DOI : https://doi.org/10.25364/19.2021.5.3

ISSN : 2663-9815

Studia linguistica romanica 2021.5

Les Rectifications de l'orthographe dans les discours de l'Académie française

Un arrière-gout d'Ancien Régime

Tiago Joseph

Université catholique de Louvain-la-Neuve & Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

tiago.joseph@hotmail.com

Reçu le 26/6/2020, accepté le 6/10/2020, publié le 19/3/2021 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Résumé : Cet article analyse les déclarations officielles de l'Académie française et celles – davantage officieuses – de ses membres au sujet des Rectifications de l'orthographe de 1990. Après avoir brièvement exposé l'état de l'orthographe 'rectifiée' aujourd'hui, l'article interprète la rhétorique de l'Académie française à partir des trois outils suivants : une lecture contextuelle par le biais de la politique linguistique ; une analyse discursive des déclarations de l'institution (1986-2018) qui met en évidence leurs argument-types et paradoxes ; une inscription historique dans la tradition lexicographique de l'Académie. Il en ressort que la position de cette dernière peut se lire comme un combat pour le discours légitime sur la langue française et comme une tentative d'adaptation à la société contemporaine, rendue vaine par l'incompatibilité qui subsiste entre le projet orthographique à visée démocratique et l'Académie française actuelle, puriste, conservatrice et élitiste.

Abstract: This article analyzes the official statements of the Académie française and the – less official ones – of its members concerning the Rectifications de l'orthographe of 1990. After briefly outlining the state of the 'rectified' spellings today, the article examines the rhetoric of the Académie française in three steps. Firstly, the study is contextualized by discussing language policies as issued by institutional bodies such as the Académie française. Secondly, a discourse analysis of the institution's statements (1986-2018) is presented that highlights its typical arguments and paradoxes. Thirdly, the analysis is interpreted historically in the light of the Académie's lexicographical tradition. The analysis shows that the Académie's discourse is marked by a struggle for the legitimization of the French language and attempts to adapt to contemporary society. The analysis suggests, though, that there remains an ideological incompatibility between the democratically-oriented orthographic project and the purist, conservative and elitist Académie française.

Sommaire
1 Introduction
2 État des Rectifications de l'orthographe
3 La rhétorique des discours Académiques
3.1 Mise en contexte : une lutte pour le discours légitime
3.2 Discours Académiques : entre parades et paradoxes
3.2.1 Analyse des argument-types
3.2.1.1 Arguments techniques
3.2.1.2 Arguments discriminants
3.2.1.3 Arguments historicoculturels
3.2.1.4 Arguments affectifs
3.2.1.5 Arguments hétérogènes
3.2.2 Analyse des paradoxes ou dissonances discursifs
3.2.3 Interprétation des données : l'Idée Académique
4 Un bref panorama idéologique
5 Conclusion
Bibliographie

1 Introduction

[1] En 1989, le Premier ministre Michel Rocard confia au Conseil supérieur de la langue française la tâche de proposer des aménagements de l'orthographe. Un groupe d'expertes et d'experts1 fut assemblé et Maurice Druon, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, en accepta la présidence, donnant suite au désir de Michel Rocard de mettre sur pied un projet auquel l'autorité de ces institutions confèrerait une légitimité et une pertinence indispensables à toute politique linguistique. Les Rectifications de l'orthographe parurent le 6 décembre 1990, dans le Journal officiel de la République française, adressées à l'ensemble de la francophonie et validées par l'Académie française au moyen d'un vote unanime.

[2] Il fallut peu de temps pour que la presse française s'empare du sujet et témoigne son indignation. À sa suite, l'Académie déclara dans un communiqué du 17 janvier 1991 qu'elle s'opposait au principe d'une mise en application par voie officielle des Rectifications et que seul l'usage déciderait, au fil du temps, des graphies dignes d'être admises (AF 1991a). En cela, l'Académie française cheminait à l'encontre du principe même de la politique linguistique et des modalités de l'évolution de l'orthographe. En France, les Rectifications se firent donc discrètes jusqu'en 2015, où l'évocation de leur mise en application par certaines maisons d'édition scolaire réanima le débat. L'Académie réitéra son opposition de principe, durcissant son discours à l'égard des Rectifications.

[3] Un tel revirement laisse perplexe. Mais s'il est curieux, il est davantage significatif. Il est l'écho des objectifs de l'institution séculaire et de ses enjeux actuels, et soumet à la pensée l'interrogation suivante : l'Académie française a-t-elle pu simultanément prôner une orthographe complexe, élitiste, datant de l'Ancien Régime, et s'adapter à la société postrévolutionnaire et aux avancées démocratiques, technologiques et scientifiques permises par cette dernière ? C'est à cette question que le présent travail tente de répondre, à travers l'analyse du cas des Rectifications orthographiques de 1990 qui furent certes modestes, mais symboliques de notre société postrévolutionnaire.

[4] Dans la première section, l'état actuel des Rectifications est brièvement abordé. L'identification d'un de leurs principaux objectifs, pourtant implicite, permet de souligner la problématique à laquelle l'Académie française est confrontée depuis la parution des Rectifications, à savoir un décalage entre ses objectifs et les nécessités contemporaines. La seconde section, plus substantielle, se concentre sur trois points. Elle propose une relecture contextuelle du projet de 1990 et des intentions qui y ont guidé l'Académie. Ensuite, elle déploie une analyse des argument-types et de certains paradoxes relevés dans un ensemble de discours Académiques concernant les Rectifications. Enfin, elle détermine à partir des deux premiers points l'idéologie que défend actuellement l'Académie française. La troisième et dernière section compare cette idéologie aux idéologies Académiques antérieures, afin de lui donner sens dans un cadre contemporain.

2 État des Rectifications de l'orthographe

[5] Le projet des Rectifications de l'orthographe de 1990 avait pour but de remplacer des règles ou des anomalies graphiques peu cohérentes par de nouvelles règles ou de nouvelles graphies basées à la fois sur l'usage et la cohérence interne du français2. Le terme rectifications, repris à l'abbé Grégoire (Encrevé 2013 : 17), fut préféré à celui de réforme, ce dernier faisant l'objet de nombreuses controverses dans le domaine orthographique et le projet ayant pour ambition de n'apporter que de modestes « retouches et […] aménagements  » à l'orthographe (Journal officiel 1990 : 3).

[6] Trente ans après la parution du Journal officiel de la République française du 6 décembre 1990, où en sont les Rectifications de l'orthographe ? Les avis divergent. D'une part, certaines et certains y voient des avancées lentes mais progressives, une réussite assurée de moins en moins partielle (Landroit 2004 ; Contant et al. 2005 ; Béchennec & Sprenger-Charolles 2014). D'autre part, moins nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui les considèrent comme un échec (Dister & Moreau 2012 ; AF 2016b). Adoptant un point de vue intermédiaire, Azra (2006) déclare que les Rectifications progressent et régressent, ni irrécusable réussite, ni véritable échec. Il serait donc trop tôt pour conclure sur l'avenir du projet. Néanmoins, toutes et tous observent que la connaissance et l'application des Rectifications varient selon les pays, les secteurs d'activités – enseignement, administration, lexicographie, etc. – et les secteurs orthographiques – points rectifiés en 1990 (Biedermann-Pasques 2006 ; Groupe RO 2012b).

[7] Face à ce bilan contrasté, quelles voies suivre désormais ? Legros & Moreau (2012 : 31) proposent d'attendre que les Rectifications passent dans l'usage, quitte à les y aider. Il faudra ensuite tirer les conclusions utiles à tout projet de réforme ultérieur, car il sera bel et bien nécessaire. Comme le soulignent Billiez, Lucci & Millet (1990 : 216), « la maîtrise de la langue écrite est "l'un des plus importants axes de la différenciation sociale dans les sociétés modernes" ». Dans une société où l'écrit prend de plus en plus d'importance, omniprésent dans la publicité et les réseaux sociaux, où toutes et tous l'utilisent, n'est-il pas essentiel de faire évoluer le système orthographique et de le remettre à sa place d'outil formel au service de la langue (Legros & Moreau 2012  : 58) ?

[8] Pour ce faire, il est évident que les mentalités doivent évoluer, la langue faisant « l'objet d'un investissement psychologique et, plus particulièrement, idéologique » (Masson 2005 : 119). C'est précisément l'un des objectifs que poursuivait le projet des Rectifications (Buisseret et al. 2009 : 35), voulant par la même occasion lutter contre le purisme et permettre à l'orthographe de s'adapter aux besoins contemporains.

[9] Dans un tel contexte, où les sciences du langage acquièrent de plus en plus de place et de légitimité, notamment dans le monde politique au moment des Rectifications (Dubois 2014 : 5), quelles sont les positions de l'Académie française ? Parvient-elle, à son tour, à lutter contre le purisme et à s'adapter aux besoins contemporains ?

3 La rhétorique des discours Académiques

[10] En 1989, lorsqu'il confia au Conseil supérieur de la langue française le soin de réfléchir à des aménagements orthographiques, le Premier ministre Michel Rocard y impliqua l'Académie française en nommant comme président du groupe de travail Maurice Druon, Secrétaire perpétuel, qui accepta la tâche à la fois pour sa vision du rôle politique de l'Académie et pour la relation personnelle qu'il entretenait avec Michel Rocard (Encrevé 2013 : 16). Déjà sous son secrétariat, en 1991, l'Académie fit marche arrière à cause du tollé médiatique qui suivit la parution dans le Journal officiel des Rectifications de l'orthographe, recourant à sa traditionnelle politique de l'usage et refusant tout dirigisme linguistique venant de l'État. Depuis, l'Académie s'est érigée en immuable rempart face à toute tentative de mise en application des Rectifications.

