DOI : https://doi.org/10.25364/19.2021.5.1

ISSN : 2663-9815

Studia linguistica romanica 2021.5

Le cas de l'adverbe épistémique du probable dans trois langues romanes

Danut-Grigore Gavris, Annie Bertin

Université de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Université de Paris Nanterre

danut-grigore.gavris02@univ-paris8.fr, annie.bertin@u-paris10.fr

Reçu le 29/10/2019, accepté le 27/11/2020, publié le 19/3/2021 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Résumé : Le travail que nous allons présenter est une étude contrastive concernant trois langues romanes (français, italien et roumain) pour analyser le comportement discursif de l'adverbe de modalité épistémique du probable peut-être, forse et poate. En particulier, notre recherche visera à déterminer l'emploi de l'adverbe en question dans les trois langues et à expliquer les similarités et les dissemblances des emplois pragmatiques de l'adverbe dans ces langues. Nous fonderons notre recherche sur des corpus oraux et écrits des langues en question. Nous prendrons en considération les données présentes dans les bases de données BFM, CLAPI, Frantext et 88milSMS pour le français, pour l'italien nous utiliserons les bases de données CLaVo, LIT 2006 et TLIO, et pour ce qui est du roumain, notre corpus provient d'entretiens de différents sites et de la base de données CoRoLa. Dans un premier temps nous essayerons de tracer, de manière très succincte, l'évolution diachronique de cet adverbe pour nous focaliser surtout sur son usage, en synchronie, comme marqueur pragmatique.

Abstract: This article presents a contrastive study of the discursive performance of the adverbs of probability peut-être, forse and poate in three Romance languages (French, Italian and Romanian). These adverbs are first discussed in terms of their historical evolution and then their use is synchronically studied. The data used for the study are spoken and written texts in the three languages: for French, the study examines the BFM, CLAPI, Frantext and 88milSMS databases; for Italian, the data stem from the CLaVo, LIT 2006 and TLIO databases; for Romanian, we studied interviews from various websites and the CoRoLA database.

Sommaire
1 Introduction
2 L'adverbe de modalité épistémique du probable dans les langues d'Europe
2.1 Apparition et développement de l'adverbe peut-être en français
2.2 Apparition et développement de l'adverbe forse en italien
2.3 Apparition et développement de l'adverbe poate en roumain
3 D'adverbe exprimant la modalité épistémique du probable à marqueur pragmatique : divergences et ressemblances dans les langues analysées
4 Conclusions
Bibliographie

1 Introduction

[1] Le domaine des marqueurs pragmatiques se présente avec des frontières très floues et des définitions qui foisonnent selon les approches qu'on décide d'utiliser pour les étudier. Comme déjà argumenté par Degand & Evers-Vermeul (2015 : 60) :

It is hard to draw a clear line in the arguments put forward by opponents and proponents of one or the other position, not the least because the basic linguistic categories and concepts involved in the discussion are not univocally defined.

À ce sujet, Fischer (2006 : 1) soutient que :

There are many studies in discourse particles on the market, and by now it is almost impossible to find one's way through the jungle of publications. For a newcomer to the field, it is furthermore often very difficult to find the bits and pieces that constitute an original model of the meanings and functions of discourse particles. Moreover, the studies available so far are hardly comparable: the approaches vary with respect to very many different aspects: the language(s) under consideration, the items taken into account, the terminology used, the functions considered, the problems focussed on, and the methodologies employed.

Nous pouvons comprendre qu'à défaut d'une terminologie plus correcte et des contraintes méthodologiques, les études fourmillent et essayent d'apporter, peu ou prou, de nouvelles informations et de jeter un peu plus de lumière à ce sujet. À cette difficulté s'ajoute le fait qu'il n'y a pas un mot précis pour définir ces éléments du discours que beaucoup de spécialistes du domaine appellent tantôt discourse markers (Redeker 1990, 1991 ; Fraser 1990, 1999), tantôt pragmatic markers (Schiffrin 1987), ou encore discourse connectors (Blakemore 1987, 1992), pragmatic expressions (Erman 1992), semantic conjunctions (Quirk et al. 1985) et ainsi de suite. Fraser (1999 : 931-946), quant à lui, donne la définition suivante :

My conclusion is that DMs, with the exception of a few idiomatic cases, are expressions drawn from the syntactic classes of conjunctions, adverbials, or prepositional phrases, have the syntactic properties associated with their class membership, have a meaning which is procedural, and have co-occurrence restrictions which are in complementary distribution with their conceptual counterparts.

Néanmoins, les linguistes s'accordent sur le fait que ces éléments linguistiques sont utilisés, voire très utilisés, dans les interactions humaines, écrites ou orales. Beaucoup d'études se sont occupées de la charge cognitive des marqueurs pragmatiques et de leur impact sur la communication. Ce qui est intéressant à noter c'est que ces éléments du discours sont utilisés dans les échanges entre locuteur et interlocuteur aussi bien que dans les monologues.

