ISSN: 2663-9815 |
Studia linguistica romanica 2021.6
L'accord du participe passé des verbes conjugués avec 'avoir' dans plusieurs langues romanes, avec un focus sur l'occitan
Past participle agreement of verbs conjugated with 'have' in several Romance languages, with a focus on Occitan
Jean Sibille
Centre national de la recherche scientifique (UMR 5263) / Université Toulouse - Jean Jaurès
jsibille@univ-tlse2.fr
Reçu le 9/3/2020, accepté le 13/6/2020, publié le 12/10/2021 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
Résumé : Cet article se propose de confronter un certain nombre de données sur l'accord du participe des verbes conjugués avec aver 'avoir' en occitan, aux données concernant l'espagnol, le catalan et le français. Nous examinons les règles d'accord du participe des verbes conjugués avec 'avoir', en espagnol, catalan, français et occitan, d'un point de vue diachronique et synchronique. Les données analysées tendent à montrer que les hiérarchies implicationnelles définies par Smith (1995) pour le catalan, et Rodríguez Molina (2016) pour l'espagnol – en termes d'évolution diachronique et/ou de fréquence en synchronie –, sont, dans leurs grandes lignes, valables pour l'occitan et le français. Les données sur l'occitan gascon, invitent à clarifier ou à approfondir certains points concernant l'ensemble des variétés romanes.
Abstract: The aim of this article is to compare Occitan data on the past participle agreement of verbs conjugated with aver 'have' with Spanish, Catalan and French data from a diachronic and synchronic point of view. The data analyzed indicate that – in terms of diachronic evolution and/or frequency in synchrony – the implicational hierarchies defined by Smith (1995) for Catalan, and by Rodríguez Molina (2016) for Spanish are generally also valid for Occitan and French. The data on Gascon Occitan suggest that clarification and conceptual refinement are needed to account for all Romance varieties.
Sommaire
1 Introduction
2 Espagnol
3 Catalan
4 Français
5 Occitan
5.1 L'accord du participe conjugué avec 'avoir' en occitan : aperçu général
5.1.1 Languedocien oriental, provençal, niçois, mentonasque
5.1.2 Vivaro-alpin
5.1.3 Auvergnat
5.1.4 Limousin
5.1.5 Gascon
5.1.6 Languedocien occidental
5.2 L'accord du participe des verbes conjugués avec aver en languedocien occidental
5.2.1 L'enquête à Sénaillac-Lauzès
5.2.1.1 Accord avec le COD nominal postposé
5.2.1.2 Accord avec le pronom clitique COD
5.2.1.3 Accord avec le pronom relatif
5.2.1.4 Verbes transitifs à la voix pronominale
5.2.2 Approche quantitative sur un corpus écrit
5.2.2.1 Accord du participe avec le COD lexical postposé
5.2.2.2 Accord avec le relatif
5.2.2.3 Accord du participe avec le pronom clitique COD
5.2.3 Autres données
6 Accord du participe des verbes régissant un infinitif
6.1 Français
6.2 Catalan
6.3 Occitan
7 Valeur prédicative de la périphrase [habere + Participe]
8 Conclusions
Abréviations
Bibliographie
Annexes
[1] Jusqu'au 13e siècle, en ce qui concerne l'accord avec le COD du participe des verbes conjugués avec 'avoir', l'ensemble des langues gallo-romanes et hispano-romanes présentent un profil similaire : l'accord y est massif, quelle que soit la position du COD (postposé ou antéposé au verbe), sans être systématique, et sans qu'on ait pu établir que les cas de non-accord soient régis par des règles claires (Jensen 1994 ; Buridant 20001 ; Mercier 1879 ; Badia Margarit 1962 ; Rodríguez Molina 2010).
[2] À partir du 13e siècle on assiste à des évolutions chronologiquement décalées, dans le sens d'un recul de l'accord. De nos jours, l'espagnol présente le degré le plus avancé d'évolution : le participe des verbes conjugués avec l'auxiliaire 'avoir' reste invariable dans tous les cas, et l'occitan languedocien occidental, le degré d'évolution le moins avancé (en Rouergue et en Quercy, notamment, le participe s'accorde sensiblement dans les mêmes conditions qu'au 13e siècle). Par rapport à ces deux extrêmes, les autres dialectes occitans, le catalan et le français se situent à des niveaux d'évolution intermédiaires. Il convient, en outre, de préciser que l'espagnol et le catalan ont généralisé l'auxiliaire 'avoir' (haber, haver) pour la conjugaison de la voix active et réservent l'auxiliaire 'être' (ser, ésser) à la conjugaison de la voix passive, alors qu'en occitan et en français, certains verbes intransitifs2 se conjuguent avec 'être'. En outre, en espagnol et en catalan 'avoir' (esp. haber, cat. haver ← lat. habere) ne s'utilise que comme auxiliaire et a été remplacé, dans son sens lexical, par esp. tener, cat. tenir (← lat. tenere)3.
[3] Smith (1995 : 278-279) établit, pour le catalan, les différentes phases du recul de l'accord du participe :
A. General agreement,
B. Agreement with preceding direct object,
C. Agreement with third-person clitic pronoun direct object,
D. Agreement with third-person feminine clitic pronoun direct object,
E. General non-agreement,
en précisant : « Significantly, we appear not to find any exception to this hierarchy ».
[4] Le but principal du présent article est de confronter un ensemble de données sur l'accord du participe des verbes conjugués avec aver 'avoir' en occitan, aux données concernant l'espagnol, le catalan et le français. Une étude sur l'ensemble des variétés romanes du point de vue de l'accord du participe des verbes conjugués avec 'avoir', dépasserait largement le cadre d'un simple article. Il convient toutefois de signaler l'intérêt que, dans la perspective d'une étude plus large, présenterait l'italien, langue dont des dialectes touchent au domaine occitan et qui présente la propriété intéressante d'avoir deux auxiliaires (essere et avere), comme l'occitan et le français, ainsi qu'une grande variation dialectale en ce qui concerne la réalisation de l'accord (Loporcaro 2016 : 802-818 ; Rohlfs 1954 : § 725).
[5] Nous ne méconnaissons pas la difficulté que représente la comparaison entre des langues fortement normées comme l'espagnol ou le français, des langues moins fortement normées comme le catalan et une langue en grand danger comme l'occitan, qui ne possède pas de standard socialement connu et reconnu de la plupart locuteurs traditionnels4, et dont l'unité relative se manifeste à travers un diasystème. Néanmoins, dans la mesure où la linguistique ne saurait se limiter à l'étude de variétés normées, et dans la mesure également, où nous nous sommes efforcés de prendre en compte prioritairement, autant que possible, l'usage oral réel (le cas échéant, dans toute sa diversité et sa variabilité), nous considérons cette démarche comme légitime. Nous croyons en outre que l'étude des variétés non normées est de nature à constituer un apport majeur à la linguistique romane.
[6] Nous examinerons successivement les règles d'accord du participe des verbes conjugués avec 'avoir' en espagnol, catalan, français et occitan, dans une perspective diachronique et/ou synchronique, en accordant une attention particulière aux parlers languedociens occidentaux, qui présentent le stade d'évolution le plus archaïque. Nous évoquerons ensuite l'accord du participe des verbes régissant un infinitif, en français, catalan, et occitan. Enfin, nous examinerons dans quelle mesure la périphrase [habere + participe passé], parallèlement à sa grammaticalisation comme paradigme verbal, a continué, lorsqu'elle est employée transitivement, à pouvoir faire l'objet d'une interprétation prédicative dans laquelle le participe est attribut du complément d'objet, en particulier en occitan.
2 Espagnol
[7] En espagnol, l'accord du participe avait déjà presque totalement disparu dès la première moitié du 16e siècle (Rodríguez Molina 2010, 2016). S'il est vrai que, au Moyen-Âge, le phénomène recule au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, Rodríguez Molina (2010, 2016) montre que ce recul ne s'effectue pas de façon aléatoire et désordonnée, mais dépend de différents paramètres qui font que, à un moment donné de l'évolution et dans un cas donné, la probabilité de l'accord sera plus ou moins forte :
Así, mi hipótesis defiende que la concordancia entre el participio y el objeto en español antiguo se ajusta a una serie de jerarquías implicativas que expresan la mayor o menor probabilidad de que el participio concuerde con el objeto en un corte sincrónico determinado. (Rodríguez Molina 2016 : 436)
[8] S'inspirant des modèles théoriques de Greenberg (1966) sur les hiérarchies implicationnelles et de Smith (1995), Rodríguez Molina (2016 : 436) présente ces différents paramètres et leurs hiérarchies dans le tableau suivant (que nous traduisons de l'espagnol) :
a. Hiérarchie d'objet - non canonique5 → canonique + b. Hiérarchie nominale - nom → relatif → pronom personnel + c. Hiérarchie de position - postposé → antéposé → intercalé6 + d. Hiérarchie de genre et nombre des pronoms - masc. plur. → fém. plur. → fém. sing. + e. Hiérarchie de personne - 2 ou 1 → 3 + f. Hiérarchie de référencialité - sans déterminant → indéfini → défini ou universel + g. Hiérarchie d'animation - animé → inanimé ou abstrait + |
« - » = moins d'accords ; « + » = plus d'accords (les types d'objets situés le plus à droite présentent toujours des pourcentages d'accord supérieurs à ceux situés plus à gauche). |
Tableau 1 : Hiérarchies implicationnelles
L'étude statistique d'un large corpus composé de 63 textes médiévaux divisés en cinq étapes chronologiques allant du 13e au 15e siècle, lui permet, malgré quelques discordances mineures, de valider globalement ses hypothèses.