[11] Comprendre l'influence des discours de l'Académie sur les mentalités nécessiterait de connaitre le prestige, l'autorité et la légitimité dont elle bénéficie dans les différentes sphères concernées par les Rectifications. Bien que Vicari (2012 : 155) souligne le refus d'une réforme venant d'en haut, en ce compris l'Académie, les données précises et actuelles manquent et l'influence, de par sa nature, est difficilement repérable.

[12] Cette section portera sur trois caractéristiques qui sont davantage constitutives de l'Académie française actuelle et analysables au travers de ses discours. Ils permettent ainsi d'établir la position (idéologique) qu'occupe l'Académie dans la société contemporaine. Dans un premier temps, nous tenterons de discerner les intentions qui ont poussé l'Académie à participer à ce projet, pour le disqualifier de manière récurrente par après. Dans un deuxième temps, les arguments et les paradoxes des discours de l'Académie et de ses membres seront analysés et interprétés. Dans un dernier temps, le point sera fait sur l'idéologie que véhicule actuellement l'Académie.

3.1 Mise en contexte : une lutte pour le discours légitime

[13] Au 19e siècle, les tendances conservatrices et antirévolutionnaires se fixent sur la question de l'orthographe, délaissée par les révolutionnaires qui ont d'autres priorités. Dès lors, l'orthographe devient une « butte témoin » de l'Ancien Régime (Barbarant, Cibois & Leconte 1989 : 88) et un « dogme stérilisant » des anciennes élites (Barbarant, Cibois & Leconte 1989 : 136) qui vont y voir un moyen de se maintenir en haut de l'échelle sociale, privilégiant une orthographe complexe et difficilement accessible (Barbarant, Cibois & Leconte 1989 : 136). Or, à l'époque, c'est justement l'Académie qui est responsable de ces questions de langue. Elle continue de promouvoir l'orthographe traditionnelle et monarchique dans la sixième édition de son Dictionnaire en 1835, encouragée par le retour de la royauté dès 1815 (Buisseret et al. 2009 : 50). Suite au développement simultané de l'enseignement et à l'importance qu'y acquiert alors l'écriture, c'est cette orthographe complexe et traditionnelle, instituée là aussi en véritable religion, qui va se transmettre jusqu'au 20e siècle, continuellement promue par l'Académie (Buisseret et al. 2009 : 51).

[14] Face aux difficultés qu'éprouvent les élèves et les apprenantes et apprenants, une série de réformes et de tolérances successives issues du monde politique voit le jour, mais toutes échouent plus ou moins à cause de l'attachement identitaire que les Françaises et les Français portent à leur langue (Buisseret et al. 2009 : 4) et du conservatisme des organes d'expertise, consultés par l'État, dont l'Académie constitue le noyau dur et dont les linguistes sont exclus jusque dans les années 1970 (Dubois 2014  : 4). Dans ces années-là, cependant, un changement s'opère et l'Académie voit son rôle linguistique décliner peu à peu. Ayant proposé des modifications orthographiques n'autorisant qu'une seule orthographe en 1975, elle se vexe de ne pas être consultée lors de l'arrêté Haby de 1976, qui prône quant à lui le principe de tolérance orthographique3 (Caput 1986 : 50). Dix ans plus tard, en 1986, elle intègre ses propres modifications dans le premier fascicule de sa neuvième édition, pour les rejeter un an plus tard dans le second fascicule (Farid 2012 : 1). Selon Caput (1986), c'est cette frustration héritée de l'affaire Haby qui a provoqué le rejet de ces modifications et le maintien d'une orthographe traditionnelle dès le second fascicule de cette neuvième édition, dans la lignée de ce que fait l'Académie depuis la Révolution.

[15] Néanmoins, en 1989, le Premier ministre Michel Rocard convie l'Académie à participer à un projet de rectification orthographique avec l'aide du Conseil supérieur de la langue française. Ce projet répond à de multiples objectifs. Dix spécialistes, dont Nina Catach et Bernard Cerquiglini, publient en 1989 un article dans Le Monde. Pour elles et eux, une réforme de l'orthographe relève de la prise en considération de trois défis contemporains : un défi technique, constitué par le développement de l'écrit ; un défi pédagogique, face aux difficultés des élèves ; un défi politique, celui de l'émancipation sociale (Catach et al. 1989). Philippe Cibois considère toute modification de l'orthographe comme la reconnaissance du droit de l'Humaine et de l'Humain à intervenir sur ses institutions sociales (Barbarant, Cibois & Leconte 1989 : 89). Jean-Marie Klinkenberg souligne également l'intérêt psychologique des Rectifications, qui permettent de combattre l'ancienne idée d'un usage royal, inaltérable dans sa pureté, et par là le sentiment d'insécurité linguistique (Buisseret et al. 2009 : 100).

[16] Dans ce contexte de 'lutte pour le discours légitime' sur les questions de langue, l'Académie, dont le rôle a toujours été d'« [opérer] un lien entre le monde des lettres et celui de la politique » (Dubois 2014  : 6), accepte de prendre part aux Rectifications. Son Secrétaire perpétuel Maurice Druon préside effectivement les réunions du groupe d'expertes et d'experts et les propositions sont présentées à la Commission du dictionnaire4, puis à l'Académie elle-même (Journal officiel 1990). Peu de temps après la parution des Rectifications, un tollé secoue la presse française (Buisseret et al. 2009 : 17) et, le 17 janvier 1991 (les Rectifications ont paru le 6 décembre 1990), l'Académie publie une note insistant sur trois points : le principe de tolérance ou de digraphie (possibilité de graphier un mot de deux manières) est essentiel ; aucune directive, notamment ministérielle, ne doit être émise à l'intention de quiconque et, enfin, l'usage servira de législateur au bout d'une période d'observation (d'une durée indéterminée) (AF 1991a). Autant de prescriptions qui rendent le projet vain ou presque, au vu du contexte déjà tumultueux. En 2016, suite à la publication des programmes de l'enseignement officiel (Ministère 2015) et à la décision de certaines maisons d'édition scolaire de les respecter en appliquant la nouvelle orthographe, un nouveau tollé secoue la presse et les réseaux sociaux français. L'Académie française, dont la Secrétaire perpétuelle – (la formulation) n'en déplaise à certaine – est alors Hélène Carrère d'Encausse, se dédouane à nouveau et plus ou moins explicitement de toute collaboration ou de toute adhésion à ce projet (cf. § 3.2.2).

[17] Que signifient ces nombreux retournements ? Quelles intentions si diverses motivent l'Académie, pour qu'elle s'implique et s'engage si sérieusement et en si peu de temps dans des directions opposées ? Trois facteurs entrent en jeu. Le premier est la tradition lexicographique du Dictionnaire de l'Académie. En effet, les processus de simplification et de rationalisation orthographiques font partie de son héritage. Dès sa première édition, une opposition entre la tendance étymologisante et la tendance phonétique se marque, et chaque édition comptera son lot de modernisations orthographiques (Caput 1986). Il n'est dès lors pas inconcevable au sein de l'Académie de considérer la possibilité de modifier la graphie des mots, ce qu'elle proposa d'ailleurs en 1975. Ce facteur historique est un facteur de possibilité, qui permet à l'Académie de se poser la question de la direction à suivre.

[18] Le second facteur est sa volonté de conserver une légitimité linguistique et politique, un pouvoir symbolique fort qui constitue sa raison d'être. Si l'Académie s'accroche autant à l'espace discursif qui lui est consacré dans la sphère publique et à l'autorité qu'il lui confère, c'est que cette dernière a été successivement mise à mal par le développement des dictionnaires commerciaux et, selon Dubois (2014 : 4), par le déclin de son rôle dans les questions littéraires dès l'après-guerre  : par conséquent, cet espace constitue sa dernière source de prestige et, pour le dire plus crument, d'utilité. L'Académie avait donc tout intérêt à s'impliquer autant que possible dans les politiques linguistiques des années 1990, soumises au militantisme antipuriste du gouvernement et des linguistes d'alors (Dubois 2014 : 6), afin de « bloquer les glissades vers une orthographe plus ou moins phonétique qui, elle, dénaturerait totalement [la] langue » (AF 1991b). S'il est certain que la relation personnelle qui relie Michel Rocard à Maurice Druon a favorisé un investissement sérieux de l'Académie (Encrevé 2013 : 16), elle n'explique pas seule l'implication de l'Académie dans le projet. D'autant plus que cet investissement n'est pas idéologiquement neutre (cf. § 3.2.2) : il ne peut par conséquent pas se lire comme un soutien inconditionnel au projet, qui serait droitement inscrit dans sa visée.

[19] Le troisième facteur est la tendance conservatrice et puriste abritée par l'Académie depuis la Révolution, en matière orthographique, renforcée par l'attachement identitaire des Académiciennes et Académiciens à leur langue. Ce dernier est particulièrement exacerbé, étant donné qu'il s'agit de personnalités 'littéraires' ou, du moins, mondaines, partageant probablement les mêmes valeurs que les Académiciennes et Académiciens qui les ont cooptées (partage duquel découle en partie la continuité idéologique en matière d'orthographe). Ce système de valeurs semble être la cause du désaveu de l'Académie quant au projet de 1990, d'autant plus qu'il s'oppose assez clairement aux objectifs sociaux et psychologiques des Rectifications.