[2] Les études contrastives (Beeching 2016, 2018, 2019 ; Borreguero Zuloaga & Gómez-Jordana Ferary 2015 ; Ghezzi & Molinelli 2014) ne manquent pas non plus et constituent des apports intéressants à ce domaine. Notre recherche vise à apporter de nouvelles connaisances dans le cadre de l'approche contrastive, autour de trois langues romanes : le français, l'italien et le roumain. Dans cette étude, nous considérons ces éléments du discours comme marqueurs pragmatiques en rejoignant ce que Fraser (1999 : 936) a soutenu, à savoir qu'ils sont des expressions linguistiques qui ont une signification, mais « do not contribute to the propositional content of the sentence but signal different types of messages ». Notre objectif est d'essayer, dans un premier temps, de voir comment l'adverbe épistémique du probable s'est formé dans les trois langues romanes objet de notre étude et d'analyser, de manière très succincte en diachronie, son évolution jusqu'au statut de marqueur pragmatique. Cette étude ne se veut pas strictement diachronique ; mais comme soutenu par Degand & Evers-Vermeul (2015 : 75) « since discourse markers are a crucial component of natural language, their diachronic evolution must form a part of our linguistic models », nous considérons que l'évolution diachronique peut nous aider à comprendre l'emploi qu'on fait aujourd'hui des marqueurs pragmatiques. Nous verrons donc l'apparition du principal adverbe exprimant la modalité épistémique du possible et son évolution : il prend les valeurs de marqueur pragmatique tout en connaissant un affaiblissement dans le domaine épistémique du possible pour connaître un renforcement dans le domaine du probable. La finalité de l'étude est de montrer l'emploi ou les emplois qu'on fait de ce marqueur, et de voir si des fonctions pragmatiques peuvent être partagées ou non par les trois langues étudiées. Pour compléter notre recherche, nous prendrons en considération deux phénomènes linguistiques : le premier est la grammaticalisation et le second est la pragmaticalisation. À notre avis, les deux phénomènes ne sont pas distincts et n'opèrent pas de façon différente. Toutefois, la pragmaticalisation se vérifie après la grammaticalisation des formes linguistiques.

[3] L'étude en diachronie est importante pour tracer la catégorie originelle des termes devenus ensuite ce qu'on appelle marqueurs. Le débat visant à décider si la pragmaticalisation est un composant du processus de grammaticalisation ou non est loin d'être clos (Degand & Evers-Vermeul 2015). Quant au processus de grammaticalisation, il a été défini par Lehmann (1982  : V) comme :

[…] a process leading from lexemes to grammatical formatives. A number of semantic, syntactic and phonological processes interact in the grammaticalization of morphemes and of whole constructions.

Depuis l'apparition de cette définition, plusieurs études se sont suivies dans le but de clarifier ce phénomène linguistique et de nombreux linguistes ont reformulé cette considération de Lehmann (1982). Encore aujourd'hui, la notion de grammaticalisation n'est toujours pas définie de façon univoque. Nous trouvons pertinente, pour notre étude, la définition que Traugott (1997 [1995] : 1) a donnée de la grammaticalisation, à savoir  :

grammaticalization is the process whereby lexical material in highly constrained pragmatic and morphosyntactic contexts becomes grammatical, in other words that lexical material in specifiable syntactic functions comes to participate in the structural texture of the language, especially its morphosyntactic constructions.

La pragmaticalisation, quant à elle, concerne le processus qui « operates on the textual or discourse level and concerns the developement of textual or discourse markers » (Wischer 2000 : 356). Toutefois, comme déjà souligné, à différence de Wischer (2000), nous ne pensons pas qu'il faudrait différencier la grammaticalisation et la pragmaticalisation.

[4] Afin de vérifier si ces deux phénomènes sont pertinents pour notre étude, nous nous baserons sur les corpus BFM et Frantext pour le français en diachronie et sur les corpus CLAPI et 88milSMS pour le français moderne. Pour ce qui est de l'italien, nous utiliserons les bases de données CLaVo et TLIO pour la partie diachronique et les données provenant du corpus LIT 2006 pour la partie contemporaine. En ce qui concerne le roumain, nous reprendrons l'étude menée par Zafiu (2006) sur l'adverbe poate pour comprendre son évolution et nous analyserons des données provenant d'entretiens de différents sites et de la base de données CoRoLa pour l'emploi de poate dans la période moderne. Dans la section suivante, nous verrons l'apparition de l'adverbe de modalité épistémique dans les langues de l'Europe.

