des modes de linéarisation (si P, Q vs Q, si P) sur la stratification informationnelle.

[13] Le parcours proposé dans ce numéro va donc de l'étude lexico- et morphosyntaxique (diatopismes chez Diémoz, Rothenbühler & Sauzet, accord des noms collectifs chez Pusch), à l'étude de constructions grammaticales (redoublement du sujet chez Grutschus & Schwab, passif chez Druetta, interrogatives indirectes in situ chez Ledegen & Martin, hypothétiques en si chez Corminboeuf & Jahn), en passant par celle des marqueurs discursifs (particule quoi chez Delafontaine, extenseurs de listes chez Johnsen & Avanzi et chez Guerin). La dimension prosodique est également au centre de plusieurs contributions (Johnsen & Avanzi, Grutschus & Schwab, Ledegen & Martin, Corminboeuf & Jahn), que ce soit par la mise à disposition des extraits sonores des exemples cités, ou par l'exposition de résultats obtenus au moyen de logiciels d'analyse de la parole. Les extraits d'OFROM cités dans les articles sont, de surcroît, récupérables en tout temps sur le site du corpus.

Hommage à Federica Diémoz (1975-2019)

[14] Les résultats consignés dans ce volume ont pour origine des journées d'études qui ont eu lieu les 7 et 8 novembre 2018 à l'Université de Neuchâtel, autour du français parlé ; l'initiative en revient à Federica Diémoz, et le succès de ces journées lui doit beaucoup.

[15] Pour Federica Diémoz, le français a commencé par être une langue apprise. Née en 1975, elle a en effet grandi en Vallée d'Aoste. Dans cette région autonome de l'Italie, institutionnellement bilingue, le français est enseigné aux enfants avec une certaine rigueur normative, pour pouvoir résister à l'italien, devenu la principale langue véhiculaire de la région, tout en cohabitant avec le francoprovençal. À son arrivée en Suisse, en 1998, Federica Diémoz a découvert la diversité des français, à côté du 'bon français' enseigné à l'école. Passionnée par la variation linguistique et ses mécanismes, elle n'a dès lors eu de cesse d'expérimenter et d'investiguer le français dans toutes ses variétés avec une sensibilité développée depuis son enfance trilingue (italien, français et francoprovençal).

[16] C'est par la dialectologie que Federica Diémoz a débuté sa carrière académique. Elle s'est en particulier attachée à l'étude des dialectes francoprovençaux, dont l'un était sa langue maternelle : le parler valdôtain de Roisan. Ses travaux de recherche ont trouvé un premier aboutissement dans sa thèse de doctorat consacrée à la Morphologie et syntaxe des pronoms personnels sujets dans les parlers francoprovençaux de la Vallée d'Aoste, soutenue en 2004 et publiée en 2007. Tout récemment encore, Federica Diémoz a vu la finalisation de l'Atlas linguistique audiovisuel des dialectes francoprovençaux du Valais romand (ALAVAL), un projet qu'elle a co-réalisé avec Andres Kristol.

[17] C'est par la dialectologie également qu'elle a poursuivi sa carrière académique, passant de professeure assistante en 2009 à professeure extraordinaire en 2014, pour finalement être promue professeure ordinaire en 2017. Sans quitter son domaine de prédilection, elle a aussi enseigné la sociolinguistique, autre domaine qui lui tenait particulièrement à cœur. Les hautes responsabilités ne l'effrayaient pas : elle a dirigé d'une main de maître le Centre de dialectologie et d'étude du français régional pendant cinq ans, a repris la direction ad interim du Glossaire des patois de la Suisse romande, entre 2015 et 2017, et, enfin, a été vice-doyenne de la Faculté de Lettres et Sciences humaines de l'Université de Neuchâtel à partir de 2018. Elle a assumé, entre autres, la fonction de vice-présidente du Centre d'études francoprovençales René Willien de Saint-Nicolas, en Vallée d'Aoste, gardant par là-même de fortes attaches avec sa région d'origine. En février 2019, elle a pris la direction de la Commission des vocabulaires nationaux de l'Académie suisse des sciences humaines et sociales, autre témoignage de son engagement sans faille dans le monde scientifique suisse où, grâce à ses compétences et ses qualités humaines, elle a su faire sa place malgré les contraintes et les exigences supplémentaires qui se sont imposées à elle en tant que femme.