3 Catalan
[9] Les différentes éditions de la grammaire de Fabra (1918, 1933, 1956) tolèrent l'accord du participe quelle que soit la position ou la nature du COD, mais recommandent de ne l'accorder qu'avec les pronoms de 3e personne : la, els, les, en. La GLC, qui constitue désormais la norme officielle de l'Institut d'Estudis Catalans, se fondant sur l'usage, n'admet l'accord qu'avec la, els, les, et avec en dans son sens partitif. Elle signale que « aquesta concordança, però, a perdut terreny a favor de la construcció amb el participi invariable » (GLC : 492), mais préconise son maintien dans les usages formels.
[10] Dans l'usage réel, en dehors des Îles Baléares, dans le cas où le COD n'est pas un pronom clitique de 3e personne, le non-accord est, en effet, général (Badia Margarit 1962 : 466-467). Lorsque le COD est un clitique de 3e personne, les usages locaux sont variables : le catalan parlé à Barcelone, ainsi que le catalan nord-occidental tendent à généraliser le non-accord, alors que dans d'autres régions, notamment en Pays Valencien et en catalan nord-oriental (y compris en Roussillon), l'accord reste d'usage fréquent, ainsi que le montre la carte figurant dans Smith (1995 : 284), établie d'après les données de l'ALDC.
[11] Toutefois, là où l'accord avec les pronoms clitiques de 3e personne se maintient, la fréquence de celui-ci est variable suivant le pronom dont il s'agit : l'accord du participe avec le pronom féminin singulier la est plus fréquent qu'avec le pronom féminin pluriel les, et l'accord avec ce dernier, plus fréquent qu'avec le pronom masculin pluriel els ou avec en (Smith 1995 ; Saragossà 2002 ; GLC pour en). D'après Saragossà (2002), l'accord avec los7 ou en serait inexistant en valencien8. De fait, l'accord avec la est le seul qui ait un rôle fonctionnel, dans la mesure où en catalan, le pronom de 3e personne du singulier prend la forme l' devant voyelle (au lieu de masc. el, fém. la devant consonne), l'accord au féminin permet de lever une possible ambiguïté : l'he vist 'je l'ai vu', l'he vista 'je l'ai vue', alors qu'au pluriel il n'y a pas d'ambigüité possible, le pronom masculin els et le pronom féminin les étant toujours distincts. Pour Smith (1993) et Saragossà (2002), ceci explique la plus grande résistance de la au recul de l'accord ; au pluriel, la cohérence avec le singulier, expliquerait le fait que l'accord avec les soit plus fréquent que l'accord avec els ou en.
[12] Dans les Îles Baléares, et en particulier à Majorque, l'accord du participe est possible quelle que soit la position du COD, y compris lorsque celui-ci est postposé, même si, en dehors des pronoms la (fém. sing.) et les (fém. plur.) l'accord est en recul et est devenu optionnel (Salva i Puig 2018 ; Rosselló 2002). De plus, en catalan majorquin le participe de certains verbes intransitifs peut être accordé avec le sujet, bien que ces verbes se conjuguent avec haver. Il s'agit, pour la plupart, de verbes statifs ou de déplacement qui se conjuguaient anciennement avec ésser :
(1) |
Com és que no has venguda/vengut ? (Salva i Puig 2018 : 61) |
(2) |
Sa9 nòstra filha ja ha nascuda/nascut. (Salva i Puig 2018 : 61) |
ou bien de verbes exprimant un procès interne au sujet :
(3) |
Sa porcella quasi no ha engraixada/engraixat. (Salva i Puig 2018 : 61) |
Enfin, « és encara possible per a alguns parlants de Mallorca d'emprar l'auxiliar ésser per a formar els temps composts, sobretot en la 1a i la 2na persona del singular del perfect d'indicatiu [...] Es tracta d'un fenomen en clara recessió » (Salva i Puig 2018 : 62) :
(4) |
Me som rentat/rentada. (Salva i Puig 2018 : 62) |
(5) |
Com es que no ets venguda/vengut ? (Salva i Puig 2018 : 62) |
[13] En catalan roussillonais, les personnes 1, 2, 4, et 5 du présent de l'indicatif de sere ≈ estre 'être' et de haver ont été confondues. Si bien que sere ≈ estre se conjugue : son, ets, es, sem, seu, son, et haver : son, ets, ha, sem, seu, han10 (Gómez Duran 2011 : 257). L'accord du participe avec l'ensemble des clitiques objets (el, la, elze11, en) est possible mais optionnelle :
(6) |
La sem vista aqueix matí, la Regina. (Gómez Duran 2011 : 283) |
(7) |
Ja elze son trapats, els llibres que cercavi. (Gómez Duran 2011 : 283) |
(8) |
Ja elze havii crompades, les entrades. (Gómez Duran 2011 : 283) |
(9) |
A casa en sem tingudes sempre, de gallines. (Gómez Duran 2011 : 283) |
4 Français
[14] En français standard contemporain, les règles académiques d'accord du participe sont pour l'essentiel des règles orthographiques. En effet, à l'oral, il n'y a pas d'accord en nombre, compte tenu de la lénition de -s morphème du pluriel et de la disparition des oppositions de quantité vocalique. L'accord en genre ne concerne, à l'oral, qu'une minorité de verbes ayant un participe à féminin 'audible' ; exemples : pris ~ prise, fait ~ faite, dit ~ dit, offert ~ offerte, etc.
[15] D'un point de vue diachronique, l'effacement des marques d'accord est le résultat d'un processus d'évolution s'étalant du 16e siècle au 21e siècle. Au 16e siècle, -s morphème du pluriel est encore audible à la pause (Morin 2008 : 117) ; lorsqu'il ne se trouve pas à la pause il provoque l'allongement de la voyelle finale des participes à finale vocalique. À l'époque classique (17e et 18e siècles), la variété standard oppose les formes du masculin singulier, dotées d'une finale vocalique brève, aux autres formes, dont la finale est longue. Certaines variantes régionales opposent les formes masculines du singulier et du pluriel aux formes féminines du singulier et du pluriel :
nātŭm, fīnītŭm, cōsūtŭm |
nātōs, fīnītōs, cōsūtōs |
nāta(s), fīnīta(s), cōsūta(s) |
|
né, fini, cousu |
nés, finis, cousus |
née(s), finie(s), cousue(s) |
|
Classique standard |
[e i y] |
[eː iː yː] |
|
Nord-Ouest et Est |
[e i y] |
[eː iː yː] |
Tableau 2 : Voyelles finales des participes (Morin 2008 : 115)
[16] Localement, en français régional et dans certaines variétés primaires d'oïl, les finales longues ont pu évoluer vers des diphtongues : -é → [e] ~ ée(s) → [ei̯], [ɛi̯], [ai̯] (poitevin, Mercier 1879 : 135), [eːi̯] (Suisse Romande, Remacle 1994 : 59 ; wallon, Morin 2008 : 115), ou bien aboutir à des différences de timbre de type : courbé(s) [kurˈbǝ] ~ courbée(s) [kurˈbe] (parler gallo de Pléchâtel, Morin 2008 : 121). Les distinctions de durée commencent à disparaître au début du 19e siècle (Morin 2008 : 121), mais ont pu se maintenir dans certaines régions jusqu'au début du 20e siècle, voire plus tard, ou même subsister jusqu'à aujourd'hui, chez certains locuteurs, notamment en Bourgogne (Walter 1982), en Lorraine (Walter 1982), ou en Normandie (Leppelley 1975 ; c.p. de Jean-Pierre Montreuil)12. Enfin des réalisations de type -ue [yᵊ], -ée [eᵊ] ont pu également se maintenir localement jusqu'au début 20e siècle, comme le montrent les formes notées par Durand (1936) en région parisienne.
[17] D'après Mercier (1879 : 41), aux 11e-13e siècles : « Le participe s'accorde en général avec son régime mais il y a d'assez nombreuses exceptions ». Avec un COD lexical, la fréquence de l'accord est variable suivant l'ordre des constituants :
- |
avec [avoir + COD + Participe] : j'ai l'amitié connue, l'accord est massif ; |
- |
avec [avoir + Participe + COD] : j'ai connue l'amitié, l'accord par anticipation est « de règle », mais les exceptions sont plus nombreuses que dans la construction précédente. Buridant (2000 : 377) précise que la prose présente, dès le 13e siècle, une forte tendance à l'invariabilité du participe, mais certains textes font exception, comme Les Sept Sages de Rome ; |
- |
avec [Participe + avoir + COD] : connue ai l'amitié, l'accord « y a lieu quelquefois » ; |
- |
avec [COD + avoir + Participe] : amitié ai connue, l'accord est fréquent, mais cette construction est moins usitée que les précédentes. |
Mercier (1879) ne mentionne pas la construction [COD + Participe + avoir]. Selon Buridant (2000 : 377), elle est surtout employée en poésie pour des raisons de versification.
[18] Avec les pronoms clitiques le, la, les et le relatif que, toujours placés devant le verbe, il y a généralement accord, les exceptions sont rares. Mercier (1879) ne précise pas s'il en va de même avec les pronoms de 1e et 2e personnes, mais il semble que dans ce cas, l'accord soit moins fréquent13.