[20] En résumé, lorsque Michel Rocard propose à l'Académie de contribuer aux Rectifications de l'orthographe en 1989, ses membres y voient une opportunité de faire entendre le point de vue de l'institution et de réaffirmer sa condition d'existence, soit l'opération de liaison entre le monde de la langue et le monde politique. Quant à la nature du projet, l'héritage du Dictionnaire leur permet de l'approuver et de s'y impliquer. Cependant, la tendance conservatrice reprend rapidement le dessus, malgré la pression attendue de Maurice Druon (Encrevé 2013 : 19), et l'Académie profite de l'occasion offerte par l'indignation de masse, fortement médiatisée, pour se désolidariser du projet au lendemain de sa parution et sauver la crédibilité de l'Académie, plus importante que jamais dans un monde où la linguistique comme discipline scientifique est de plus en plus acceptée et met à mal le bien-fondé de l'institution. Ainsi, l'inconstance de l'Académie vis-à-vis des aménagements orthographiques proposés au cours du 20e siècle peut s'analyser comme le signe d'une crise existentielle d'une institution d'Ancien Régime face à une société moderne et démocratique où les savoirs se partagent et où l'usage n'est plus l'apanage de quelques-uns, et comme une tentative d'adaptation à cette société, comme une réponse à cette crise. L'Académie française y est-elle arrivée ? S'est-elle adaptée ? A-t-elle su se défaire de cette idéologie monarchique, c'est-à-dire élitiste, et non linguistiquement fondée ? Pour y répondre, l'analyse de ses discours portant sur les Rectifications de l'orthographe servira d'angle d'approche dans la deuxième partie de cette section.

3.2 Discours Académiques : entre parades et paradoxes

[21] Depuis 1990, l'Académie a tenu de nombreux discours à propos des Rectifications de l'orthographe. Ces discours, soutenus officiellement par l'institution ou individuellement – et officieusement – depuis le point de vue d'une Académicienne ou d'un Académicien, véhiculent un ensemble de valeurs, d'idées et dessinent la ligne de pensée qui guide l'Académie. Par conséquent, ils sont porteurs de nombreux argument-types, selon les typologies de plusieurs chercheuses et chercheurs (qui seront exploitées ci-dessous), mais également de paradoxes plus ou moins fondamentaux. Cette seconde partie, prenant comme point de départ la Présentation du Rapport de Maurice Druon parue dans le Journal officiel le 6 décembre 1990, s'attèlera tout d'abord à recenser ces argument-types. Elle repèrera ensuite dans ces déclarations les paradoxes ou, lorsque ce n'en est pas, ce qui s'apparente à des dissonances discursives. Les données analysées permettront de synthétiser au point suivant les traits idéologiques latents en donnant sens aux argument-types et aux paradoxes identifiés.

3.2.1 Analyse des argument-types

[22] Nombreuses sont les typologies d'arguments favorables et défavorables à une retouche de l'orthographe dressées par les scientifiques. L'analyse des argument-types des discours de l'Académie s'est faite à partir de quatre typologies d'arguments défavorables datant d'années différentes et prenant pour sujets des publics variés. La première est la typologie de Jean-Pol Caput. Elle date de 1986, soit quatre ans avant les Rectifications, et s'attarde sur des arguments d'Académiciennes et d'Académiciens (Caput 1986 : 74). La seconde typologie est de Philippe Cibois. Il classe les arguments employés par des personnalités françaises dans la presse de 1989 (Barbarant, Cibois & Leconte 1989 : 111-118). La troisième, de Liselotte Biedermann-Pasques, date de 2006 et analyse les arguments d'étudiantes et d'étudiants de différents pays de la francophonie (Biedermann-Pasques 2006). La dernière est de Georges Legros et Marie-Louise Moreau qui, en 2012, ont repéré sept constantes argumentatives dans de nombreuses enquêtes francophones (Legros & Moreau 2012 : 43-54).

[23] Pour plus de concision, le présent travail a réorganisé les argument-types repérés dans les discours Académiques en cinq ensembles. Ils sont certes perméables et améliorables, mais ils ont l'avantage de permettre une analyse fluide et concrète. De plus, la liste des arguments mobilisés n'est exhaustive ni dans les exemples utilisés (pour plus de clarté), ni dans les types d'arguments repérés (par souci de prégnance). Les cinq catégories, qui seront développées au fur et à mesure de l'analyse, sont les suivantes : les arguments techniques, les arguments discriminants, les arguments historicoculturels, les arguments affectifs et les arguments hétérogènes, qui appartiennent à au moins deux des autres catégories. Les différents types d'arguments de ces cinq catégories sont à chaque fois illustrés à l'aide de quelques exemples représentatifs. Les discours analysés sont consultables à partir des références de la bibliographie primaire.

[24] Ces discours peuvent se répartir en deux groupes : le groupe des discours de la période 1986-1992, soit les discours temporellement proches des Rectifications, dans lesquels les argument-types sont généralement implicites mais témoignent d'une continuité idéologique entre l'avant et l'après 6 décembre 1990 ; le groupe des discours de la période 2016-2018, dans lesquels les argument-types sont généralement explicites et assumés. Cette différence de ton s'explique en partie par les tollés médiatiques et par la résurgence de la tendance conservatrice au sein de l'Académie, désormais libérée du souci de conserver une certaine crédibilité (les mémoires étant moins vives en 2016 qu'au lendemain de la parution du Journal officiel).

3.2.1.1 Arguments techniques

[25] Les arguments techniques sont les arguments qui font appel au fonctionnement du système orthographique et de ses réformes, de près ou de loin. Ils comprennent les arguments qui lient les perturbations du système orthographique à celles de la société.

[26] L'argument du conflit de règles insiste sur le déséquilibre qu'entraine l'absence d'une norme forte et unique. Il pointe le caractère facultatif de la nouvelle norme orthographique et valorise l'ancienne. Cet argument met en évidence la crainte des Académiciennes et Académiciens de voir cette ancienne norme, unique et prestigieuse, déclassée au profit de la nouvelle, dans une situation digraphique, et par conséquent la crainte de refuser à l'orthographe son rôle d'outil de distinction sociale (Journal officiel 1990 ; AF 1991a, 2016a ; Giroux 2016) :

(1)

Académie française : « L'Académie a donné son aval à ces recommandations, mais en demandant qu'elles soient soumises à l'épreuve du temps. Concernant la plupart des cas, elle s'en tient, dans la neuvième édition de son Dictionnaire, à présenter la graphie traditionnelle à l'entrée principale, tout en mentionnant la possibilité d'une graphie rectifiée. » (AF 2016a)

(2)

Frédéric Vitoux : « Un quart de siècle après, il est clair que l'essentiel des propositions de rectifications de la langue ne sont pas entrées en usage. L'Académie maintient donc sa position et préfère en rester à la graphie traditionnelle, en particulier pour l'accent circonflexe (sur le "i" et le "u"). » (Giroux 2016)

[27] L'argument de l'ingérence étatique pointe le refus des politiques linguistiques issues du monde politique et la volonté de conserver une frontière nette entre la sphère politique et la sphère linguistique. Il fait écho à la lutte pour le discours légitime (Journal officiel 1990 ; AF 1991a, 2016a, 2016b ; Bellanger 2016 ; Fernandez 2016 ; Rouart 2016, Carrère d'Encausse 2016a ; Giroux 2016 ; Averty 2017) :

(3)

Hélène Carrère d'Encausse : « L'Académie s'est opposée [à la réforme de l'orthographe] pour une raison, c'est qu'elle ne voulait pas qu'on trafique la langue autoritairement. » (Carrère d'Encausse 2016a)

(4)

Jean-Marie Rouart : « En 1990, Michel Rocard étant premier ministre a cru bon de procéder à un toilettage de l'orthographe. […] Madame Nadjat Vallaud Belkacem a habilement profité du flou artistique du premier vote de l'Académie pour justifier sa "réforme". Elle n'a pas cru bon de consulter l'Académie pour clarifier sa position, ce qui eût été sage. » (Rouart 2016)

(5)

Frédéric Vitoux : « Jamais une seule demande de simplification de l'orthographe n'est venue de l'Afrique francophone, du Canada ou de Haïti, avait justement fait remarquer mon confrère Dany Laferrière. C'est une idée de technocrates français ! » (Giroux 2016)

[28] L'argument de l'usage comme législateur suprême est l'un des arguments les plus employés. Étant donné que la fixation de la norme orthographique s'est toujours faite à partir d'une observation de l'usage – ou d'une certaine observation d'un certain usage, il est illégitime de changer de méthode. Cet argument fait preuve d'un certain traditionalisme, d'un refus des avancées linguistiques et technologiques qui permettent d'étudier un usage plus représentatif et d'une volonté de conserver le choix des marqueurs prescriptifs. Cet argument est à comprendre en lien avec le paradoxe de l'usage (cf. § 2.2) (Journal officiel 1990 ; AF 1991a, 1991b, 1992a, 2016a, 2016b ; Carrère d'Encausse 2016a ; Giroux 2016) :

(6)

Académie française : « Selon une procédure qu'elle a souvent mise en œuvre, elle souhaite que ces simplifications ou unifications soient soumises à l'épreuve du temps, et elle se propose de juger, après une période d'observation, des graphies et emplois que l'usage aura retenus. Elle se réserve de confirmer ou infirmer alors les recommandations proposées. » (AF 1991a)

(7)

Frédéric Vitoux : « Si [l'Académie] avait accueilli finalement avec précaution les recommandations du Conseil supérieur de la langue française, c'était à la seule condition de vérifier si l'usage allait conforter ses recommandations de la réforme de l'orthographe. » (Giroux 2016)

[29] L'argument de l'évolution naturelle de l'orthographe considère toute modification volontaire de l'orthographe comme allant à l'encontre de son évolution naturelle. Cet argument témoigne d'une certaine ignorance de l'histoire de l'orthographe et de la langue (Legros & Moreau 2012 ; AF 2016a, 2016b ; Carrère d'Encausse 2016a) :