2 L'adverbe de modalité épistémique du probable dans les langues d'Europe

[5] Dans toutes les langues d'Europe, l'adverbe de modalité épistémique du probable n'est pas le dérivé régulier de l'adjectif correspondant (probable/probablement), comme l'ont montré Ramat & Ricca (1998). Leur étude indique deux manières de dérivation des adverbes : d'un côté il y a le processus de relexification à partir d'un nom, comme en letton laikam ('probablement'), d'un verbe comme en roumain poate ('peut-être') et par figement d'un syntagme infra-propositionnel ou d'une proposition. Dans le cas du processus de figement ou univerbation, trois options de dérivation sont possibles. La dérivation à partir d'un groupe prépositionnel comme dans le cas de l'anglais perhaps, ou d'un syntagme nominal comme en espagnol tal vez, ou en allemand vielleicht, par exemple. Pour ce qui est du figement d'une proposition, les auteurs indiquent deux possibilités de formation : d'un côté de propositions subordonnées (cf. basque beharbada) et de l'autre côté de propositions principales : avec complémenteur (cf. latin forsitan, it. forse) ou sans complémenteur (cf. français peut-être). Pour cette étude, dans le cas du roumain poate, il s'agit de la dérivation par relexification. Par la suite, nous analyserons, d'un côté, la dérivation par figement de propositions avec complémenteur, ce qui donne dans le cas de l'italien forse, et de l'autre sans complémenteur pour le français peut-être. Dans ce qui suit, l'étude porte sur l'apparition et le développement de l'adverbe de modalité épistémique du probable d'abord en français (§ 2.1), puis en italien (§ 2.2) et pour finir en roumain (§ 2.3).

2.1 Apparition et développement de l'adverbe peut-être en français

[6] L'analyse que nous avons menée sur corpus permet de constater que peut-être, de manière aujourd'hui encore perceptible, est issu du verbe de modalité pouvoir et de l'infinitif être. Des exemples de l'emploi de cette cooccurrence sont :

(1)

De ce qu'il ot grant peor, arestut soi, si escolta et la prestresse araisona. « Dame, fait il, ce que puet estre ? (Anonyme, Eneas, 1155, BFM, v. 2710-2713)

(2)

- Hé ! Dex ! Sire, que puet ço estre ? dist la dame ; mervelles voi. (Raoul de Houdenc, Vengeance Raguidel, 13e siècle, DEAF, v. 3723-3724)

[7] Toutefois, nous distinguons, dans les exemples ci-dessus (1) et (2), deux types d'emploi de être. Premièrement, nous distinguons l'emploi de être comme copule introduisant un prédicat ou un jugement : 'X peut avoir telle qualité'. Deuxièmement, nous trouvons l'emploi de être signifiant 'exister', 'avoir une réalité' ; soit en emploi unipersonnel : 'cela peut exister', 'il peut se faire que', comme dans les exemples suivants :

(3)

[…] n'est ancor pas morz mes amis ; ge sent mon cuer, il est toz vis ; se il sentist dolor mortel, mes cuers lo sentist altret el ; bien puet estre que il l'ont pris, mais il ne l'ont noiant ocis (Anonyme, Eneas, 1155, BFM, v. 5171)

(4)

Et je que sai ? Il n'i sont pas/Sanz son seü ! Asez puet estre. /- Ou verron nos ? (Béroul, Tristan, 1165-1200, BFM, v. 4303-4304)

(5)

n'ainz mes ne cuit qu'il avenist/que nus hom qui prison tenist,/tel com mes sire Yvains la tient,/que de la teste perdre crient,/amast en si fole manière,/puet cel estre (Chrétien de Troyes, Le chevalier au Lion, 1177-1181, BFM, v. 1509-1517)

[8] En effet, c'est cette valeur de prédicat d'existence modalisé qui apparaît dans les emplois grammaticalisés puet cel/ce estre et puet estre (que). Les notices étymologiques des dictionnaires depuis le FEW donnent les deux tournures comme origines indifférenciées de l'adverbe peut-être et les considèrent donc comme équivalentes. Schématiquement, on pourrait s'attendre à avoir une évolution comme suit : puet cel/ce estre > puet estre. Cependant, cette présentation doit être rectifiée, parce que nous avons constaté qu'il y a eu deux types de proposition à l'origine de l'adverbe de modalité épistémique en question. Le processus de grammaticalisation implique un changement de catégorie. Nous avons remarqué d'abord une grammaticalisation précoce du syntagme puet cel/ce estre ou de puet estre. Le syntagme puet(put) cel/ce estre a été dominant en ancien français, comme nous pouvons le voir dans les exemples ci-dessous :

(6)

Amast an si fole meniere,/Dom il ne fera ja proiere/Ne autres por lui, puet cel estre. (Chrétien de Troyes, Le chevalier au Lion, 1177-1181, BFM, v. 1515-1518)

(7)

Quels est li ésfórz é la fiánce en qui tu ás esperánce ? Put cel estre, tis cunseílz te dune que tu t'aprestes pur bataille tenir encunt é dunt te víent cist hardemenz ? As -tu esperance en cez de Egypte, ki sunt cume bastuns de rosel pescééd, sur qui si l'um se apúied entrent les esclices en la charn é pércent la main ? Tut issíl fait li reis Pharao a tuz cez ki en lui se fíent. De altre part si tu dís : En Dfiánce, dun est çó cil Deu ki altels li reis Ezechias ad abatúz es munz é ad cumanded que l'um áürt á un altel en Jerusalem ? (Anonyme, Quatre livres des Rois. Livre 2, ca. 1190, BFM)

Dans l'exemple (6), le syntagme puet cel estre apparaît en fin de phrase et cel est un pronom neutre anaphorique renvoyant à quelque chose qui le précède dans la strophe, tandis que dans l'exemple (7) le pronom cel est cataphorique. Ce syntagme disparaît en moyen français alors que devient plus fréquent puet estre (que). Nous pouvons donc en conclure que cette première grammaticalisation est improductive en diachronie.