[19] Il s'agit là de tendances générales mais il y a d'importantes disparités d'un texte à l'autre et/ou d'une région à l'autre. Alors que, par exemple, l'absence d'accord est rarissime chez Chrétien de Troyes (12e siècle), quelles que soient la nature et la position du COD, dans les Sermons de saint Bernard, texte bourguignon ou lorrain du 12e siècle, « la règle d'accord est rare, presque inconnue » (Mercier 1879 : 69).
[20] Du 14e au 16e siècle, la construction [Participe + avoir + COD] disparaît (Mercier 1879 : 91). L'accord par anticipation, encore bien vivant au début du 14e siècle, devient rare au 16e siècle14. En ce qui concerne l'accord avec le relatif et les pronoms clitiques, rien, dans les textes, ne semble avoir vraiment changé depuis le 13e siècle : l'accord est fréquent sans être systématique. Au 17e siècle l'ordre [avoir + Participe + COD] est définitivement fixé dans les textes en prose, les autres constructions ne subsistant que comme licences poétiques, dans des textes versifiés ; l'accord par anticipation a disparu.
[21] La règle de position, qui constitue aujourd'hui la norme académique, est formulée pour la première fois au 16e siècle, par Clément Marot (Mercier 1879 : 110 ; Audibert-Gibier 1992 : 23) :
Enfans, oyez une leçon
Nostre langue a ceste façon,
Que le terme qui va devant
Volontiers régit, le suivant.
[...]
Il faut dire en termes parfaicts ;
« Dieu en ce monde nous a faicts » ;
Faut dire en parolles parfaictes ;
« Dieu en ce monde les a faictes » ;
Et ne faut point dire en effect ;
« Dieu en ce monde les a faict ».
Mais cette règle ne fait pas l'unanimité. Si elle est acceptée par Ramus (Mercier 1879 : 110 ; Audibert-Gibier 1992 : 23), elle est vivement combattue par certains grammairiens comme Meigret qui préconisent l'invariabilité du participe, d'autres comme Mathieu considèrent que l'accord est optionnel (Audibert-Gibier 1992 : 23). Bouhours (1675 : 361), se basant sur l'usage, remarque que lorsqu'il n'y pas de pause après le participe, l'accord ne se fait pas : « Cela est si vray que lors qu'on ajoûte quelque chose aprés, le participe redevient indéclinable, éstant suffisamment soûtenu par ce qui suit [...] ». Pour Brunot (1924 : 930) : « Cette observation toute phonétique est de premier ordre : elle correspondait à une différence réelle de prononciation chez les français de Paris et du centre ». En 1705, le secrétaire perpétuel de l'Académie française Régnier-Desmarais se déclarait encore contre la règle de position (Mercier 1879 : 115). Cette règle ne sera définitivement admise que dans la deuxième moitié du 18e siècle.
[22] D'après les données recueillies par Mercier (1879 : 128-136), au 19e siècle, dans certaines variétés primaires d'oïl (picard, normand, manceau, gallo, morvandiau, poitevin...), l'accord du participe avec le COD antéposé était loin d'être systématique, en particulier avec le relatif, mais pas seulement :
(10) |
- As-tu bé déviré la j'men d'au chon d'au vesin, Gauthier ? |
Mercier (1879 : 136) conclut : « En résumé, les patois, c'est-à-dire le français abandonné à lui-même et en dehors de toute influence, aiment le participe invariable ». Il est probable que cette tendance à l'invariabilité n'était pas limitée aux variétés primaires, dans la mesure où, entre vernaculaire prototypique, standard régional (ou 'français régional') et standard général, il existe un répertoire fluide.
[23] Audibert-Gibier (1992) expose les résultats d'une étude sur l'accord du participe en français oral, sur un corpus de 300 exemples authentiques comprenant des participes à accord audible. Il ressort de cette étude que, souvent, les règles académiques (et scolaires) d'accord du participe, ne correspondent pas à l'usage réel :
a) |
Avec un pronom clitique féminin de 3e personne : l', les : l'accord est majoritaire (64 %) lorsque « la zone postverbale est vide » (Audibert-Gibier 1992 : 13) (i.e. à la pause). Lorsque la zone postverbale est pleine l'accord est plus rare (« la proportion semble inversée », Audibert-Gibier 1992 : 13), ce qui rejoint la remarque de Bouhours (1675 : 361). |
b) |
Avec le pronom en l'accord est rare, mais pas impossible, contrairement à la norme académique qui, dans ce cas, rejette l'accord. |
c) |
Avec les pronoms de 1e et 2e personne : m' et t', l'accord est rare (1 exemple sur 6). |
d) |
Avec le relatif que, l'accord est minoritaire : 34 % lorsque la zone postverbale est vide, 24 % lorsque la zone postverbale est pleine. En présence d'un pronom clitique datif : lui ou leur, sur 13 exemples, aucun accord n'a été relevé. |
[24] Les modalités de l'accord du participe des verbes conjugués avec avoir en français oral contemporain peuvent donc se résumer de la façon suivante :
- |
L'accord du participe ne concerne que l'accord en genre des participes à accord audible. |
- |
L'accord avec le COD lexical postposé est impossible. |
- |
Avec le COD antéposé (clitique ou relatif) l'accord est optionnel, il est majoritaire avec les clitiques féminins l' et les lorsque la zone postverbale est vide, il est minoritaire dans les autres cas. |
En fin de compte :
Dire que les Français ont cessé d'accorder les participes passés équivaut à déplacer le problème : les Français continuent d'accorder les participes passés après l'auxiliaire avoir, selon des règles qui ne sont pas toujours celles apprises à l'école, mais rejoignent en partie des observations plus anciennes faites par certains grammairiens du XVIIe siècle. (Audibert-Gibert 1992 : 25)
5 Occitan
[25] Avant d'aborder la question de l'accord des participes en occitan, il convient de préciser que, même si, lorsqu'on écrit l'occitan en graphie normée dite classique ou alibertine, les participes présentent toujours, à l'écrit, quatre formes distinctes pour le masc.-sing., le masc.-plur., le fém.-sing. et le fém.-plur. : ex. pagat 'payé', pagats, pagada, pagadas ; du fait de la lénition de -s morphème du pluriel dans certains dialectes (voir carte 1 en annexe), tous les dialectes ne disposent pas de quatre formes distinctes à l'oral (ou dans des graphies alternatives) :
- |
Le gascon et la plupart des parlers languedociens disposent de quatre formes distinctes. |
- |
Dans les parlers auvergnats et limousins il existe généralement une seule forme pour le masc.-sing. et le masc-plur., mais deux formes distinctes pour le fém.-sing. et le fém.-plur. |
- |
Le niçois dispose d'une seule forme pour le masc.-sing. et le masc-plur., mais deux formes distinctes pour le fém.-sing. et le fém.-plur. |
- |
Le provençal a une seule forme pour le masc.-sing. et le masc.-plur. et une seule forme pour le fém.-sing. et le fém.-plur. |
- |
En vivaro-alpin la variation est importante et toutes les configurations précédemment énumérées existent, voire d'autres15. |
graphie |
portat |
portats |
portada |
portadas16 |
gascon et languedocien |
[purˈtat] |
[purˈtats] |
[purˈtaðɔ] |
[purˈtaðɔs] |
limousin |
[purˈta] |
[purˈtadɔ] |
[purtɔˈdaː] |
|
auvergnat |
[purˈta]17 |
[purˈtadɔ] |
[purˈtada] |
|
niçois |
[purˈtat(e)] |
[purˈtada] |
[purˈtadi] |
|
provençal |
[purˈta] |
[purˈtadɔ] |
Tableau 3 : Formes des participes en occitan
5.1 L'accord du participe conjugué avec 'avoir' en occitan : aperçu général
[26] Une première et courte synthèse sur l'accord du participe des verbes conjugués avec aver en occitan a été proposée par Ronjat (1913 : 158-163, 1937 : 589-592). Le thème est également traité brièvement par Lafont (1967 : 179-181). En ce qui concerne l'accord avec l'objet antéposé, Lafont (1967 : 179) affirme que « La tendance générale est à l'accord avec l'objet comme en fr », mais il ne fait pas de distinction entre accord avec le clitique COD et accord avec le relatif COD, alors que, comme on le verra plus loin, si l'accord avec le clitique est général sur tout le domaine occitan, c'est loin d'être le cas pour l'accord avec le relatif. Pour ce qui est de l'accord avec le COD lexical postposé, il rappelle qu'en occitan médiéval la tendance générale est à l'accord du participe avec l'objet, quelles que soient la nature et la position de celui-ci. Les données évoquées ensuite tendent à montrer que le recul de l'accord a été plus précoce à l'est, en Languedoc oriental et en Provence, mais, comme va le montrer la suite de cet article, en ce qui concerne l'usage contemporain, Lafont (1967 : 180) se trompe en affirmant que « tout l'Ouest est resté fidèle jusqu'à nos jours à l'accord » et que « Mis à part cette évolution récente qui isole Provence et Languedoc oriental, il apparaît que l'accord du participe perfectum dans les périphrases verbales est un phénomène bien assis dans l'usage ». En effet, en occitan contemporain, les phénomènes de recul de l'accord ne se limitent pas au Languedoc oriental et à la Provence mais touchent également l'Auvergne, le Limousin et la Gascogne.