(8)

Académie française : « Ce principe est conforme à sa position constante  : hostile à toute réforme visant à modifier autoritairement l'usage, l'Académie n'a jamais été pour autant fermée à des ajustements appelés par les évolutions de la langue, et que les différentes éditions de son Dictionnaire se sont attachées à refléter. » (AF 2016a)

(9)

Académie française : « Sans se montrer fermée à certains ajustements ou tolérances, l'Académie s'est donc prononcée en faveur du maintien de l'orthographe d'usage, conseillant "de laisser au temps le soin de la modifier selon un processus naturel d'évolution" […]. » (AF 2016b)

(10)

Hélène Carrère d'Encausse : « [La langue] évolue toute seule et l'orthographe aussi. » (Carrère d'Encausse 2016a)

[30] L'argument de la stabilité prétend que l'orthographe est un gage de stabilité dans un monde en plein bouleversement et que la réformer reviendrait à augmenter ce bouleversement. Il renvoie à l'imaginaire linguistique. Y sont associées les valeurs antirévolutionnaires et les références à la Révolution (Journal officiel 1990 ; Fernandez 2016  ; Rouart 2016 ; Averty 2017) :

(11)

Maurice Druon : « C'est pourquoi, écartant tout projet d'une réforme bouleversante de l'orthographe qui eût altéré le visage familier du français et dérouté tous ses usagers répartis sur la planète, vous nous avez sagement invités à proposer des retouches et aménagements, correspondant à l'évolution de l'usage, et permettant un apprentissage plus aisé et plus sûr. » (Journal officiel 1990)

(12)

Jean-Marie Rouart : « [La réforme de l'orthographe], même si une position rigide est toujours à proscrire en la matière, risque d'accroître chez les élèves et chez les enseignants un climat d'insécurité. Dans un monde sans cesse bousculé entre mouvements décousus, discontinuités, bouleversements, l'orthographe demeurait préservée, à l'abri des tempêtes.  » (Rouart 2016)

(13)

Erik Orsenna : « On retrouve [dans l'approche réformatrice de l'éducation nationale] une folle pensée de la Révolution française qui voulait qu'on "libère" les enfants de leur famille pour en faire des citoyens. » (Averty 2017)

[31] L'argument de la désinformation concerne la référence délibérée ou non à des informations erronées à propos du contenu ou des conséquences des Rectifications, comme lorsque Fernandez (2016) prétend que fenêtre s'écrit fenètre dans la nouvelle orthographe. La mention récurrente d'exemples spécifiquement problématiques (tels que nénufar, ognon, les mots avec accents circonflexes ou, plus rarement, les traits d'union) et l'absence de mention d'exemples spécifiquement admis (tels que la régularisation de l'accentuation, l'écriture des nombres, le déplacement du tréma, le pluriel des mots composés ou étrangers), admission dont témoigne la réponse de l'Académie à la question d'un locuteur sur le pluriel des mots étrangers (AF 2017), peuvent aussi être considérées comme un argument de désinformation capable de tromper la lectrice et le lecteur quant au contenu et à l'utilité des Rectifications. Cet argument prouve la méconnaissance, la subjectivité et le refus catégorique des Académiciennes et Académiciens quant au principe même d'une modification de l'orthographe (AF 2016b ; Carrère d'Encausse 2016a ; Fernandez 2016 ; Giroux 2016 ; Payot 2016 ; Rouart 2016 ; Averty 2017 ; Conruyt & Develey 2018) :

(14)

Hélène Carrère d'Encausse : « Les décisions qui ont été prises il y a vingt-cinq ans, personne ne les a adoptées. » (Carrère d'Encausse 2016a)

(15)

Jean-Marie Rouart : « Et que dire de cette liberté laissée aux élèves en leur donnant le choix entre deux orthographes : désormais ils pourront à leur guise écrire "cuissot" ou "cuisseau" pour le chevreuil ou pour le veau, fantasme ou phantasme […] » (Rouart 2016)

[32] L'argument du bricolage revient à considérer les Rectifications comme un projet mené par des personnes non qualifiées et inaptes à déterminer de nouvelles règles orthographiques, ou manquant de cohérence à un point tel qu'il le rend vain. Cet argument fait lui aussi écho à la lutte pour le discours légitime et à la méconnaissance linguistique des Académiciennes et Académiciens, et aurait pu avoir sa place parmi les arguments discriminants (Carrère d'Encausse 2016a ; Fernandez 2016 ; Ormesson 2016) :

(16)

Hélène Carrère d'Encausse : « Ça [la réforme de l'orthographe] a été un petit peu bricolé » (Carrère d'Encausse 2016a)

(17)

Dominique Fernandez : « Et voilà comment, d'une seule phrase, on enterre une réforme stupide. » (Fernandez 2016)

(18)

Jean d'Ormesson : « […] et c'est toute cette politique de réformes à tout-va sur des points qui sont tout à fait discutables […]. » (Ormesson 2016)

3.2.1.2 Arguments discriminants

[33] Les arguments discriminants dévalorisent directement les Rectifications et leurs adhérents, en employant le plus souvent des arguments extralinguistiques. L'argument de l'inutilité réfute ou amoindrit tout intérêt des Rectifications, souvent associées à la bêtise (Bellanger 2016 ; Carrère d'Encausse 2016a, 2016b ; Fernandez 2016 ; Giroux 2016 ; Ormesson 2016 ; Payot 2016 ; Rouart 2016) :

(19)

Hélène Carrère d'Encausse : « En plus, je pense que c'était [la réforme de l'orthographe] inutile. » (Carrère d'Encausse 2016b)

(20)

Florence Delay : « Personnellement, je n'étais pas là puisque je suis entrée à l'Académie il y a quinze ans, mais je ne vois pas l'intérêt de cette réforme […] » (Bellanger 2016)

(21)

Amin Maalouf : « La langue française comporte, il est vrai, des difficultés, liées aux accords, aux genres ou aux accents, mais on ne facilitera pas son apprentissage en éliminant l'accent circonflexe. » (Payot 2016)

[34] L'argument de la vétusté ou de l'inadéquation estime que les Rectifications n'ont plus aucune pertinence dans la société contemporaine et que le contexte ne légitime plus le projet, contrairement au contexte de 1990, ou encore que les Rectifications ont été abandonnées une bonne fois pour toutes. En 2016, « [l]'Académie s'interroge sur les raisons de l'exhumation par le Ministère de l'Éducation nationale d'un projet vieux d'un quart de siècle » [nous soulignons] (AF 2016b). La voilà qui intente un procès car l'on déterre les mots ! (AF 2016b ; Carrère d'Encausse 2016a, 2016b ; Giroux 2016 ; Ormesson 2016) :

(22)

Hélène Carrère d'Encausse : « […], c'est [la réforme de l'orthographe] une invention d'il y a vingt-cinq ans. Alors, c'est tout de même une vieille affaire. » (Carrère d'Encausse 2016a) et « J'ai l'impression [que la réforme de l'orthographe] est dans un tiroir. » (Carrère d'Encausse 2016b)

(23)

Jean d'Ormesson : « Ce qui me choque, ce n'est pas la réforme de l'orthographe. Ce qui me choque, c'est qu'on la sorte en ce moment. La situation du pays est tragique. Jamais la France n'a été dans un état aussi mauvais du point de vue moral. » (Ormesson 2016)

(24)

Frédéric Vitoux : « Vu le désastre – mot que j'emploie à dessein – de l'enseignement du français dans l'école primaire et secondaire, la question de la simplification ou de l'harmonisation de certaines règles n'est plus du tout la réponse pertinente à un meilleur apprentissage du français. » (Giroux 2016)

[35] L'argument de l'ignorance ou de la fainéantise établit que l'orthographe n'est compliquée que pour celles et ceux qui n'ont pas le courage de l'apprendre : ils et elles 'choisissent' d'être ignorantes et ignorants, ainsi qu'une paysanne ou qu'un paysan semble l'être, d'après ce que Maurice Druon écrivait, en 1991, dans un discours sur l'état de la langue française : « Une langue subtile ne s'écrit pas à la serpe » (AF 1991b). Cet argument dit que l'orthographe n'est pas si compliquée, qu'elle est accessible à tout le monde et qu'elle ne constitue pas un moyen de différenciation sociale : la 'réformer' revient donc à prendre les élèves pour des fainéantes et des fainéants, par exemple. En réformant l'orthographe, on donne raison à cette fainéantise et à cette ignorance, alors que ce n'est pas une solution. Cet argument exemplifie le déni de la réalité et des travaux scientifiques, notamment des études sociolinguistiques et didactiques sur le sujet, et l'élitisme dont font preuve les Académiciennes et Académiciens (Journal officiel 1990 ; AF 1991b, 2016a, 2016b ; Carrère d'Encausse 2016a, 2016b ; Fernandez 2016 ; Giroux 2016 ; Rouart 2016 ; Conruyt & Develey 2018) :

(25)

Académie française : « Plus que la maîtrise de l'orthographe, défaillante, c'est la connaissance même des structures de la langue et des règles élémentaires de la grammaire qui fait complètement défaut à un nombre croissant d'élèves […]. » (AF 2016b)

(26)

Hélène Carrère d'Encausse : « […] on va à l'école pour se distraire et surtout pas se fatiguer. » (Carrère d'Encausse 2016a)

(27)