[18] Habitée par une très grande détermination, Federica Diémoz a entrepris de nombreux projets, avec une énergie positive et communicative. De l'étude de la langue des jeunes dans les départements de Savoie et de Haute-Savoie jusqu'aux corpus de messagerie instantanée avec le projet What's up, Switzerland?, en passant par l'étude de la langue de Neuchâtelois semi-lettrés ayant émigré en Amérique du Nord, elle a contribué au rayonnement du Centre de dialectologie et d'étude du français régional. Elle lui a donné une image de modernité, en l'inscrivant en permanence dans les intérêts scientifiques et publics actuels, traitant de thématiques éminemment en phase avec les problématiques sociétales de notre temps.

[19] L'intérêt qu'elle portait à la sociolinguistique, aux langues régionales et aux variétés orales des langues l'a conduite à s'investir avec enthousiasme dans le projet OFROM, dont elle a repris la responsabilité lors du départ en retraite de Marie-José Béguelin. Elle a contribué par cela à la valorisation du patrimoine sonore de Suisse romande, ainsi qu'au fort développement du corpus, permettant ainsi d'atteindre le million de mots en 2018. Particulièrement sensible aux dimensions diatopique et diastratique du français en Suisse romande, elle a lancé une série d'enquêtes sociolinguistiques afin de fournir de nouvelles données sur la perception qu'ont les Suisses romands de leur langue.

[20] Federica Diémoz était avant tout une linguiste de terrain, animée par un profond souci de comprendre l'Autre, de partager des connaissances et de sensibiliser le grand public aux dangers de la discrimination linguistique. C'est certainement une des raisons qui l'ont fait élire, en 2016, l'une des « 100 personnalités qui font la Suisse romande » (Pirolt 2016). L'un de ses derniers projets a été la collaboration à l'exposition consacrée aux Helvétismes – Spécialités linguistiques, avec Madeleine Betschart, directrice du Centre Dürrenmatt, inaugurée en avril 2019 et qui a rencontré un grand succès.

[21] Le 19 août 2019, malheureusement, la communauté scientifique a été frappée par la terrible nouvelle de son décès. Malgré tous nos espoirs, et malgré le courage et la détermination avec lesquels elle s'est battue, elle a été brutalement emportée, à l'âge de quarante-cinq ans, par une cruelle maladie. La disparition de Federica Diémoz continue de laisser des marques vives : sans sa présence, énergique et positive, le Centre de dialectologie a perdu une partie de son âme. Elle est regrettée de l'ensemble de ses collègues, de ses collaborateurs et collaboratrices, de ses étudiants et étudiantes. Pour lui rendre hommage, nous lui dédions ce numéro thématique de la revue Studia linguistica romanica.

[22] Au-delà de notre tristesse et de notre sidération, nous souhaitons continuer à faire grandir les projets initiés par Federica Diémoz et qui lui tenaient à cœur, en particulier le corpus OFROM. L'approche scientifique dénuée de jugement de Federica Diémoz était celle de la valorisation des pratiques linguistiques diversifiées et de la légitimation des variations régionales des langues. La Suisse romande était devenue son pays d'adoption. Aussi encourageait-elle les Romands et Romandes à se montrer fiers et fières des spécificités de leur français, ce qu'elle avait souligné lors d'une interview : « le parler local est une fierté, intimement lié à l'identité » (Jubin 2015).

Bibliographie

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1 Le projet EGF a été lancé par Claire Blanche-Benveniste, Marie-José Béguelin et Dominique Willems, réunies à Aix-en-Provence du 15 au 18 septembre 2003. Alain Berrendonner et José Deulofeu ont été immédiatement associés à l'entreprise, puis un peu plus tard Jeanne-Marie Debaisieux (responsable corpus). Denis Apothéloz, Christophe Benzitoun, Gilles Corminboeuf et Peter Lauwers ont rejoint plus récemment l'équipe éditoriale.