5.1.1 Languedocien oriental, provençal, niçois, mentonasque
[27] En languedocien oriental (région de Montpellier, Béziers, Sète, Lodève, Cévennes : Compan 1981 ; Mâzuc 1899 ; Lamouche 1942 ; Thérond 2002 [1900]), en provençal (Giély 1995 ; Bartélémy-Vigouroux & Martin 2000 ; Domenge 2002 ; Martin & Moulin 1998), ainsi qu'en niçois (Toscano 1998) et en mentonasque18 (Ansaldi 2009), dans l'usage oral, le participe des verbes conjugués avec 'avoir' s'accorde avec le pronom clitique objet antéposé à l'auxiliaire, mais il ne s'accorde pas avec le COD nominal placé après le verbe. Avec le relatif objet, la tendance dominante est à l'absence d'accord, même si l'accord est encore possible, au moins localement, en particulier en Provence19, comme le montre la carte 2 en annexe (qui, il convient toutefois de le préciser, est basée sur des données datant de la dernière décennie du 19e siècle). Dans l'usage littéraire tel qu'il s'est constitué depuis le 19e siècle, l'accord avec le relatif est optionnel, avec des fréquences variables suivant les auteurs.
[28] Selon Moulin (2006 : 114), en Bas-Vivarais (sud de l'Ardèche), l'accord avec le relatif est optionnel : Las flors qu'avèm achaptat/achaptadas. D'après Camproux (1958 : 325), en Gévaudan (département de la Lozère), l'accord avec le relatif est fréquent mais optionnel. Sur la carte 2 (voir annexe) on observe l'accord aux deux points situés à l'ouest du département, mais pas sur les points situés à l'est et au sud.
5.1.2 Vivaro-alpin
[29] En vivaro-alpin, le participe s'accorde avec le clitique objet antéposé mais en général ne s'accorde pas avec le COD lexical postposé. Toutefois, dans ce dernier cas, d'après Rolland (1982 : 42), la « règle est moins rigide qu'en français et peut être transgressée ». En ce qui concerne l'accord avec le relatif COD, les données et les travaux disponibles ne permettent pas d'avoir une idée précise de la situation. La carte 2 en annexe, montre que dans le sud de la zone, à la fin du 19e siècle, l'accord avec le relatif était usuel. Pour la partie nord, la carte ne permet pas de déterminer s'il y a accord, étant donné que, dans cette zone, le participe des verbes à infinitif en -ar est épicène.
5.1.3 Auvergnat
[30] En auvergnat le participe s'accorde avec le clitique objet antéposé à l'auxiliaire mais il ne s'accorde pas avec l'objet postposé, ni avec le relatif, ni avec un complément nominal antéposé précédé d'un déterminant interrogatif (Bonnaud 1974, 1992 ; Michalias 1906 ; Dauzat 1912 ; Reichel 1991) :
(11) |
[ˈkelɔ ˈvaʦɔ l aj ʦaˈtadɔ] 'Quela vacha, l'ai 'chatada.
|
(12) |
[lɔ ˈvaʦɔ k aj ʦaˈta] La vacha qu'ai 'chatat.
|
(13) |
[ˈkaɲɔ ˈvaʦɔ za ve͂ˈɟy] Quanha vacha zas vendut ?
|
5.1.4 Limousin
[31] En limousin (Descomps & Gonfroy 1979 ; Lavalade 1987 ; Chauvin 1980 ; Tintou 1982 ; c. p. de Dominique Descomps, Jean-Christophe Dourdet, Rafèu Sichel-Bazin) la tendance générale est de faire l'accord avec le clitique objet antéposé mais pas dans les autres cas. Toutefois l'accord avec l'objet nominal postposé ou avec le relatif est encore possible localement, à titre optionnel (est de la Haute-Vienne, sud de la Creuse, notamment), mais il s'agit de pratiques résiduelles en régression :
(14) |
Avián barradas las tròias. (Lavalade 1987,
est de la Haute-Vienne)
|
(15) |
Zai vendut mas oelhas ou Zai vendudas mas oelhas. (Chauvin 1980, sud de la Creuse)
|
La carte 2 en annexe montre que dans la partie linguistiquement limousine du département de la Dordogne, l'accord avec le relatif était la règle à la fin du 19e siècle20.
5.1.5 Gascon
[32] En gascon (Romieu & Bianchi 2005 ; Rohlfs 1970 ; Hourcade 1986 ; Birabent & Salles-Loustau 1989 ; Bouzet 1975 ; Massoure 2012 ; Darrigrand 1974 ; Guilhemjoan 2006 ; Carrera 2007 ; Daulon 1991 ; Piques & Saint-Raymond 2017), en général, le participe ne s'accorde pas avec le COD nominal postposé. Il s'accorde avec le COD antéposé si celui-ci est un élément variable : pronom clitique masculin ou féminin, COD nominal précédé d'un déterminant interrogatif ou exclamatif. En revanche, lorsque l'élément antéposé est invariable : relatif qui21, clitique ne 'en', les ouvrages consultés sont unanimes pour considérer qu'en général, il n'y a pas d'accord22 :
(16) |
Qu'ei23 minjat una poma.
|
(17) |
Que las èi encontradas au mercat.
|
(18) |
Nos an arcastats de non pas aver acabat lo trabalh.
|
(19) |
Quinas pomas t'as crompadas.
|
(20) |
Crespets autan bons, non n'èi jamei minjat.
|
(21) |
Totas las gojatas qui a aimat.
|
Toutefois lorsque le relatif est précédé d'un pronom indéfini, d'un pronom démonstratif ou d'un article défini en fonction de pronom démonstratif, l'accord est possible et même fréquent, mais pas obligatoire (Romieu & Bianchi 2005 ; Hourcade 1986) :
(22) |
Preni la qu'ai causit/causida.
|
(23) |
Que deu èsser quauqu'ua qui Joan s'a debrombat/debrombada.
|
[33] Hourcade (1986 : 174) note qu'avec un substantif antéposé précédé de l'interrogatif invariable quant 'combien', aujourd'hui dominant, l'accord ne se fait pas :
(24) |
Quant de pomas as minjat.
|
En revanche, si on utilise la forme archaïsante de l'interrogatif, qui s'accorde avec le substantif, le participe s'accorde :
(25) |
Quantas pomas as minjadas ?
|
[34] À côté de ces tendances générales, les données disponibles montrent qu'il peut exister localement des pratiques résiduelles archaïsantes.
[35] Dans l'œuvre littéraire de Miquèu de Camelat (1871-1962), contrairement à ce qu'on peut observer en général dans la langue parlée ou chez d'autres auteurs gascons, on rencontre de nombreuses occurrences d'accord du participe avec le COD nominal postposé :
(26) |
Qu'an netejada la montanha (Belina)
|
(27) |
Avètz entenuts aqueths crapautots ? (Vita vitanta)
|
ou avec un relatif :
(28) |
Tasta la patz qui ns'as balhada (L'espiga aus dits)
|
À ce propos, Hourcade (1986 : 176) écrit : « En béarnais cet accord se faisait certainement encore récemment25. Du moins, on en trouve de nombreux exemples dans les écrits de M. de Camelat : [...] toutefois, à l'heure actuelle, le béarnais a opté pour le non-accord (comme le français). »
[36] La grammaire de Bouzet (1975 : 74) cite la phrase suivante : Que se-m èy desmoumbrada la toua coumissiou 'J'ai oublié ta commission' (litt. 'Je m'ai oubliée...'), sans mention de source (il s'agit probablement d'un exemple inventé).
[37] Sur la carte 2499 de l'ALG, l'accord avec l'objet lexical postposé a été relevé sur 5 points, sur un total de 150 points d'enquête (trois en Bigorre, un en Béarn et un dans les Landes), mais pas sur l'ensemble des 5 énoncés sollicités26 (3 accords sur 5, au point 695.O27, 1 sur 5 sur les autres points).
[38] La carte 2502 de l'ALG fait apparaître douze points où l'accord se fait avec le clitique ne 'en', cinq aux confins du Gers et de la Haute-Garonne, deux à la limite du Gers et des Hautes-Pyrénées, cinq dans l'ouest de la Bigorre.
[39] La carte 2500 de l'ALG permet également de constater que l'accord se fait parfois avec le pronom datif lorsque celui-ci est de même forme que le pronom accusatif :
(29) |
[ke laz ɛi̯ βaˈʎadǝs ˈyǝ ˈpumǝ] Que las èi balhadas
ua poma (pt. 681.SE)
|
(30) |
[kuz ɛi̯ ˈdats ˈyɔ ˈpumɔ] Que'us èi dats ua poma (pt. 686.S)
|
Dans ce dernier cas il ne s'agit pas d'un archaïsme mais d'une innovation. Les données de l'ALG (carte 2498) confirment également que l'accord avec les pronoms clitiques objets (sauf ne) est général, mais que l'accord avec le relatif est beaucoup plus rare.
5.1.6 Languedocien occidental
[40] En languedocien occidental, l'accord est massif, sinon toujours obligatoire, quelle que soit la position du COD. Dans la section suivante, nous allons étudier en détail ce phénomène, à partir d'une enquête de terrain effectuée en 2004-2005 et en 2011-2012 à Sénaillac-Lauzès (département du Lot) et d'un corpus de textes figurant dans la base BaTelÒc.
5.2 L'accord du participe des verbes conjugués avec aver en languedocien occidental
5.2.1 L'enquête à Sénaillac-Lauzès
[41] Cette enquête a été effectuée auprès de 9 locuteurs (sept femmes et deux hommes) en 2004-2005 et en 2011-2012. Les données recueillies se composent des réponses à un questionnaire de 883 questions, administré sous forme de mots ou de phrases prononcés en français par l'enquêteur et traduits en occitan par l'informateur, ainsi que d'entretiens libres entre l'enquêteur et l'informateur ou entre les informateurs (pour plus de détails, voir Sibille 2015).