[9] Par la suite, nous avons observé une seconde grammaticalisation de puet estre, distincte de la précédente, dite tardive, attestée surtout sous la forme puet estre que, qui se développe en moyen français où elle prend progressivement son caractère propositionnel pour être réanalysée comme adverbe, comme le montre l'exemple suivant :

(8)

ainsi, se tout estoit pesé a juste balance, les travaulx et les perilz que nous souffrons, et de l'autre costé les maulx que nous faisons, nous n'aurions mendre part de la douleur du peuple qui crie sur nous. Puet estre que, soubz umbre de nous, mains grans oultraiges se font, car en guerre, ou la force est et regne et le fer seigneurit, ne peut droit dominer (Chartier Quadrilogue, 1422, p. 30)

Dans ce cas, peut estre que est un syntagme propositionnel exprimant la modalité épistémique du possible.

[10] C'est à partir du français préclassique que, sur l'échelle des modalités allant du vrai au faux, l'adverbe glisse de l'expression du possible vers celle d'un possible douteux, vers l'incertain et vers le probable, et prend en contexte dialogal une valeur illocutoire principalement tournée vers l'interlocuteur. Peut-être est fréquemment employé à partir du français préclassique en contexte dialogal, particulièrement dans le théâtre. Nous pouvons donc parler d'un processus de pragmaticalisation concernant peut-être. Traugott (1997 [1995]  : 2) indique que la pragmaticalisation implique « that meanings tend to shift toward greater subjectivity, that is, they become increasingly associated with speaker attitude, […] ». Elle considère, en outre, que le processus de grammaticalisation est significatif pour la pragmaticalisation des éléments linguistiques. En effet, Traugott (1997 [1995] : 2) soutient que « in early stages of grammaticalisation, pragmatic significance and subjective expressiveness increase ». Aijmer (1997 : 2) rejoint Traugott (1997 [1995]) et explique que les éléments pragmaticalisés impliquent « speaker's attitude to the hearer ».

[11] À partir du français préclassique, peut-être permet de jouer sur l'opinion de l'interlocuteur et sur les conséquences que le locuteur veut obliger son interlocuteur à tirer. Mais le locuteur tire parti de la valeur d'atténuation de son propre énoncé apportée par peut-être : il ne fait que prêter une opinion à l'autre, sans présenter cette opinion supposée comme certaine. Puisqu'il ne donne pas cette opinion comme devant lui être attribuée à coup sûr, on ne peut donc pas lui reprocher cette opinion. Peut-être est à la fois un moyen d'attaquer et de se protéger, pour faire entendre une objection. On peut constater cela à partir de l'exemple suivant :

(9)

DON RODRIGUE
Parlons bas, écoute.
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,
La vaillance, et l'honneur de son temps ? le sais-tu ?
LE COMTE
Peut-être
DON RODRIGUE
Cette ardeur que dans les yeux je porte,
Sais-tu que c'est son sang ? le sais-tu ? (Pierre Corneille, Le Cid, 1636, Frantext)

Dans ce cas, nous constatons la modalisation du savoir du comte et une participation au mécanisme de l'offense. Le comte refuse d'admettre la conséquence du présupposé 'Don Diègue est un héros' et avec sa réponse évasive il viole la maxime de modalité de Grice (1979 [1975] : 61-62), selon laquelle il faut éviter d'être ambigu, être clair, éviter de s'exprimer avec obscurité, être bref et méthodique. En effet, la réponse du comte est assez obscure et à la fois ambiguë.

[12] Nous pouvons voir donc un changement concernant le peut-être. D'item lexical, il devient un adverbe exprimant la modalité du possible, pour subir un affaiblissement et devenir un marqueur pragmatique illustrant ainsi un processus que Diewald (2011 : 371-373) considère être la subjectification. Subjectification figure avec le même sens dans Ramat & Ricca (1998). Álvarez Prendes (2014 : ¶ 33) indique que le peut-être « répond aux critères syntaxiques et sémantiques qui caractérisent la classe des adverbes modaux dans son ensemble » et nous sommes d'accord avec elle pour dire aussi que ce marqueur fournit la réponse à une question totale. En revanche, à notre avis la réponse fournie est évasive et ne se concentre pas, comme soutenu par Álvarez Prendes (2014) (cf. aussi Nølke 1993, 2005, 2011), sur le focus de la phrase. Mais, au contraire, à une évasion, une échappatoire pour ne pas donner une réponse précise à la question posée par Don Rodrigue, dirions-nous. Il serait donc incorrect de dire, à notre avis, que, dans ce cas, le peut-être « s'attache au foyer déjà engendré par les règles générales pour venir le souligner » (Álvarez Prendes 2014 : ¶ 41). Toutefois, nous sommes d'accord sur le fait qu'il sert à exprimer la subjectivité du locuteur vis-à-vis du contenu énonciatif. Voyons maintenant ce qu'il en est en italien.