Jean-Marie Rouart : « En voulant simplifier [l'orthographe] outre mesure, dans un contexte de déstabilisation et de déliquescence de l'enseignement, on risque de compliquer son apprentissage. » et « Sans vouloir lui faire un procès d'intention, cette réforme venant après celle du collège et des programmes qui ont vu le grec et le latin ramenés à leur plus simple expression, a semblé partir d'une même inspiration égalitariste  : comme si l'orthographe, à l'instar de grec et du latin, constituaient des apanages sociaux et formaient un obstacle au brassage social et à la démocratisation du savoir. D'où la suspicion d'opérer une fois encore le nivellement par le bas. » (Rouart 2016)

(28)

Dominique Fernandez : « Réformer l'orthographe rendrait moins "dur" le travail d'écriture, certes, mais en rabaissant ce travail et en humiliant le scripteur jugé incapable d'aspirer à une activité plus intéressante que de tapoter sur une casserole. » (Fernandez 2016)

[36] L'argument du nivèlement par le bas ou de la décadence de l'enseignement déclare que rectifier l'orthographe ne résoudra pas le problème de l'enseignement et qu'un système éducatif efficace permettrait d'éviter ce genre de projets, qui sont de fausses solutions (Journal officiel 1990 ; AF 1991a, 1992a, 2016a, 2016b ; Carrère d'Encausse 2016a, 2016a ; Fernandez 2016 ; Giroux 2016 ; Ormesson 2016 ; Rouart 2016 ; Conruyt & Develey 2018) :

(29)

Académie française : « Il nous sera permis d'espérer que la publication de ce premier tiers de notre vocabulaire, et l'ensemble des dispositions que nous avons prises, aideront à ramener sur l'orthographe une attention souvent trop défaillante, à tous les degrés des études. » (AF 1992a)

(30)

Académie française : « En conclusion, pour l'Académie, il est urgent d'engager dès l'enseignement primaire le redressement souhaité par tant de nos concitoyens, en rétablissant les conditions d'une vraie transmission du savoir. Tel est l'enjeu d'une réforme véritable de notre système éducatif, […]. » (AF 2016b)

(31)

Hélène Carrère d'Encausse : « Pourquoi [réformer l'orthographe] ? Parce qu'on est partis du principe que l'orthographe est très difficile et qu'il ne faut pas traumatiser les pauvres petits qui apprenaient à écrire » (Carrère d'Encausse 2016b)

(32)

Alain Finkielkraut : « Je serais donc très malheureux de voir [l'accent circonflexe] disparaître au nom d'une exigence de simplification extrêmement douteuse. Les problèmes orthographiques des élèves sont liés à leur incompréhension de la logique la plus élémentaire. » (Conruyt & Develey 2018)

3.2.1.3 Arguments historicoculturels

[37] Les arguments historicoculturels concernent le décryptage dans l'orthographe d'un lien direct, fort et unique avec le passé et la culture. À travers l'étymologie ou encore les œuvres littéraires, l'orthographe sert de guide vers la prestigieuse époque grécoromaine ou de code immuable qui permet de lire Molière dans la langue originale. Ces arguments indiquent les carences des connaissances philologiques et linguistiques des Académiciennes et Académiciens, qui emploient comme beaucoup d'autres opposantes et opposants un discours partial (Legros & Moreau 2012). L'attachement au passé montre également que les Académiciennes et Académiciens privilégient la fonction identitaire à la fonction communicationnelle de la langue (Billiez, Lucci & Millet 1990 ; Journal officiel 1990 ; AF 1991b, 2016b ; Carrère d'Encausse 2016b  ; Giroux 2016 ; Ormesson 2016 ; Rouart 2016 ; Averty 2017 ; Conruyt & Develey 2018) :

(33)

Hélène Carrère d'Encausse : « Qu'est-ce qu'on fait des livres imprimés, à ce moment-là ? Qui comprendra les livres imprimés tels qu'ils ont été imprimés il y a vingt ans, il y a trente ans ? » (Carrère d'Encausse 2016b)

(34)

Jean-Marie Rouart : « Mais ces complications, ces fioritures, ces surcharges et ces exceptions diaboliques, qui font de l'orthographe un labyrinthe, sont aussi constitutives de son histoire. » (Rouart 2016)

(35)

Erik Orsenna : « Perdre cette trace [l'accent circonflexe], c'est amputer un mot de son histoire. » (Averty 2017)

(36)

Alain Finkielkraut : « […] J'ai eu très tôt une bonne orthographe, j'aime les difficultés. C'est pourquoi je suis hostile à toutes les réformes de l'orthographe parce qu'elles veulent effacer du mot sa propre histoire. » (Conruyt & Develey 2018)

3.2.1.4 Arguments affectifs

[38] Les arguments affectifs sont des arguments qui relèvent d'un imaginaire linguistique développé (cf. § 3.2.2) et associent l'orthographe ou la langue à des valeurs sentimentales et esthétiques. Il est important de remarquer que la confusion entre langue et orthographe, présente dans la majorité des discours et des catégories analysés, est particulièrement forte dans cette catégorie d'arguments. Ces arguments témoignent d'un certain élitisme et d'une méconnaissance du b.a.-ba des sciences linguistiques.

[39] L'argument de l'essence de la langue personnifie la langue. Elle est une et indivisible, et l'orthographe en est un membre sensible, nervé, dont la rectification est comme une profanation ou, l'expression est choisie, un acte de barbarie. Fernandez (2016) l'illustre clairement : « La langue est un organisme vivant, qu'on n'ampute pas plus qu'on ne couperait l'orteil pour faire entrer le pied plus facilement dans la chaussure ». Cet argument est révélateur de la passion extrême de la langue et du potentiel manque de nuance qui habitent les membres de l'Académie (Journal officiel 1990 ; AF 1991b, 1992a, 2016b ; Carrère d'Encausse 2016a, 2016b ; Fernandez 2016 ; Giroux 2016 ; Rouart 2016 ; Averty 2017) :

(37)

Maurice Druon : « C'est pourquoi, écartant tout projet d'une réforme bouleversante de l'orthographe qui eût altéré le visage familier du français […]. » (Journal officiel 1990)

(38)

Jean-Marie Rouart : « La langue française, cette vieille dame si mal en point, n'a pas besoin qu'on la tarabuste sous prétexte de la rajeunir. » (Rouart 2016)

[40] L'argument de l'appauvrissement de la langue définit l'orthographe comme une richesse de la langue française, considérant que la complexité de la première sert la subtilité de la seconde et qu'une réforme de l'orthographe appauvrit considérablement la langue (Journal officiel 1990 ; AF 2016a ; Giroux 2016) :

(39)

Maurice Druon : « Que d'autres difficultés subsistent, cela n'est pas douteux. Mais une langue simple ou simplifiée à l'extrême est une langue pauvre. La nôtre, Dieu merci, est riche, et constamment enrichie ; et sa richesse se reflète dans son orthographe. » (Journal officiel 1990)

(40)

Frédéric Vitoux : « La simplification coupe le mot de son passé et des langues voisines. Cette réduction participe d'un appauvrissement et, si je puis dire, d'une politique d'isolement de la langue par rapport aux autres.  » (Giroux 2016)

[41] L'argument de l'excellence et de l'incomparable beauté du français attribue les qualités de complexité, de spécificité et de diversité à l'orthographe française et la voit comme un moyen d'éclaircir la langue elle-même. Cet ensemble de qualités justifie la supériorité et l'universalité de la langue française. C'est l'argument-type du purisme (cf. § 3.2.3) (Journal officiel 1990 ; AF 1991b, 1992a ; Carrère d'Encausse 2016b ; Fernandez 2016 ; Giroux 2016 ; Payot 2016 ; Rouart 2016  ; Averty 2017) :

(41)

Académie française : « Et nul ne saurait contester qu'une juste orthographe, notamment dans les accords grammaticaux, éclaire le sens des phrases et participe à la précision de la pensée. » (AF 1992a)

(42)

Maurice Druon : « Je voulais simplement souligner qu'une permanence apparaît et s'impose dès lors qu'on entreprend d'agir sur les structures du français, et que cette permanence s'exprime par les termes de certitude, clarté, précision, pureté, toutes qualités qui font notre langue suprême […]. » (Journal officiel 1990)

(43)

Maurice Druon : « […] notre langue, dont la clarté et la précision sont dues, pour une bonne part, aux graphismes de ses temps et accords verbaux. » (AF 1991b)

(44)

Jean-Marie Rouart : « L'orthographe, c'est aussi l'histoire d'une langue. Ceux qui y sont attachés ne le sont pas forcément par intégrisme ou un conservatisme de scrogneugneu, mais parce qu'ils considèrent que cette complexité même lui confère une beauté de cathédrale gothique. » (Rouart 2016)

[42] L'argument de la matérialité du mot se réfère à son aspect graphique traditionnel pour lier la langue à la chose, le référent et le signe linguistique. Il prétend qu'un nénuphar ressemble plus à la plante qu'un nénufar (AF 1992a ; Bellanger 2016 ; Carrère d'Encausse 2016b ; Fernandez 2016 ; Giroux 2016) :

(45)

Académie française : « Les mots ont un visage, qu'il convient de respecter. » (AF 1992a)

(46)

Florence Delay : « […] pour moi le nénuphar avec PH ressemble mieux à la plante qu'avec un F. » (Bellanger 2016)

(47)

Dominique Fernandez : « Et pour le ph de nénuphar, dont les feuilles rondes qui s'étalent sur l'eau seraient infiniment moins séduisantes avec le f de farine. » (Fernandez 2016)