[42] Il convient d'abord de préciser que dans le parler de Sénaillac-Lauzès, contrairement à la plupart des parlers languedociens, il y a, dans certains contextes, lénition complète de -s morphème du pluriel (dans d'autres il y a vocalisation en [j] ou ajout d'une voyelle d'appui). Ceci a pour conséquence que les formes du singulier et du pluriel des participe masculins des verbes réguliers et de la plupart des verbes irréguliers, sont homophones (en revanche les formes du féminin singulier et du féminin pluriel sont toujours distinctes). Dans la plupart des cas, l'accord au masculin pluriel ne s'entend qu'avec les participes des verbes irréguliers ayant une forme différente au masculin singulier et au masculin pluriel28. On aura donc : [kɔnˈta(t)] cantat ou cantats, [kɔnˈtadɔ] cantada, [kɔnˈtadɔj] cantadas, mais [bi] vist, [biste(ʒ)] vistes, [bistɔ] vista, [bistɔj] vistas, ...
5.2.1.1 Accord avec le COD nominal postposé
[43] Dans ce cas l'accord du participe est massif :
(31) |
Totas las autras avián quitada la classa.
(s)29
|
(32) |
A liurada l'aiga sul plancat. (q)
|
(33) |
Ai coneguda una memè que parlava pas francés. (s)
|
y compris dans des phrases stéréotypées telles que :
(34) |
Ai presa ma decison. (s)
|
(35) |
N'aviá pas presas las mesuras. (s)
|
ou dans les locutions verbales composées d'un verbe suivi d'un substantif sans article :
(36) |
Aviá facha secada atanben. (s)
|
(37) |
Auriàm facha fortuna, se se foguèsson vendudas. (s)
|
(38) |
A facha calor. (s)
|
Il est rare que l'accord ne soit pas respecté mais ce n'est pas impossible :
(39) |
Avèm mejanat las doás crambas. (s)
|
(40) |
Ai pres lus fromatges qu'èron dins lo panièr. (q)
|
(41) |
A crenhat la freg. (s)
|
5.2.1.2 Accord avec le pronom clitique COD
[44] Dans ce cas l'accord est systématique :
(42) |
Lus ai vistes. (q)
|
(43) |
N'ai vistes de pròche. (s)
|
(44) |
De medecins, n'ai pas vistes cap. (s)
|
(45) |
Io, l'ai dançada. (s)
|
(46) |
Las avián montadas sus de camions, lor avián rasat
lo cap. (s)
|
5.2.1.3 Accord avec le pronom relatif
[45] Avec un COD pronom relatif, sur six occurrences au féminin dans le corpus, nous avons six accords :
(47) |
A manjadas totas las cirièras qu'aviái crompadas. (q)
|
(48) |
Cal còire la lèbre qu'ai tuada. (q)
|
tandis que sur deux occurrences de relatifs masculins avec un participe à accord 'audible', l'un d'eux est accordé, l'autre ne l'est pas :
(49) |
... d'aquelses qu'agèt preses. (s)
|
(50) |
Lus gendarmas qu'ai vist. (au lieu de vistes) (q)
|
5.2.1.4 Verbes transitifs à la voix pronominale
[46] Lorsqu'un verbe transitif est conjugué à la voix pronominale, il y a conflit d'accord entre le sujet et l'objet. Dans ce cas, si le sujet est féminin l'accord se fait avec le sujet :
(51) |
La vesina s'es torçuda lo pè. (q)
|
(52) |
S'es crompada un tractur. (q)
|
(53) |
Se son copadas la camba. (q)
|
Si le sujet est masculin et l'objet féminin, l'accord se fait le plus souvent avec l'objet, mais ce n'est pas systématique :
(54) |
Lo vesin s'es copada la camba. (q)
|
(55) |
Lo dròlle s'es lavat las mans. (q)
|
5.2.2 Approche quantitative sur un corpus écrit
[47] Afin de procéder à une étude quantitative de l'accord du participe en languedocien occidental, nous avons choisi, dans la base BaTelÒc, cinq auteurs nés avant 1932 : Henri Mouly (1896-1981), Jean Boudou (1920-1975), Ferdinand Deléris (1922-2009), André Lagarde (né en 1925), Marcel Esquieu (1931-2015). Les trois premiers sont natifs des environs de Villefranche-de-Rouergue, en Aveyron, (zone où l'accord du participe en toutes positions nous semblait, a priori, particulièrement fréquent), André Lagarde est natif de Bélesta en Ariège et Marcel Esquieu, de Hautefage-la-Tour (Lot-et-Garonne), tous sont issus de familles paysannes et ont l'occitan comme langue première. Pour chaque auteur le nombre de mots contenus dans la base est le suivant : Mouly, 86385 mots ; Boudou, 375246 ; Delèris, 185197 ; Esquieu, 61850 ; Lagarde, 34229.
5.2.2.1 Accord du participe avec le COD lexical postposé
[48] Nous avons relevé l'ensemble des occurrences de formes verbales des temps composés, conjuguées avec aver et suivies d'un COD lexical30. Nous avons ensuite calculé, pour chaque auteur, les fréquences respectives d'accord et de non-accord, au féminin-singulier, au masculin-pluriel et au féminin-pluriel. Nous obtenons les résultats suivants :
fs0 |
mp0 |
fp0 |
Total non-accord |
fs1 |
mp1 |
fp1 |
Total accord |
|
Boudou |
7 (9%) |
7 (25%) |
0 |
14 (10%) |
73 (91%) |
21 (75%) |
32 (100%) |
126 (90%) |
Deléris |
18 (17%) |
13 (32%) |
2 (5%) |
33 (18%) |
91 (83%) |
28 (68%) |
35 (95%) |
154 (82%) |
Mouly |
36 (73%) |
16 (94%) |
8 (57%) |
60 (75%) |
13 (27%) |
1 (6%) |
6 (43%) |
20 (25%) |
Esquieu |
9 (37%) |
1 (9%) |
2 (29%) |
12 (29%) |
15 (63%) |
10 (91%) |
5 (71%) |
30 (71%) |
Lagarde |
13 (65%) |
2 n.s. |
5 (55%) |
20 (65%) |
7 (35%) |
0 n.s. |
4 (45%) |
11 (35%) |
féminin-singulier : fs0 = absence d'accord, fs1 = accord ; masculin-pluriel : mp0 = absence d'accord, mp1 = accord ; féminin-pluriel : fp0 = absence d'accord, fp1 = accord
Tableau 4 : Accord du participe avec le COD lexical postposé
[49] On constate que l'accord est largement majoritaire chez Boudou (90 %), Deléris (82 %) et Esquieu (71 %), mais minoritaire chez Mouly (25 %) et Lagarde (35 %).
[50] L'accord au féminin est plus fréquent que l'accord au masculin pluriel31, sauf chez Esquieu, mais les scores relevés chez cet auteur ne sont peut-être pas significatifs, compte tenu du faible nombre d'occurrences. Chez l'ensemble des auteurs, l'accord au féminin pluriel obtient des scores plus élevés que l'accord au féminin singulier. Exemples :
(56) |
Aviam acabada la sopa. (Boudou)
|
(57) |
Aquesta annada, avèm aguts aubricòts. (Esquieu)
|
(58) |
Lo Viet Minh a confiscadas lors tèrras.
(Deléris)
|
(59) |
Ai copat la pigassa al primièr truc. (Lagarde)
|
(60) |
An bastit una òbra santa. (Mouly)
|
5.2.2.2 Accord avec le relatif
[51] L'accord du participe avec le relatif COD est massif mais pas systématique :
accord |
non accord |
Total |
|
Boudou |
26 |
1 |
27 |
Deléris |
7 |
0 |
7 |
Mouly |
27 |
5 |
32 |
Esquieu |
2 |
0 |
2 |
Nous n'avons trouvé aucune occurrence dans le texte de Lagarde.
Tableau 5 : Accord du participe avec le relatif COD
Exemples :
(61) |
totas las cruselitats qu'avètz complidas. (Boudou)
|
(62) |
un òme que parlava de poses qu'aviá pas mesurats.
(Boudou)
|
(63) |
una repression ampla, qu'ai pas desirada. (Deléris)
|
(64) |
l'aiga qu'avián aversada en la carrejant. (Mouly)
|
(65) |
aquela poma d'aurange qu'aviá crompat per elses.
(Mouly)
|
(66) |
Femna, monta lo vin dins las flascas qu'ai portat !
(Boudou)
|
5.2.2.3 Accord du participe avec le pronom clitique COD
[52] Avec un pronom clitique COD, l'accord est systématique, y compris avec le pronom ne 'en'. Exemples :
(67) |
La farina, l'ai estremada dins l'armari. (Deléris)
|
(68) |
L'a arrapada e se l'a emportada. (Lagarde)
|
(69) |
Dempuèi lo temps que n'aviái pas manjadas ! (Boudou)
|
(70) |
A pro pena, los avèm retenguts. (Esquieu)
|
(71) |
E per quala rason los ancians las avián metudas aquí ?