2.2 Apparition et développement de l'adverbe forse en italien

[13] L'adverbe forse en italien provient du latin forsitan, lui-même représentant le figement de proposition avec complémenteur. Cette idée de dérivation est soutenue aussi par Jacopo della Lana, dans son Commento alla Commedia di Dante Alighieri (Paradiso) (1324-1328), quand il explique que mi s'inforsa 'peut-être' (verbe parasynthétique inventé par Dante) veut dire douter et qu'il dérive de la forme latine « dubitandi » forsan vel forsitan1. Ceci constaté, l'étude sur forse ne peut pas être similaire à celle conduite au sujet de peut-être en français et nous nous limiterons donc à mener, pour ce qui est de forse, une reconstitution 'narrative'. D'après l'étude de notre corpus, qui contient des œuvres latines classiques et des œuvres qui renvoient au latin médiéval et aux débuts de l'italien, nous avons pu constater une coexistence de plusieurs formes jusqu'à la fin de 1300 quand la forme forse se stabilise et s'impose. Les formes attestées sont forsitan (figement de fors+sit+an), fortasse et fortassis. Toutefois, il apparaît que les formes les plus employées soient forsitan, 148 occurrences dans la base de données CLaVo, et fortasse, cent quarante-deux occurrences dans la même base de données. Fortassis présente cinq occurrences dans le corpus CLaVo, il est très peu utilisé pour subir, enfin, un déclin vers 1389. Cette coexistence peut s'expliquer, à notre avis, par la présence de deux niveaux de langue à cette époque : d'un côté le latin cultivé et de l'autre le latin vulgaire. En effet, l'emploi de forse est attesté dans les œuvres en latin vulgaire tandis que l'emploi de forsitan et fortasse dans les œuvres en latin cultivé.

[14] L'adverbe forsitan est utilisé surtout en tête des principales, comme le montre l'échantillon d'exemples suivant :

(10)

Forsitan et pulsa Aetolide Deianira
Nomine deposito paelicis uxor erit,
Eurytidosque Ioles atque Aonii Alcidae,
Turpia famosus corpora iunget Hymen (Ovide, Heroides, 1325, CLaVo, v. 131-133)

(11)

Aspicis, ut prensos urant iuga prima iuvencos,
Et nova velocem cingula laedat equum ?
Forsitan a laribus patriis exire pigebit : (Ovide, Remedia amoris, 1310/1313, CLaVo, v. 235-237)

(12)

Forsitan aliquis dicat aut Veiis ea nos facturos aut huc inde missuros sacerdotes nostros qui faciat ; (Tite-Live, Ad urbe condita, 1323, CLaVo, v. 5)

[15] À partir de 1200, nous avons constaté un emploi constant de forse comme adverbe, les occurrences grimpent jusqu'à 3299 dans le corpus TLIO. L'emploi de l'adverbe en modalité épistémique émerge à partir de la seconde moitié du 13e siècle, comme le montrent les exemples suivants :

(13)

li ragunamenti, loda l'arti, non dispregia neuno, non vien meno ad neuno se non forse ad cului che viene meno a lei. Anche la fede tiene e osserva li comandamenta, (Andrea da Grosseto, Trattati morali di Albertano da Brescia volgarizzati, 1268, TLIO, p. 189)

(14)

per sè sì te pare, e la cosa dubiosa à significazione d'ingiuria. E però forse disse Seneca: lo sfaciamento suol essere ne le cose dubbiose per consiglio. E dei tenere … (Andrea da Grosseto, Trattati morali di Albertano da Brescia volgarizzati, 1268, TLIO, p. 282)

[16] Comme l'attestent les emplois modernes, la forme forse est celle qui s'est conservée au cours des siècles au détriment des autres formes latines qui étaient employées plus fréquemment dans les œuvres littéraires du latin cultivé. Toutefois, forse moderne conserve toutes les caractéristiques des autres formes. À savoir, il est très mobile dans la phrase, on peut le trouver en tête de phrase comme dans Forse domani? 'Demain peut-être ?', à la fin de la phrase Giovanni arriva domani forse? 'Jean arrive demain peut-être ?' ou au milieu comme dans Giovanni arriva forse domani? 'Jean arrive peut-être demain ?', selon les registres de la langue. De plus, forse peut être employé dans les interrogatives, dans les affirmatives comme dans les négatives. Pour ce qui est de la représentation de cet adverbe, dans les éditions du Vocabolario degli Accademici della Crusca nous avons trouvé des anomalies et des changements au cours des siècles, notamment en ce qui concerne les fonctions remplies par forse, comme l'expression de l'incertitude, du doute ou encore de l'ironie. Dans la première édition du dictionnaire, datant de 1612, forse est considéré comme adverbe tout court avec différentes fonctions, parmi lesquelles celle d'ironie n'est pas présente. La deuxième édition, celle de 1623, énumère les mêmes fonctions que la première. C'est la troisième édition, datant 1691, qui nous intéresse particulièrement, dans laquelle la fonction ironique est présente mais pour dénoter non le doute, mais la certitude. La quatrième édition publiée entre 1729 et 1738 ne propose plus la fonction d'ironie mais ajoute l'expression de l'incertitude et du doute. Nous pouvons conclure, d'après cela, que même dans ses fonctions expressives, forse a des interprétations multiples et ambiguës. Nous étudierons plus bas les fonctions que forse peut remplir dans le discours. La partie suivante porte sur l'évolution de poate en roumain.