3.2.1.5 Arguments hétérogènes

[43] Les arguments hétérogènes relèvent d'au moins deux des catégories précitées. L'argument de l'effort d'enfance mêle la catégorie affective et la catégorie discriminante. Il s'agit du souvenir de l'apprentissage de l'orthographe au début de la scolarité comme d'une expérience joyeuse, réconfortante qui procure de la fierté malgré les obstacles. Face à ce souvenir, les élèves d'aujourd'hui peuvent paraitre fainéantes et fainéants, et l'enseignement est vu comme un échec : un bon enseignement pousse les élèves à apprendre, coute que coute. Cet argument illustre lui aussi le déni de réalité et l'attachement peu commun des Académiciennes et Académiciens à l'orthographe (Journal officiel 1990 ; Carrère d'Encausse 2016a, 2016b ; Fernandez 2016) :

(48)

Hélène Carrère d'Encausse : « […] j'ai été à l'école publique. Et j'ai des souvenirs extraordinaires parce que, bon, on avait des problèmes, tous, avec l'oignon, les participes, l'accord des participes, etc. […] En ce temps-là, […] il y avait une jouissance à savoir comment on écrivait. » (Carrère d'Encausse 2016b)

(49)

Dominique Fernandez : « Le plus touchant, me confiait cet ami, c'est qu'ils étaient très mauvais en orthographe, que l'orthographe leur faisait perdre des points pour leurs copies et rater des examens, qu'ils la maudissaient, cette mégère, mais qu'au fond d'eux-mêmes, ils sentaient que vouloir la réformer et l'amadouer pour la rendre plus facile et plus douce était une marque de mépris à leur égard. S'ils venaient à l'école, c'était précisément pour secouer la poussière de leurs chaussures, être forcés de vaincre leur laisser-aller […]. » (Fernandez 2016)

[44] L'argument de la menace phonétique refuse toute modification de l'orthographe sous prétexte de voir cette dernière se muer en une véritable réforme phonétique, une réforme qui rendrait l'accès à la langue, à la culture et à l'étymologie impossible et qui aurait des conséquences effroyables sur la rigueur, la discipline, l'ordre de la société. Il est à la fois un argument technique, affectif et historicoculturel. Cet argument mobilise des données erronées dans le but d'effrayer les scriptrices et les scripteurs en jouant sur leur imaginaire linguistique (Journal officiel 1990 ; AF 1991b, 1992a, 2016a ; Carrère d'Encausse 2016a, 2016b ; Giroux 2016 ; Rouart 2016 ; Averty 2017) :

(50)

Maurice Druon : « […] nous avons mis un solide sabot pour bloquer les glissades vers une orthographe plus ou moins phonétique qui, elle, dénaturerait totalement notre langue » (AF 1991b)

(51)

Jean-Marie Rouart : « Mieux valait peut-être se montrer indulgent aux fautes dans une orthographe certes difficile que dégrader une langue sur la pente descendante qui risque de puiser son modèle dans la phonétique et le SMS. Loin de diminuer les inégalités sociales auxquelles cette réforme prétend sans doute remédier, celle-ci va les accroître. » (Rouart 2016).

3.2.2 Analyse des paradoxes ou dissonances discursifs

[45] Après un examen de la Présentation du Rapport de Maurice Druon, la lecture des déclarations de l'Académie et de sa Secrétaire perpétuelle de 2016 attire particulièrement l'attention. L'impression d'un mensonge éhonté plane, mais le coupable varie selon l'opinion que la lectrice ou le lecteur se fait des Rectifications. S'agit-il de Maurice Druon, ou de sa successeuse ? Ou bien les faits sont-ils plus complexes que l'annoncent l'un et l'autre ? Quoi qu'il en soit, une interrogation subsiste à la lecture comparée de leurs discours respectifs. Cette interrogation non résolue, d'autres se soulèvent peu à peu à propos de l'ensemble des discours Académiques qui portent sur les Rectifications.

[46] Dans le Journal officiel du 6 décembre 1990, Maurice Druon déclare assumer la présidence du groupe de travail « avec l'assentiment de l'Académie française » et que « l'Académie française a été consultée ». Effectivement, « M. Cerquiglini, au cours de deux auditions, a présenté les propositions à la Commission du dictionnaire, laquelle en a débattu dans le détail et avec le plus grand soin. À la suite de quoi, [Maurice Druon a lui-même] présenté à l'Académie, dans sa séance du 3 mai 1990, le rapport de sa Commission. L'Académie a constaté que les ajustements proposés étaient dans la droite ligne de ceux qu'elle avait pratiqués dans le passé  ». Ainsi, « à quelques réserves près, minimes, que le Conseil a bien voulu prendre en compte, l'Académie, à l'unanimité, a approuvé les propositions du Conseil ». L'Académie a même « émis un vœu », qu'elle a « ratifié » : « [...] que soit établi dans les meilleurs délais, et à la diligence de [la] Délégation générale, un lexique orthographique de la langue française, mettant en application les rectifications et ajustements proposés » et servant « [d']outil de référence certain » à destination des « instituteurs et professeurs, [et] élèves », entre autres. Ainsi, l'Académie a été consultée, sa Commission (composée de douze Académiciennes et Académiciens) l'a également été à deux reprises et a soigneusement débattu des propositions, dont elle a fait un rapport. Ce dernier a été présenté à l'Académie, de manière suffisamment détaillée pour qu'elle émette des réserves précises, car minimes, et qu'elle ratifie un vœu de promotion des Rectifications. Or, le 5 février 2016, l'Académie publie :

Alors qu'elle ne disposait pas encore du texte du rapport, l'Académie, dans sa séance du 3 mai 1990, a été informée des idées directrices du projet, dont elle a approuvé l'inspiration et le principe. Dès que le document leur a été communiqué, les membres de l'Académie se sont attachés, dans la séance du 10 janvier 1991, à étudier les dispositions prévues par le Conseil et ont ouvert un large débat sur cette question, où s'est exprimée une grande diversité d'opinion. Au terme de cet échange de vues, l'Académie a assorti son approbation d'une invitation à la mesure et à la prudence dans la mise en œuvre des mesures préconisées, mettant en garde contre toute imposition impérative des recommandations [nous soulignons]. (AF 2016a)

Le 11 février, elle rajoute :

Après qu'eut été constitué un groupe d'étude sur cette question au sein du Conseil supérieur de la langue française, l'Académie, sollicitée de rendre un avis, et informée des seuls principes guidant l'action de cet organisme – refus de toute imposition autoritaire de normes graphiques et sanction de l'usage pour les rectifications proposées –, a voté à l'unanimité dans sa séance du 3 mai 1990 un second texte, marquant son accord avec les lignes directrices du projet en préparation. C'est cet accord, voté en l'absence de tout texte et ne portant que sur des principes, qui est invoqué aujourd'hui comme une approbation des directives devant entrer en application dans l'enseignement secondaire à partir de la prochaine rentrée [nous soulignons]. (AF 2016b)

D'un côté, Maurice Druon prétend avoir présenté les propositions et les ajustements à l'Académie par le biais du rapport de sa Commission, que cette dernière a pu amender et voter. De l'autre côté, l'Académie prétend en 2016 n'avoir disposé d'aucun texte et n'avoir eu connaissance d'aucun détail. Une pareille dissonance discursive s'applique également à la question de la propagation officielle des Rectifications, l'Académie l'encourageant en 1990, l'interdisant en 2016, faisant écho à sa déclaration du 17 janvier 1991, où elle préférait déjà éviter la propagation ministérielle. Que s'est-il réellement passé ? Un texte détaillé a-t-il été voté ? Il est difficile de le savoir, mais, dans un cas comme dans l'autre, l'ambivalence de la situation et le subit revirement de l'Académie, au lendemain du tollé médiatique, démontre le malaise que lui a causé le projet. Un malaise qui résultait probablement de l'incompatibilité entre les objectifs des Rectifications et ceux de l'Académie.

[47] D'autres contradictions habitent les discours de l'Académie et semblent éclairer l'origine de ce malaise. Nous en analysons deux. La première oppose (A) le désir d'adaptation de l'Académie à la société contemporaine, mis en relief par « un certain nombre d'innovations lexicographiques importantes » de la neuvième édition de son dictionnaire (Rey 2012 : 9) et admis par Maurice Druon dans l'avant-propos du second tome de cette neuvième édition parue en 20005 (AF 2000), à (B) son mépris pour le développement de la linguistique comme science humaine, développement pourtant caractéristique de la modernité à laquelle l'Académie aspire (cf. note 5). Ce mépris est révélé par de nombreux indices, tels que l'emploi massif d'arguments extralinguistiques, souvent erronés, à propos de questions directement linguistiques (cf. § 3.2.1 et 3.2.3), l'absence de linguistes comme Académiciennes et Académiciens (deux philologues ont toutefois été respectivement élu et élue, Michel Zink, en 2017, Barbara Cassin, en 2018) ou encore la déconsidération des politiques linguistiques, aujourd'hui menées par des linguistes.