(Mouly)
|
5.2.3 Autres données
[53] Les comptages effectués par Stroh (2002) sur les œuvres de 17 écrivains et conteurs rouergats confirment, dans l'ensemble, nos constatations. En ce qui concerne l'accord du participe avec le COD lexical postposé (Stroh 2002 : 46-49), on constate de grandes disparités d'un auteur à l'autre : de 100 % d'accords chez l'abbé Bessou (1845-1918) à 14 % chez Henri Fournier (1907-1972).
[54] Récemment, lors d'une enquête de terrain à Quérigut, aux confins de l'Ariège et des Pyrénées-Orientales, tant dans des réponses à un questionnaire que dans des entretiens, nous avons relevé plusieurs occurrences d'accord avec le COD lexical postposé, sans que ce soit systématique :
(72) |
A crompadi fromatges.
|
(73) |
È crompades tres galhines.
|
6 Accord du participe des verbes régissant un infinitif
6.1 Français
[55] En français, la norme académique veut qu'on accorde, à l'écrit, le participe avec l'objet antéposé lorsque celui-ci est complément du verbe recteur et qu'on ne l'accorde pas lorsqu'il est complément de l'infinitif : La femme que j'ai entendue chanter, mais : La chanson que j'ai entendu chanter. Toutefois, dans le cas de faire (ou refaire), la norme prône l'invariabilité dans tous les cas, y compris dans le cas des emplois pronominaux où faire se conjugue avec être : La chanteuse que j'ai fait chanter ; La chanson que j'ai fait chanter ; Elle s'est fait soigner. Les grammaires justifient cette règle par le fait que [faire + Infinitif] forme une périphrase factitive dans laquelle faire fait corps avec l'infinitif.
[56] À l'oral, l'accord du participe n'est observable qu'avec faire et refaire, car aucun autre verbe pouvant régir un infinitif ne possède un participe à accord audible. L'étude d'Audibert-Gibert (1992), montre que la règle académique n'est pas respectée :
Avec faire verbe causatif, le participe tend à s'accorder lorsqu'il est suivi d'un attribut du complément d'objet ou d'un infinitif, aussi bien avec l'auxiliaire avoir qu'avec l'auxiliaire être : / on l'a faite belle / je l'ai faite bouillir / je me suis faite soigner /. Cet usage est contraire à la norme scolaire et à la tendance générale relevée dans d'autres règles. (Audibert-Gibert 1992 : 18)
Pour faire conjugué avec avoir on trouve, dans le corpus, quatre exemples avec accord et un seul sans accord :
(74) |
Cette route, je crois qu'il me l'a faite prendre. (Audibert-Gibert 1992 : 27) |
(75) |
Cette idée nous l'avons faite avancer. (Audibert-Gibert 1992 : 28) |
(76) |
Cette chemise [...], je l'ai refaite bouillir. (Audibert-Gibert 1992 : 28) |
(77) |
C'est la première loi qu'il avait faite passer à l'assemblée. (Audibert-Gibert 1992 : 29) |
(78) |
C'est lui qui l'a fait provoquer [la guerre]. (Audibert-Gibert 1992 : 30)32 |
6.2 Catalan
[57] En catalan, la norme fabriste33 reprend la règle académique française (Fabra 1918, 1933 : 96, 1956 : 87-88) : Aquesta dona, l'he sentida cantar, mais : Aquesta cançó, l'he sentit cantar, en faisant une exception pour certains verbes : poder, voler, gosar, deure, haver de, començar a, deixar34, avec lesquels l'accord du participe avec le complément de l'infinitif est autorisé, sans être obligatoire : La carta, no l'han poguda acabar ou La carta, no l'han pogut acabar. Cependant, Fabra (1954-1955 [1919-1928] : 232) reconnaît lui-même que :
El català parlat manca a aquesta regla, podent fer concordar el participi amb el complement tant si aquest és complement del participi com si és complement del verb en infinitiu. Així [à Barcelone] diem L'hem sentida cantar el mateix si ens referim a una dona que si ens referim a una cançó.
[58] La GLC (p. 1018) maintient la règle : « en els registres formals, s'opta per no fer la concordança quan el pronom d'acusatiu no representa el subjecte de l'infinitiu ». Elle maintient également l'exception : « La concordança també es dóna en aquells casos en què el verb que va en participi és un verb modal (poder, gosar, haver de, deure), o proper a un modal (voler, saber), o bé un verb causatiu (fer, deixar) » (p. 492). En réalité, dans l'usage oral :
[La] concordança és independent del fet que i haja o no i haja una oració d'infinitiu al costat del participi ; i, si n'i ha, també es independent del fet que els pronoms febles el i en siguen o no siguen l'objecte directe de l'oració principal. (Saragossà 2002 : 553)
6.3 Occitan
[59] Les relevés que nous avons effectués dans la base BaTelÒc montrent que les différents dialectes occitans accordent généralement les participes régissant un infinitif suivant les mêmes modalités que lorsqu'ils ne sont pas suivis d'un infinitif.
[60] En ce qui concerne l'enquête à Sénaillac-Lauzès, on constate que lorsque le COD est un pronom clitique ou un relatif, le participe est le plus souvent accordé :
(79) |
L'aviá facha far. (s)
|
(80) |
N'ai vistes partir planses. (s)
|
(81) |
Las fedas, las ai fachas sortir. (q)
|
(82) |
Lus ai vistes sortir. (q)
|
(83) |
La voetura qu'ai vista passar rotlava viste. (q)
|
Mais nous avons aussi relevé :
(84) |
La voetura qu'ai vist passar. (q)
|
(85) |
Lus gendarmas qu'ai vist passar. (q)
|
Avec un COD lexical postposé, l'accord semble moins fréquent :
(86) |
Ai vist passar lus gendarmas. (q)
|
(87) |
Ai vist passar una voetura. (q)
|
(88) |
Ai vista passar una voetura. (q)
|
7 Valeur prédicative de la périphrase [habere + Participe]
[61] En latin, dès l'époque archaïque, une structure telle que habeo litteras scriptas, a souvent une valeur prédicative35 exprimant l'état résultant, dans laquelle le participe doit s'analyser comme un attribut du COD et non comme une épithète :
Bien sûr on ne peut pas nier l'existence d'attestations du type habeo epistulam scriptam 'j'ai une lettre écrite', où le participe passé figure comme une vraie épithète [...]. Nous ne manquons pas non plus d'attestations où le participe passé a une fonction plutôt prédicative, sans que se perde la possibilité de donner une interprétation possessive au verbe habere. [...] Si des exemples qui se prêtent à une lecture possessive existent donc dès l'époque plautine, il n'a pas échappé aux chercheurs que d'autres exemples, présents dans Plaute également, excluent toute interprétation possessive : (7) illa omnia missa habeo quae ante agere occepi36 (Plaut. Pseudo, 2, 2, 8). (Jacob 1995 : 369-370)
Pour Jacob (1995), qui reprend une hypothèse formulée par Bourciez (1967 : 116, 268-269), c'est l'interprétation prédicative de la structure qui explique la genèse des temps composés dans les langues romanes37.
[62] Cependant, ainsi que le remarquait Bourciez (1967 : 117), « la valeur originelle de la périphrase n'a pas disparu du coup et elle a laissé certaines traces jusque dans les langues romanes ». En ancien français, une phrase telle que :
(89) |
J'ai le Français encore emprisonné.
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« témoigne que le participe peut encore être senti comme un prédicat du régime avec un verbe avoir ayant son sémantisme plein »38 (Buridant 2000 : 376). Il en va de même en ancien occitan. Bec (1970 : 218, 1971 : 119) évoque l'ambiguïté des structures habere + Participe en ancien espagnol et en ancien français, qui peuvent s'interpréter comme des « parfaits » ou comme des structures où « le p. passé a conservé sa valeur d'attribut »39.
[63] Mercier (1879 : 102-103), à la suite d'autres philologues, remarque que, chez certains écrivains du 16e siècle (pas tous), notamment Rabelais, l'accord n'a pas lieu lorsque « le participe exprime l'action » mais qu'il a lieu « lorsque le participe exprime l'état ». Les quatre exemples donnés pour les cas où il y a accord peuvent – ou doivent – tous être interprétés comme des constructions prédicatives :
(90) |
J'avois escrite au plus haut de la face,/Avec la honte, une agréable audace/Pleine d'un franc désir (Ronsard) |
(91) |
[...] j'aurai toujours éprise/D'un souvenir, l'âme qui vit en moi (Ronsard) |
Il faut comprendre une agréable audace était écrite et mon âme sera toujours éprise.
[64] Ce n'est que lorsque l'ordre des mots devient plus rigide, au 17e siècle (pour le français et l'occitan), que s'opère une claire distinction entre les constructions de type j'ai coupé les cheveux et j'ai les cheveux coupés. Toutefois, il peut encore y avoir ambiguïté lorsque le COD est un clitique ou un relatif. En 1705, Régnier-Desmarais voyait une différence de sens entre Ces livres je les ay rangé par ordre dans mon cabinet (Mercier 1897 : 115), le participe exprimant ici l'action, et Ces livres je les ay rangez par ordre dans mon cabinet, où le participe exprimerait l'état (dans la terminologie de Mercier 1879), c'est-à-dire qu'on serait, dans le deuxième cas, en présence d'une structure prédicative qu'on pourrait gloser par J'ai ces livres rangés par ordre dans mon cabinet (équivalente de Ces livres sont rangés par ordre dans mon cabinet) dans laquelle rangés est attribut du COD livres.