2.3 Apparition et développement de l'adverbe poate en roumain

[17] Comme indiqué par Chircu (2008 : 102), et à la différence de l'italien, en roumain les formes adverbiales provenues directement du latin sont « peu nombreuses ». Ceci s'explique, d'un côté, par les pertes et l'affaiblissement que l'adverbe latin a subi au cours des siècles, et de l'autre côté, par les influences subies par la langue roumaine de la part des langues romanes, principalement du français et de l'italien, mais aussi, et surtout, des langues slaves, comme le bulgare, le polonais, le hongrois. Ainsi, « une fois que la période de formation des traits fondamentaux de la langue roumaine a pris fin, des adverbes empruntés à d'autres langues commencent à faire leur apparition dans son système » (Chircu 2008 : 103). C'est notamment le cas des emprunts de l'adstrat ou du superstrat dont l'usage reste toutefois limité. L'auteur n'aborde guère la formation de poate dans son manuel. La seule formation déverbale qu'il étudie est la formulation verbe + (şi+te) adverbe (a fi 'être' ou a vrea 'vouloir'), c'est pourquoi nous devons revenir à l'étude de Ramat & Ricca (1998), pour constater que nous sommes face à un processus de relexification d'un verbe qui n'a pas été pris en compte par Chircu (2008). Comme indiqué par Zafiu (2006 : 478-490), l'adverbe exprimant la modalité épistémique du probable est issu de la forme verbale a putea. Dans la langue roumaine, selon les linguistes, nous avons tout d'abord la forme verbale a putea, et selon Zafiu (2006), elle est la seule forme « verbală predicativă » à être fléchie et à s'être transformée en adverbe. L'adverbe roumain poate est de formation récente et il est employé parallèlement au verbe a putea 'pouvoir'. Poate apparaît, dans les dictionnaires, sous l'entrée a putea comme forme fléchie de celle-ci. Toutefois, Zafiu (2006) nous informe que l'adverbe poate n'est pas issu de la forme verbale a putea mais de poate fi 'il peut être' adverbialisé et réduit (du point de vue morphologique) à poate. D'ailleurs, Ramat & Ricca (1998 : 235) indiquent que la disparition d'un possible être suivant le verbe modal donne lieu à une univerbation de proposition principale, ce qui est bien le cas ici. Cela explique, ensuite, sa construction avec la conjonction . Zafiu (2006) précise que l'adverbe poate a seulement un sens épistémique tandis que le verbe a putea peut être déontique ainsi qu'épistémique.

[18] Comme nous l'avons observé, l'adverbe est introduit dans le dictionnaire sous l'entrée verbale fléchie à la 3e personne de l'indicatif du singulier avec indication de sa valeur adverbiale. Cette option s'oppose à celle utilisée par les livres et les études de linguistique roumaine, qui ont opté de classer poate sous l'entrée adverbe et non comme forme fléchie du verbe a putea. C'est à partir d'Eustatievici (1969 [1757]) que les grammairiens ont commencé à étudier le verbe a putea et à s'intéresser à une possible forme déverbale en adverbe poate. Il faudra attendre la seconde moitié du 19e siècle et Cipariu (1987-1992 [1855-1877]) pour classer poate parmi les adverbes de la langue roumaine. Nica (1988 : 156-160) considère que poate appartient à la classe des adverbes de modalité ou modalisateurs tout court. C'est avec Avram (1999) qu'on considère et 'impose' poate comme adverbe épistémique propositionnel. Pour résumer, l'évolution de l'adverbe en question a suivi les étapes suivantes  : a putea > a putea să > poate fi (că) > poate că > poate. D'abord, la forme (a) putea să dont parle Ciompec (1985 : 79) est encore une forme du verbe a putea avec le réfléchi comme dans l'exemple « poate să mira » (Biblia 1988 [1688] : XXI). Dans les premières étapes, la construction a un sens existentiel, ensuite la séquence poate fi n'est plus suivie de la proposition conjonctivale că ... et s'insère dans la proposition, soit comme élément intégrant, soit comme élément parenthétique. L'adverbe poate conserve donc de poate fi la possibilité d'être accompagné de la conjonction ayant une valeur intégrante ou parenthétique.

[19] Toujours selon Zafiu (2006), la première forme adverbialisée poate fi fonctionnait comme une seule unité phonologique, dans la mesure où l'on pouvait l'accentuer soit sur la première syllabe póate fi soit sur la dernière poate fí, et la forme adverbiale d'aujourd'hui se serait développée à partir de l'unité phonologique avec l'accent sur la première syllabe, ce qui, à son avis, « a permis uşor pierderea elementului final » (2006 : 481). Le -e final de poate est réinterprété comme -e marque finale distinctive (Avram 2005 : 251-259).