[48] La seconde contradiction, importante, concerne la question de l'usage. D'un côté, l'Académie est tenue, par l'article vingt-six de ses statuts, de « composer un dictionnaire [...] [p]our mener à bien sa mission de clarification d'une langue française appelée à devenir "le latin des modernes", universelle et accessible à tous » [nous soulignons] (AF missions). Autrement dit, l'Académie se doit d'élire un usage représentatif de chacun afin que son dictionnaire « [serve], […], de référence à tous les autres » (AF 1986), et par là à toutes les locutrices et à tous les locuteurs du français. D'un autre côté, elle perpétue la tradition du bon usage, d'un usage de quelques-unes et de quelques-uns, dans une visée prescriptive. Dans la rubrique L'histoire sous l'onglet L'institution de son site internet, l'Académie déclare :

Si la notion d'usage repose aujourd'hui sur des bases plus larges qu'au xviie siècle, le respect du bon usage s'impose plus que jamais. L'Académie n'entend pas simplement refléter la langue, ni refléter n'importe quelle langue. [nous soulignons] (AF histoire)

Maurice Druon, dans la préface de la neuvième édition, précise :

Qu'est-ce donc que l'usage en matière de langage ? Notre langue est latine de naissance et d'essence. Nous ne pouvons mieux faire que de nous en remettre là-dessus aux auteurs latins : "L'usage, qui a pouvoir d'arbitrage, de sentence et de loi…" (Horace) ; "Quant à l'usage, c'est le maître le plus sûr, puisqu'on doit se servir du langage comme de la monnaie qui a cours public et avoué… J'appellerai donc usage ce qui est consacré parmi les gens les plus éclairés" (Quintilien). […] Il faut attendre pour reconnaître ceux [les vocables] qui continuent d'avoir "cours public" parce que répondant à un besoin véritable, de même qu'il faut être attentif à ce que les termes apparus soient de formation correcte, afin d'empêcher que la mauvaise monnaie ne chasse la bonne. C'est à quoi s'emploient ces "gens éclairés" ou supposés tels qui composent, aujourd'hui comme jadis, l'Académie [nous soulignons]. (AF 1986, 1992b)

Or, choisissant la voie d'un usage prestigieux et d'une orthographe très complexe, l'Académie s'oppose au principe même des Rectifications, censées faciliter l'apprentissage de l'orthographe. Ces deux visées inconciliables amènent l'Académie à se réfugier une fois de plus dans un discours stéréotypé6, non fondé scientifiquement, notamment lorsqu'elle déclare, le 11 février 2016, qu'elle « s'interroge sur les raisons de l'exhumation par le Ministère de l'Éducation nationale d'un projet vieux d'un quart de siècle et qui, à quelques exceptions près, n'a pas reçu la sanction de l'usage » [nous soulignons] (AF 2016b). Or, cette déclaration s'oppose au troisième principe des Rectifications qui certifie qu'« [i]l a été entendu que les propositions s'appuieraient sur ce qu'on est convenu d'appeler "le génie de la langue", les usages qui s'établissent, les tendances à la cohérence déjà repérables, les évolutions déjà amorcées » (Journal officiel 1990), ce que confirme Hagège (1991), disant que les Rectifications « ne [font] qu'apporter, dans le plus grand nombre des cas, une caution publique à des usages attestés » [nous soulignons].

[49] D'ailleurs, si des graphies alternatives existent et concurrencent les formes traditionnelles et les formes rectifiées dans l'internet français, représentatif de tous les milieux socioéducatifs, une bonne part des Rectifications semble toutefois y être entrée en application (Azra 2006 : 6). Les allégations erronées de l'Académie révèlent deux informations intéressantes. La première est que, comme nous venons de le dire, l'Académie construit un système discursif qui se situe en dehors des vérités scientifiques, qui fait fi des avancées linguistiques et relève en grande partie de l'imaginaire linguistique, défini par Houdebine (1997 : 165) comme « le rapport du sujet à la lalangue7 (Lacan) ou à La Langue (Saussure), repérable par ses commentaires évaluatifs sur les usages ou les langues » et qui renvoie à un ensemble de « normes subjectives ». La seconde information déductible, qui confirme l'analyse du paradoxe de l'usage, est que l'usage que l'Académie prescrit actuellement n'est pas celui du commun des scriptrices et des scripteurs, mais davantage celui d'une caste orthographique restreinte, d'élite, qui ne se sent pas le besoin de recourir à des rationalisations de l'orthographe française et dont les Académiciennes et Académiciens font partie. En présentant l'usage comme « législateur suprême » (AF 2016b) tout en élisant celui d'une minorité, l'Académie actuelle se place directement dans la lignée de celle du 19e siècle qui, adoptant la « stratégie du réformateur malgré lui, victime des usages », conscrivait l'usage bien plus qu'elle ne daignait l'avouer (Laurent 2009 : 16).

[50] À première vue, les discours de l'Académie sont donc le lieu d'expression de certaines contradictions, qui se polarisent en deux points inconciliables : d'une part, la nécessité de l'institution de s'adapter à une société dans laquelle toute humaine et tout humain est l'égale et l'égal de l'autre et où le purisme n'a plus sa place, où la technologie permet de prendre en compte les usages réels, et sa volonté d'être la référence de toutes et tous ; d'autre part, son choix de défendre et d'illustrer une langue en particulier, la langue de l'élite littéraire et mondaine, dont l'usage conservateur lui sert de norme, notamment en matière orthographique.

3.2.3 Interprétation des données : l'Idée Académique

[51] Les discours de l'Académie française sur les Rectifications de l'orthographe dessinent bel et bien une ligne directrice idéologique. Cette ligne, déduite de l'ensemble des argument-types qui la composent, permet à la fois de comprendre les dissonances presque constitutives des discours de l'Académie et de situer cette dernière dans la société contemporaine. Une comparaison avec les idéologies antérieures de l'Académie viendra, à la section suivante, soutenir, nuancer ou réfuter cette situation. Quels sont donc les balises idéologiques repérables dans l'espace discursif Académique  ?

[52] Selon Mahieu (2018 : 18), le purisme se définit comme une « attitude métalinguistique caractérisée par une dimension prescriptive forte » ou encore comme une conception de la « langue comme objet sacré, ayant une essence propre, quasi vivant et à respecter comme ce qu'elle est : un tout fixé et uniforme ». Le discours puriste est également caractérisé par « une tendance conservatrice sur le plan linguistique », ce qui l'amène à apprécier la valeur étymologique de l'orthographe et à considérer que « toute évolution équivaut à une dégradation de la langue » (Mahieu 2018 : 19). Le discours puriste s'attache également aux valeurs du patrimoine national, de la supériorité, de l'excellence et de la beauté de la langue (Mahieu 2018 : 21).

[53] Or, à bien des égards, les discours de l'Académie française sur les Rectifications de l'orthographe renvoient à ces caractéristiques puristes. Tout d'abord, de nombreux arguments y correspondent (tous les arguments affectifs, l'argument historicoculturel de l'étymologie, l'argument du conflit de règles, l'argument de l'ingérence étatique, ainsi que le processus de dévalorisation des arguments discriminants portant sur ce qui ne correspond pas à la norme). De plus, le désengagement de l'Académie dès 1991 par rapport au projet des Rectifications, sa volonté séculaire de prescrire un usage prestigieux et la présence des argument-types de la tendance conservatrice de l'Académie déterminés par Caput (1986) confirment son conservatisme et son purisme. Purisme, conservatisme, traditionalisme, autant de traits d'un élitisme langagier que prône l'Académie au travers de ses discours.

[54] Cet élitisme est lui aussi confirmé par la présence et la récurrence des argument-types relevés respectivement par Georges Legros et Marie-Louise Moreau, et par Philippe Cibois, qui les analyse comme un processus de dévalorisation de tout projet de modification orthographique. En ridiculisant les projets de réforme, les opposantes et les opposants empêchent le débat de fond et, par conséquent, la reconnaissance du droit de l'Humaine et de l'Humain à intervenir sur ses institutions, héritage de la Révolution qui a toutefois épargné la question orthographique, les révolutionnaires ayant d’autres priorités (Barbarant, Cibois & Leconte 1989 : 88-91), notamment sur le plan linguistique et plus précisément sur le plan de la politique linguistique (Perrot 1997). En employant cette technique de dévalorisation, les Académiciennes et Académiciens contribuent à maintenir l'orthographe dans sa forme prérévolutionnaire, ainsi que l'institution qui s'en porte garante : l'Académie. Or, quelle société est plus hiérarchisée et élitiste que celle d'Ancien Régime ? Pour leur part, Legros & Moreau (2012 : 46) concluent leur analyse de cette façon :

[…] nul besoin d'invoquer la critique de Pierre Bourdieu pour constater que privilégier les "subtilités" "savantes", c'est renouveler aujourd'hui le choix fait par l'Académie au 17e siècle de 'distingue[r] les gents de lettres d'auec les ignorants et les simples femmes'.

[55] Où situer une Académie à l'idéologie élitiste dans une société aux principes égalitaristes ? Les discours qu'elle a tenus au sujet des Rectifications témoignent du malaise dont elle est victime. Dans ce contexte de développement de la linguistique, elle lutte pour conserver son autorité et sa légitimité en participant aux débats. Mais les objectifs qu'elle poursuit, à savoir la promotion d'une norme de l'élite, et les méthodes qu'elle emploie, soit l'utilisation d'un discours dévalorisant, stéréotypé et donc non fondé scientifiquement8, étant fondamentalement inadaptés au monde qui l'entoure, pourraient condamner son rôle politique et linguistique dans un avenir plus ou moins proche. À ce propos, quelle est la spécificité d'une institution qui se réduit au simple reflet des mentalités de toute une chacune et de tout un chacun, comme le souligne l'omniprésence des argument-types du grand public des différentes typologies utilisées au sein des discours Académiques ?

4 Un bref panorama idéologique

[56] Depuis sa création, en 1634, et la première édition de son Dictionnaire, en 1694, l'Académie française a été le témoin de nombreux évènements historiques et de nombreuses évolutions de la société, des mœurs et des mentalités. Les différentes éditions de son Dictionnaire en sont marquées. La première, dirigée par François Eudes Mézeray et basée sur le modèle d'élite de la cour, a vu s'imposer le purisme (Caput 1986 : 44). Il faut attendre l'édition de 1740, la troisième, pour observer une modernisation importante du Dictionnaire : sous l'influence des Lumières et la direction de l'abbé d'Olivet, l'orthographe est simplifiée et rationalisée (Buisseret et al. 2009 ; Laurent 2009 : 1). En 1762, la quatrième édition, sous la direction de Charles Pinot Duclos, poursuit les avancées de la précédente (Caput 1986 : 46).