[65] En occitan moderne, et en français régional du Sud-Ouest, la séquence [COD clitique ou relatif + aver/avoir + Participe] ne doit pas toujours s'interpréter comme un temps composé (passé composé, plus-que-parfait, etc.), mais parfois comme une structure prédicative :
(92) |
L'amor del païs ganhèt. Son ama de Roergata, qu'aviá cavilhada a la
tèrra dels aujòls, parlèt plus naut que l'enveja d'anar galopar (Mouly)
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Cette phrase ne signifie nullement que, dans le passé, 'elle avait chevillé son âme à la terre des aïeux', mais que, au moment dont on parle, 'son âme était chevillée à la terre des aïeux'. Si on remplace le relatif par le substantif in situ, cela donne : Aviá son ama cavilhada a la tèrra dels aujòls et non pas : Aviá cavilhada/cavilhat son ama a la tèrra dels aujòls. Cet exemple dans lequel le participe est attribut du COD, illustre la survivance en occitan de la structure prédicative du latin. Dans cette structure le COD peut être de différentes natures : participe, adjectif, syntagme prépositionnel. Ce qu'on peut illustrer par les exemples suivants :
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Ai la femna (de) malauda.
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(94) |
A la femna (de) malauda.
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Avèm lo filh a Paris.
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Ai tres vacas dins lo prat.
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- Ont son los comuns ? - Los avètz dins lo corredor.
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Dans ces phrases aver n'a pas le sens de 'posséder', 'détenir' ou 'avoir avec soi' mais signifie, plus largement, que l'objet a un rapport, ou est mis en rapport, avec la 'sphère personnelle' du sujet40.
[66] En catalan et en espagnol, la construction prédicative a subsisté mais tenir/tener, s'y est substitué à haver/haber : cat. No tenim redactades les reclamacions (GLC : 950) ; esp. No tenemos redactadas las reclamaciones.
[67] Les données concernant l'occitan, tendent à montrer que les hiérarchies implicationnelles définies par Smith (1993, 1995) pour le catalan, et Rodríguez Molina (2010, 2016) pour l'espagnol – en termes d'évolution diachronique et/ou de fréquence en synchronie – sont, dans leurs grandes lignes, c'est-à-dire si l'on s'en tient à un haut degré de granularité, valables pour l'ensemble des variétés d'occitan. En effet, aucun parler ne viole la hiérarchie établie pas Smith (1995) : les parlers occitans présentent différents stades d'évolution se situant à des niveaux intermédiaires entre le stade A et le stade C, sans atteindre le stade C (accord avec les seuls clitiques de troisième personne). En ce qui concerne les hiérarchies implicationnelles définies par Rodríguez Molina (2010, 2016), les contraintes relevant des hiérarchies b. (hiérarchie nominale) et c. (hiérarchie de position) ne sont jamais violées. Il n'y a pas lieu de se poser la question du respect de la hiérarchie d. (hiérarchie de genre et nombre des pronoms), puisque l'accord avec le clitique objet est général41. Pour ce qui est des autres hiérarchies, qui relèvent d'un degré plus fin de granularité : a. (hiérarchie d'objet), e. (h. de personne), f. (h. de référencialité), g. (h. d'animation), les travaux disponibles et les données analysées ne permettent pas de déterminer si elles s'appliquent à l'occitan ; cela nécessiterait des études approfondies sur de grands corpus.
[68] Il paraît logique de penser que l'occitan pratique l'accord du participe des verbes conjugués avec aver avec plus d'intensité que les autres variétés romanes, parce que la construction auxiliée co-existe avec la construction prédicative : la possibilité de ai la sopa (de) cuècha, litt. 'j'ai la soupe (de) cuite' contribuant à la conservation de l'accord dans ai cuècha la sopa, litt. 'j'ai cuite la soupe'. Il faut toutefois rester prudent sur ce point et cette explication ne nous semble pas suffisante. En effet, il ne semble pas que les parlers qui ne pratiquent pas l'accord avec l'objet lexical postposé et tendent à abandonner l'accord avec le relatif, pratiquent moins la construction avec attribut de l'objet. On peut aussi invoquer l'exemple du portugais qui a ter aussi bien dans les formes auxiliées que dans la construction prédicative, mais ne pratique pas l'accord dans les formes auxiliées. Il faut, en revanche, remarquer que les parlers qui pratiquent l'accord avec l'objet lexical postposé et le relatif – en particulier en Quercy et en Rouergue – manifestent généralement, une grande 'appétence' pour toutes sortes d'accord que beaucoup d'autres parlers ne pratiquent pas : accord des quantifieurs adverbiaux : tantas (de) pomas42 'tant de pommes', de pomas, n'ai plansas, prossas, mensas, paucas, tròpas... 'des pommes, j'en ai beaucoup, assez, moins, peu, trop...' ; avec l'interrogatif quant 'combien' : quantas pomas ? 'combien de pommes ?' ; accord de la négation (pas) p(l)us 'ne...plus' avec l'objet : de pomas, n'ai (pas) p(l)ussas 'des pommes, je n'en ai plus' ; accord sylleptique au pluriel, du participe avec un sujet au singulier référant à un collectif (obligatoire avec lo monde dans le sens de 'les gens', facultatif dans les autres cas) : una laire que tiravon un parelh de buòus litt. 'un araire que tiraient une paire de bœufs', Lus Alemands veniáun de sus Canhac e lo maquís davalavon, veniáun devás Solòmes, litt. 'Les Allemands venaient de vers Caniac et le maquis descendaient, ils venaient vers Soulomès' (corpus Sénaillac, Sibille 2015 : 227) ; possibilité d'accorder le verbe au pluriel lorsque le sujet est degun 'personne' ou cap 'aucun' : Degun d'aqueste ostal te faràn metre a la prison, litt. 'Personne de cette maison ne te feront mettre à la prison' (Oliviéri & Sauzet 2016 : 347). C'est probablement la conjonction de cette 'appétence' pour l'accord et la coexistence de la construction prédicative avec les formes auxiliées, qui a provoqué le maintien de l'accord avec l'objet lexical postposé et le relatif.
[69] Les données sur le gascon, invitent à clarifier ou à approfondir certains points concernant l'ensemble des variétés étudiées, voire, au-delà, l'ensemble des langues romanes :
a) |
Le cas des COD lexicaux antéposés précédés d'un déterminant interrogatif, a été peu étudié. Quelle place ce cas a-t-il dans la hiérarchie des différents types de COD antéposés ? |
b) |
Il en est de même pour les structures composées d'un démonstratif ou d'un article en fonction de démonstratif, suivi d'un relatif (oc. los que, la que, las que ou aquel que etc.). Quelle place ont-elles dans la hiérarchie des différents types de COD antéposés ? Opposent-elles une plus grande résistance au recul de l'accord du participe que les relatifs ayant un antécédent lexical ? |
c) |
La distinction entre COD antéposés variables vs. invariables, établie par les grammaires gasconnes, est-elle pertinente pour l'ensemble des variétés romanes ? |
[70] Nous avons pu mettre en évidence l'existence, localement, de certaines évolutions atypiques : accord du participe avec le sujet de certains verbes anciennement conjugués avec ésser, en catalan majorquin ; possibilité d'accorder le participe avec le clitique datif lorsque celui-ci est de même forme que le clitique accusatif, dans certains parlers gascons.
[71] Dans le cas de l'accord avec le COD antéposé, les données concernant le français montrent que le fait que la zone postverbale soit pleine ou vide peut avoir une influence sur l'accord. Cet aspect ne semble pas avoir été étudié dans les autres langues romanes.
[72] Il nous est apparu que les règles académiques régissant l'accord du participe en français sont des règles artificielles qui n'ont jamais correspondu à un usage oral spontané. Il en est de même pour la règle d'accord des participes régissant un infinitif, en catalan.
[73] Enfin, nous pensons que la fixation de l'ordre des mots, a représenté une étape cruciale dans la phase finale du processus de grammaticalisation de la périphrase [habere + Participe passé], en précipitant le mouvement de recul de l'accord du participe, la disparition totale de l'accord constituant l'étape ultime de ce processus.
COD = complément d'objet direct
fém. = féminin
h. = hiérarchie
litt. = littéralement
masc. = masculin
plur. = pluriel
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Carte 1 : Les dialectes occitans
Carte 2 : L'accord du participe des verbes conjugués avec 'avoir', avec le relatif, en occitan, d'après la carte 1537 de l'ALF : (la charette) que le domestique a chargée. Le trait fin noir délimite la zone à l'intérieur de laquelle il n'y a pas de 'trous' entre les différents points où l'accord a été relevé (zone continue d'accord réalisé). Cette zone correspond approximativement à la zone à l'intérieur de laquelle l'accord avec le COD lexical postposé est usuel. Dans la partie catalane de l'ALF (Pyrénées-Orientales), limitrophe de l'Aude et de l'Ariège, qui ne figure pas sur cette carte, sur cinq points d'enquête, deux présentent l'accord : 797 Rivesaltes et 798 Collioure, en revanche, à 794 Olette, 795 Ille-sur-Têt et 796 Arles-sur-Tech, le participe n'est pas accordé.
1 Il ne nous a malheureusement pas été possible de consulter Buridant (2019).
2 Qualifiés d'inaccusatifs par l'école générativiste. Pour la critique de cette notion et de celle d'inergatif, voir Forest (1995).
3 Le portugais fonctionne comme l'espagnol : absence d'accord avec le COD, ser 'être' réservé à la voix passive, à ceci près qu'il a remplacé haber par ter 'tenir' pour la conjugaison des temps composés de la voix active.