3 D'adverbe exprimant la modalité épistémique du probable à marqueur pragmatique : divergences et ressemblances dans les langues analysées

[20] Après cet aperçu diachronique de l'adverbe marquant la modalité épistémique du probable en français, italien et roumain, nous verrons maintenant quel est son statut à l'heure actuelle et quelles sont les divergences et les ressemblances dans ces langues concernant ses fonctions comme marqueur pragmatique. Il existe quelques études contemporaines menées sur les marqueurs en question. Dans le cas du français, Álvarez Prendes (2014) a analysé le comportement de peut-être dans le discours, et elle a constaté que « du point de vue sémantique peut-être prend la phrase entière dans sa portée et qu'il modifie ses conditions de vérité […] » (2014 : ¶ 36). Ses travaux se rapprochent de ceux de Nølke (1993, 2005, 2011) et portent sur la focalisation du foyer. Ainsi, selon Álvarez Prendes (2014 : ¶ 41) « L'adverbe peut-être s'associe au foyer de la phrase, indépendamment du fait que celui-ci soit neutre ou bien spécialisé ». Toujours selon Álvarez Prendes (2014), l'adverbe peut-être sert à indiquer le sens véhiculé par l'énoncé grâce à sa focalisation.

[21] Pour ce qui est de l'italien, Klímová (2005) a étudié l'emploi de forse en italien moderne. Dans sa recherche, elle compare la valeur épistémique de l'adverbe forse avec l'emploi du verbe credere 'croire'. À son avis, dans les énoncés (15) et (16), le verbe credere aurait la même valeur épistémique que forse, ce qui permettrait une interprétation égale des énoncés :

(15)

Paolo credo che ha perso il bus. 'Paul, je crois qu'il a raté son bus'

(16)

Paolo ha forse perso il bus. 'Paul a peut-être raté son bus'

Les énoncés, du point de vue linguistique, expriment un acte linguistique et représentent donc une déclaration assumée par l'interlocuteur. Toutefois, dans l'exemple (15), nous sommes face à un prédicat épistémique qui traduit une phase d'incertitude de l'interlocuteur par rapport à ce qu'il vient de dire. Ce prédicat épistémique peut être remplacé, selon Klímová (2005), par l'adverbe épistémique du probable forse, dans la mesure où les deux éléments traduisent, sur l'échelle de l'incertitude, le même degré.

[22] Kratschmer (2009) propose une échelle qui va du vrai au faux avec des nuances entre les deux valeurs exprimées. Ces valeurs correspondraient à une échelle qui va de la certitude, passe par la neutralité et arrive à la non-factualité (certezza > neutralità > non-fattualità) :

(17)

Maria è uscita. >> vrai

(18)

Maria è uscita forse. >> vrai ou faux

(19)

Maria non è uscita. >> faux

Dans l'énoncé (18), à son avis, forse modalise la proposition et lui donne une valeur épistémique. De plus, Bourgeois (2001 [1999] : 161) considère que forse modifie la signification et « gli fa prendere una piega particolare ». Bourgeois (2001 [1999]) préconise l'utilisation du modalisateur forse avec d'autres éléments propositionnels. Dans les exemples verrò sicuramente domani et forse verrò domani, les deux modalisateurs sicuramente et forse s'appuient sur le signifiant verrò domani. Bourgeois (2001 [1999]  : 161) soutient, en outre, que « il potere significante di un segno modalizzatore verte sulla tonalità del significato dell'enunciato e gli conferisce uno statuto nei confronti del reale ». Apparemment, le modalisateur forse accentue la tonalité de l'énoncé et contribue à lui conférer une épaisseur par rapport à la réalité. À notre avis, même si forse situe le contenu propositionnel entre le vrai et le faux, comme soutenu par Klímová (2005), il ne traduit pas l'incertitude mais un certain degré de subjectivité du locuteur par rapport au contenu de son énoncé. Il devient alors un marqueur pragmatique, un marqueur qui illustre la subjectification dont a parlé Diewald (2011 : 374).

[23] Pour finir, en ce qui concerne le roumain, le marqueur poate a été étudié par Angheluță (2015). Elle qualifie poate de modalisateur pragmatico-sémantique, appartenant à la sphère des actes communicatifs. Son étude se base seulement sur des discours politiques et selon elle, les rôles des modalisateurs sont d'indiquer l'attitude du locuteur, son degré d'implication, l'adhésion ou la distance de celui-ci vis-à-vis de l'information contenue dans son énoncé (valeur épistémique) ou la tentative de déterminer une attitude, une réaction dans son auditoire (valeur déontique). Par rapport à la position que poate peut occuper dans la phrase, selon Guţu Romalo et al. (2008 : 594) la position occupée par le modalisateur peut être initiale, médiane ou finale (peu attestée). Dans son étude, Angheluță (2015) a trouvé poate majoritairement en position finale dans les discours de l'ex-président Băsescu (p. ex. : Aş fi încercat să găsesc soluții, poate). L'auteure considère poate comme modalisateur épistémique, étant donné qu'il est l'une des formes appartenant à l'expression de l'incertitude. Elle soutient ensuite qu'il n'est pas factif, dans la mesure où il n'exprime ni la vérité ni la fausseté. Elle rejoint l'opinion de Tuțescu (2005 :75) qui considérait que « le possible n'est pas en soi une valeur de vérité qui s'opposerait au vrai ou au faux. Le possible est dans les choses et dans la connaissance que nous en avons, et non pas dans les propositions qui décrivent ces choses ». C'est ce que Perkins (1993 : 6) dit au sujet de l'ignorance de la réalité ou du futur en utilisant les modalisateurs « the key concept which underlines modality is the state of lack of knowledge ».