[57] La cinquième, parue en 1798, cinq ans après la dissolution de l'Académie, conséquence de la Révolution, fait polémique et n'est pas revendiquée par le monde Académique (Caput 1986 : 47), il est donc illégitime de la prendre en considération. Au 19e siècle, suite au retour de la monarchie, l'Académie, restaurée en 1816 sous sa forme traditionnelle (AF grandes dates), est assujettie à un renouveau puriste, conservateur, royaliste (Buisseret et al. 2009 : 50).

[58] La sixième édition de 1835 est l'occasion de réintégrer les lettres grecques ôtées des éditions précédentes (Buisseret et al. 2009 : 50). Les septième et huitième éditions, respectivement parues en 1877 et en 1932-1935, n'observent que quelques modifications orthographiques de détail, superficielles, à regret (Caput 1986 ; Laurent 2009 : 2). En cela, elles se conforment à la mentalité de la sixième édition. Bien que le premier fascicule de la neuvième édition, paru en 1986, adopte lui aussi quelques modifications du même ordre (Farid 2012 : 1), le second fascicule de 1987 les renie (Préfaces). Après les Rectifications de 1990, la dernière édition a été mise à jour de la façon suivante :

Dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie française, ne sont inscrites à titre définitif que les modifications qui visent principalement à harmoniser l'accentuation de certains mots, […], avec leur prononciation habituelle. Chaque fois que l'usage paraissait hésitant, a été indiquée l'existence ou la possibilité de deux graphies (évènement ou événement).

L'Académie signale par un losange (◇) et répertorie […] les orthographes modifiées qu'elle n'introduit pas en entrée. (AF principes et règles)

Au vu des résultats précédents et des habitudes graphiques revendiquées par les Académiciennes et Académiciens (cf. les discours analysés), ainsi que de l'usage spécifique choisi comme norme, il apparait que la neuvième édition ne s'éloigne pas de la méthode appliquée depuis la septième édition et de la mentalité de la sixième : l'Académie se porte garante de l'orthographe traditionnelle, royaliste, et s'insurge contre toute tentative réelle de rectification de l'orthographe, n'adoptant dans son Dictionnaire que les propositions les plus discrètes et les plus commodes, selon son gout et son usage.

[59] À leur tour, cette méthode et cette mentalité Académiques, héritées d'éditions puristes suivant un usage élitiste ne pouvant être qu'inaltérable, fortement prescriptives, attestent de la difficulté dont souffre l'Académie française à s'adapter aux évolutions démocratiques, techniques et scientifiques permises par la Révolution. L'Académie française est, elle aussi, plus encore que l'orthographe, une 'butte témoin' de l'Ancien Régime, aussi bien dans sa forme que dans son projet.

5 Conclusion

[60] L'analyse du cas des Rectifications de l'orthographe de 1990 dans les discours Académiques confirme l'hypothèse selon laquelle l'Académie française est une institution qui n'a pas su s'adapter au tournant de la Révolution française, marquée par la démocratisation progressive de l'accès à l'écriture, à la culture et au savoir, et continue de refuser les bénéfices et les idéaux de la société postrévolutionnaire, autant démocratiques (dans sa volonté de prescrire une norme orthographique élitiste dont les écarts sont inlassablement stigmatisés) que technologiques (dans sa façon archaïque de déterminer l'usage, au mépris des outils et des ressources informatiques dont on dispose à l'heure actuelle, et dans son inaction face au développement de l'écrit) ou scientifiques (dans son refus de considérer les avancées et les travaux des sciences du langage, particulièrement de la sociolinguistique). Pensée par un modèle d'un autre temps, monarchique, d'Ancien Régime, elle refuse de s'adapter à la société contemporaine, ou n'en a peut-être tout simplement pas les moyens, condamnée par une structure et une mentalité vieilles de presque quatre siècles.

[61] Si les Rectifications sont aujourd'hui victimes des mentalités d'hier, dont l'Académie est le reflet et probablement une des sources, il est certain que les nécessités de demain s'en souviendront, d'elles ou de tout autre projet de réfection de l'orthographe. L'Académie bénéficiera-t-elle du même sort ? Rien n'est moins sûr, au vu de ses multiples inadéquations avec la société moderne.

[62] Il est toutefois intéressant de noter que les Rectifications de l'orthographe furent pour l'Académie, en plus d'une lutte pour le discours légitime sur les débats linguistiques, une tentative d'adaptation et de réponse aux demandes contemporaines, certes canalisée par un certain immobilisme institutionnel, mais bel et bien significative d'une volonté d'agir avec, et plus contre, les organismes linguistiques concurrents. Dans un premier temps, du moins. Car son désengagement du projet des Rectifications montre que cette tentative était vaine, et témoigne de sa profonde incapacité à s'adapter, même avec un recul de vingt-cinq ans (en 2015), à une société où les privilèges sont abolis et où l'usage un et indivisible n'est plus crédible.

[63] En témoignent également l'ensemble d'argument-types et les paradoxes relevés dans les discours Académiques9. Leur analyse met effectivement en lumière la nette incompatibilité qui existe entre les objectifs et les méthodes respectifs de l'institution et du projet de 1990. Si ce dernier vise en effet un nivèlement des rapports sociaux, et par là leur amélioration, en refusant son rôle distinctif à l'orthographe, au moyen de rectifications basées sur des postulats scientifiques et des régularités linguistiques déjà établies, l'Académie prescrit quant à elle une orthographe héritée de la société d'Ancien Régime, peu accessible, stigmatisante, qu'elle justifie grâce à un discours aux composantes idéologiques fortes, comme l'analyse l'a également prouvé.

[64] Quelles sont ces composantes idéologiques ? Les discours Académiques recèlent une large variété de stéréotypes à la fois puristes, en ce compris ou associés les concepts de traditionalisme et de conservatisme, et élitistes, bien que ces caractéristiques s'entremêlent le plus souvent. De cette façon, cet ensemble discursif, souvent peu fondé scientifiquement et disposant d'un imaginaire linguistique riche, garant d'une orthographe monarchique, corrobore la filiation idéologique établie dans la troisième section entre l'Académie très conservatrice et antirévolutionnaire du 19e siècle et l'Académie actuelle et, par-là, la thèse de l'incapacité d'une institution historiquement, structurellement et idéologiquement d'Ancien Régime à trouver une place légitime dans la société contemporaine et démocratique qu'est la nôtre, du moins en ce qui concerne l'académie française.

[65] Les rares avancées idéologiques de l'Académie pourraient toutefois, si elles venaient à se multiplier, nuancer cette conclusion. L'Académie ouvrit pour la première fois ses portes à une femme, Marguerite Yourcenar, en 1980. Par ailleurs, la neuvième édition de son Dictionnaire présente quelques 'innovations' notables, bien que tardives (introduction de notices étymologiques, ajout de remarques normatives, augmentation du lexique scientifique et technique, version informatique). Enfin, la récente adoption d'un rapport sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions, sujet dont l'analyse aurait été, elle aussi, riche en paradoxes et rebondissements, marque une évolution des mentalités de certaines Académiciennes et de certains Académiciens, lente et probablement vaine du point de vue des politiques linguistiques, le gouvernement français ayant officiellement adopté la féminisation depuis plus de quarante ans10. En attendant, il parait légitime de se questionner sur l'intérêt actuel de l'Académie française.

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Vicari, Stefano 2012. Qui a le droit de réformer ? La question de l'autorité dans les débats sur les réformes de l'orthographe. Glottopol 19. http://glottopol.univ-rouen.fr/telecharger/numero_19/gpl19_09_vicari.pdf.

1 Ce travail est rédigé en écriture inclusive et applique les Rectifications.

2 Les rectifications se résument en dix grandes catégories : ajout et déplacement du tréma ; invariabilité du participe passé de laisser suivi d'un infinitif ; régularisation de l'accentuation, principalement des accents graves ; régularisation de l'accentuation des verbes en -eler/-eter et de leurs dérivés ; régularisation de l'accentuation des mots étrangers ; régularisation du singulier et du pluriel des mots composés ; régularisation du pluriel des mots étrangers ; soudure de certains mots composés ; suppression des accents circonflexes sur -i et sur -u, sauf en cas d'homographie ; régularisation d'anomalies diverses.

3 Ce principe correspond à la légitimation de la cohabitation de deux graphies d'une même unité lexicale.

4 Commission du dictionnaire de l'Académie française.

5 Pour conclure son avant-propos, Maurice Druon écrivait : « L'Académie ne refuse jamais la modernité. Elle ne refuse que ce qui peut menacer la pérennité de la langue ».

6 Le Groupe RO (2012a : 69) définit le stéréotype comme une « forme de représentation sociale nécessaire à la compréhension de ce qui nous entoure, mais souvent peu fondée scientifiquement, et dont les personnes se font l'écho sans nécessairement en avoir expérimenté elles-mêmes le bien-fondé ».

7 Lalangue  : concept forgé par le psychanalyste Jacques Lacan.

8 La corrélation entre le stéréotype et la non-scientificité est établie par la définition du stéréotype du Groupe RO (2012a). Cf. note 6.

9 Les principaux paradoxes décrits sont ceux de l'assentiment officiel de l'Académie envers le texte des rectifications, de son rapport aux nouvelles données linguistiques dans l'élaboration de travaux portant sur la langue, et de l'usage.

10 Nous désirons insister sur l'adverbe officiellement. À l'instar des Rectifications, la féminisation est un phénomène qui se répand lentement, progressivement et imparfaitement.