4 Il existe des formes standards d'occitan mais qui, compte tenu de la situation sociolinguistique de la langue, ne sont pas officiellement reconnues par un pouvoir politique, ni socialement (re)connues par la société 'globale'. Elles sont utilisées par les milieux renaissantistes et/ou militants, ainsi que pour l'enseignement, mais elles restent largement étrangères aux locuteurs traditionnels.
5 Par « objets non canoniques », Rodríguez Molina (2016 : 436) entend les partitifs, les objets internes et les compléments de mesure.
6 Entre l'auxiliaire et le participe.
7 Forme valencienne pour cat. standard els.
8 Bien que l'accord avec los soit prescrit par la GNV (p. 180) : « El participi dels temps composts concorda en gènere i nombre amb els pronoms acusatius de tercera persona lo, la, los, les ».
9 Sa = article défini féminin singulier en majorquin (← lat. ipsa).
10 Toutefois, le Vallespir et le Capcir conservent hem et heu aux personnes 4 et 5 de haver.
11 En catalan roussillonais, le clitique objet pluriel elze est épicène.
12 Pour le Cotentin, Lepelley (1975 : 9) fait état d'un système à quatre formes distinctes : chanté [ʃãˈte], chantée [ʃãˈtɛ], chantés [ʃãˈteː], chantées [ʃãˈtɛː].
13 Comme en témoigne l'inscription suivante du 14e siècle, figurant sur la cloche d'une chapelle de Château-Chinon : « Marie Javelle / Je m'appelle / Celui qui m'a mis / M'a bien mis / Celui qui m'ostera / S'en repentira. » (Audibert-Gibier 1992 : 25).
14 On pense au Poème à Cassandre de Ronsard : « Mignonne, allons voir si la rose / Qui ce matin avoit desclose / Sa robe de pourpre au soleil... ».
15 En vivaro-alpin, il y a eu lénition précoce de t intervocalique du latin, si bien qu'on a des formes prototypiques de type : portà, portàs, portaa, portaas (au lieu de portat, portats, portada, portadas dans les autres dialectes) ; ces formes ont donné lieu à des évolutions diverses.
16 Portadi en niçois.
17 On a toutefois [purˈtɔ], [purˈta], [purˈtadɔ], [purˈtada] dans l'Ambertois (Bonnaud 1992), ainsi que dans les parlers du sud de la Creuse qui font la transition entre l'auvergnat et le limousin (Chauvin 1980).
18 Mentonasque : dialecte de Menton et des communes voisines de l'arrière-pays, il présente des traits de transition avec le ligurien qui est un dialecte de type gallo-italique.
19 L'affirmation de Barthélémy-Vigouroux & Martin (2000), selon laquelle le participe ne s'accorde pas avec le relatif, doit être nuancée.
20 Au contraire, dans le tiers sud du département, linguistiquement languedocien (points 616, 627, 628) l'accord n'a pas été relevé. En ce qui concerne le Sarladais (sud-est du département), Miremont (1976 : 58) confime que l'accord ne se fait pas, en revanche, dans le Bergeracois (sud-ouest du département), d'après Chalmel (2018 : 552) le participe s'accorde avec le relatif et, à titre optionnel, avec le COD lexical postposé.
21 En gascon qui pronom relatif peut être sujet ou objet.
22 Toutefois, la carte 2 en annexe, montre que cette règle n'est pas valable dans l'est du Gers (plus quelques points sporadiques). Il faut rappeler que cette carte est basée sur des données datant de la dernière décennie du 19e siècle, depuis la situation a pu évoluer.
23 Que n'est pas ici un subordonnant, mais une particule énonciative introduisant le verbe de la principale ; il en est de même dans l'exemple suivant.
24 Les exemples 16, 20, 21 et 23 sont empruntés à Hourcade (1986 : 174), les exemples 17, 18, 19 et 22 à Romieu & Bianchi (2005 : 238).
25 Ce type d'accord est attesté chez des écrivains gascons du 16e siècle comme Bernard Larade (Lafont 1967 : 180) ; toutefois, dès le 14e siècle, dans des textes tels que les Récits d'histoire sainte en béarnais (texte du 14e siècle, manuscrit du 15e), l'accord avec le COD lexical postposé est rare (c. p. de Philippe Biu).
26 1. Je lui ai donné une pomme (à elle). 2. Je leur ai donné une pomme (à eux). 3. Je leur ai donné une pomme (à elles). 4. Il a déchiré sa culotte (ou : ses pantalons). 5. On a caché la clé.
27 Il se trouve que, pour ce point, le témoin de l'ALG était Miquèu de Camelat.
28 pendre 'prendre' et ses dérivés (compendre 'comprendre', apendre 'apprendre' etc.), veire 'voir', ónger 'oindre, graisser', jónger 'joindre', qui font au participe : pres [pre(ʒ)] 'pris' (sing.), preses [prˈeʒe(ʒ)] 'pris' (plur.) ; vist [bi] 'vu', vistes 'vus' [bˈiste(ʒ)] ; onch [un] 'oint', onches [unʣe(z)] 'oints' ; jonch [ʦun] 'joint', jonches [ʦunʣe(z)] 'joints'.
29 « (s) » signifie que l'exemple concerné relève du discours spontané (entretien ou conversation), « (q) » signifie que l'exemple concerné est une réponse au questionnaire.
30 Nous n'avons pas comptabilisé les participes suivis de plusieurs COD coordonnés ; ceux qui gouvernent un infinitif ont été comptabilisés séparément et ne sont pas pris en compte dans le tableau 4.
31 En ce qui concerne cette différence de fréquence entre masculin pluriel et féminin, il convient de préciser, que, même dans les parlers où les consonnes finales sont solides et dans lesquels l'accord à la pause ou devant voyelle est toujours audible, il y a généralement assimilation de la finale [t͡s] du pluriel du participe, tout comme de la finale [t] du singulier, à la consonne qui suit, par exemple : avèm cropats aqueles melons 'nous avons acheté ces melons' se réalise [aβen krumpˈat͡s akˈeles melˈus], los avèm crompats 'nous les avons achetés' se réalise [luz aβen krumpˈat͡s#], en revanche, avèm crompats de melons 'nous avons acheté des melons', se réalise [aβen krumpˈad_de melˈus] (les solutions alternative de type [krumpˈaz de...] ou [krumpˈaj de...] sont plus rares). Il n'est pas exclu que cette neutralisation phonétique ait une influence sur l'écriture des auteurs étudiés, d'autant qu'il s'agit d'auteurs ayant l'occitan comme langue première, chez qui l'accord à l'écrit est probablement contrôlé davantage par l'oreille que par une règle normative.
32 On pourrait penser que l'accord du participe de faire dans les constructions factitives soit un régionalisme méridional. Audibert-Gibier (1992 : 17, 21) évoque la question mais répond, à deux reprises, par la négative : « Nous avons d'abord supposé qu'il s'agissait d'un régionalisme méridional, mais les exemples viennent de régions diverses et on entend souvent ce type d'accord à la radio ou à la télévision. [...] Compte tenu de la fréquence des accords, nous avons pensé en début d'enquête qu'il s'agissait d'un régionalisme méridional, or les exemples viennent de régions diverses, d'enregistrements radiophoniques et télévisés ».
33 Fabriste : de Pompeu Fabra.
34 Dans Fabra (1956 : 87-88) ; la liste donnée dans les éditions de 1918 et de 1933 présente quelques différences : voler, poder, saber, fer, gosar, haver de.
35 En termes plus précis, il s'agit d'un cas de prédication seconde. Sur cette notion, voir notamment Havu & Pierrard (2008).
36 'J'ai abandonné toutes ces chose qu'auparavant j'avais entrepris de faire' ou, à la rigueur : 'Je tiens pour abandonnées toutes ces choses...'.
37 En revanche, Benveniste (1974 : 129) n'oppose pas interprétation possessive et interprétation prédicative, mais fait du sens possessif de habere (par opposition au sens plus concret de 'tenir') le cadre du développement prédicatif et aspecto-temporel. Pour lui : « l'auteur du procès est désigné comme possesseur du procès, qui lui est acquis ».
38 « un verbe avoir ayant son sémantisme plein » signifie ici que avoir n'est pas employé comme auxiliaire d'un temps composé, mais cela ne signifie pas forcément qu'il dénote une possession physique ; on est bien en présence d'une structure prédicative dans laquelle emprisonné est attribut du COD Français et non d'une structure possessive au sens où l'entend Jacob (1995) dans la citation figurant plus haut, c'est-à-dire une structure dans laquelle emprisonné serait épithète de Français.
39 Allières (2001 : 156), pour sa part, est très elliptique sur la question, mais évoque néanmoins l'accord de « [l'] attribut de l'objet » avec l'objet.
40 La notion de « sphère personnelle » a été élaborée par Bally (1926 : 68-69) : « La sphère personnelle comprend, ou peut comprendre, les choses et les êtres associés à une personne d'une façon habituelle, intime, organique, [...] la notion de sphère personnelle est purement subjective [...] ses limites peuvent varier de langue à langue, varier aussi dans une même langue au cours de son évolution ».
41 Sauf pour ne en gascon, mais cela ne constitue pas une violation de la règle qui, de plus, a été établie pour l'espagnol, langue dans laquelle, l'équivalent de ne n'existe pas.
42 On peut dire tantas pomas ou tantas de pomas 'tant de pommes' : la présence de la préposition n'empêche pas l'accord ; ailleurs : tant de pomas.