[24] L'étude d'Angheluță (2015) révèle que l'adverbe modalisateur poate est moins utilisé que le verbe a putea et que l'utilisation du modalisateur poate est plus fréquente dans des situations de dialogue, de débat et de spontanéité réactive face aux questions de l'interlocuteur (animateur de télévision). La linguiste explique ce phénomène par le fait que la caractéristique des interviews et le caractère imprévu des questions que l'animateur peut poser à l'interlocuteur impliquent une connaissance limitée du monde et par conséquent une utilisation forcée d'adverbes qui expriment l'incertitude. De plus, l'abondance de ces adverbes peut se justifier par le fait que les hommes politiques expriment, grâce à eux, leur réserve d'action communicative, parce qu'ils n'ont pas une connaissance complète de l'état des choses et pour se protéger des accusations qui pourraient découler de leurs aveux d'ignorance. Son étude indique donc que l'adverbe poate introduit des déductions personnelles qui doivent être acceptées par le public ou de nouvelles informations s'appuyant sur la virtualité de ces informations. C'est ce que White (2003 : 263) décrit comme l'acceptation d'office à l'unanimité de l'affirmation, « the bare assertion is usually associated with the consensual "knowledge". Versions-of-events which are seen as fact – that is to say, with propositions held to be unproblematic and generally "known" or "accepted"  ». Cet adverbe modalisateur serait alors utilisé pour demander la bienveillance du public et pour éviter une réfutation totale dans le cas où les deux parties ne partageraient pas le même point de vue. Dans certains cas, l'emploi de poate reflète aussi la modestie du locuteur, indique l'auteure.

[25] Parfois, toujours selon l'étude d'Angheluță (2015), poate, avec sa valeur d'inférence générale, peut introduire un moment solennel, moyen pour demander l'acceptation de l'auditoire, sa validation même si le contenu de l'énoncé renferme une acceptation intrinsèque. Angheluță (2015) soutient aussi que l'adverbe en question introduit des références vers la condition humaine, notamment vers celle de l'ex-président Băsescu. Toutefois, à notre avis, l'emploi de l'adverbe poate dans le contexte des discours de l'ex-président peut aussi avoir une valeur ironique et peut solliciter une concession ou une compréhension de la part de l'auditoire. La construction (mais non seulement) Poate X dar Y, indique l'acceptation des erreurs, mais l'adversatif dar ménage une possibilité d'excuse à travers la démonstration adversative. Elle indique aussi une modestie apparente et un détachement de la personne énonciative, en utilisant la 2e personne du singulier (Angheluță 2015 : 756) :

(20)

Poate că uneori încruntarea, aciditatea nu vine din nici o morgă, şi asta vă asigur. Dar simițiți că te apasă răspunderea a ceea ce urmează să se întâmple. Mai ales că ai şansa să fii cel mai informat român – repet, cel mai informat român – şi, în condițiile astea, sigur, sunt momente în care nu-ți place deloc ce primeşti ca informație.

[26] Angheluță (2015) remarque que, la plupart du temps, l'adverbe poate est utilisé comme atténuateur : pour une inférence erronée (dans le cas de l'anticipation), pour une accusation (dans le cas de l'ironie), pour une idée que pourrait être refusée, pour indiquer la condition d'homme, pour les prescriptions qui pourraient être interprétées comme exhibition de l'autorité, pour indiquer la condition de privilège de médiateur de l'information. De notre côté, nous partageons quelques-unes des fonctions que la linguiste décrit mais nous pensons que d'autres sont à reformuler plus clairement. Pour ce qui est de notre analyse, elle vise à considérer les rôles des marqueurs peut-être, forse et poate dans les contextes de dialogues, dans des phrases interrogatives, dans des phrases interronégatives et dans des phrases rhétoriques créant ainsi des mécanismes polyphoniques. D'après notre travail, nous soutenons que le marqueur pragmatique remplit cinq fonctions fondamentales, à savoir : préparer l'interlocuteur, atténuer les propos, anticiper les propos des interlocuteurs, inférer une information et ironie. Trois fonctions, à savoir préparer l'interlocuteur, atténuer les propos et l'ironie, sont présentes dans les trois langues de notre étude. Les fonctions anticiper les propos des interlocuteurs et inférer une information sont présentes, selon notre étude, seulement en français et en roumain. Par la suite, nous avons trouvé en français une autre fonction, celle de prise de distance par rapport à un fait dont on ne met pas en doute la réalité et en roumain la fonction de fausse hésitation. Le roumain et le français se partagent aussi la fonction de réponse évasive. Nous verrons en détails ces fonctions et les exemples qui les illustrent.

[27] Pour ce qui est de la première fonction, de préparer l'interlocuteur, analysons les exemples suivants :

(21)

[…] petit peu ce qu'elle disait dans le sens où je pense que justement y a y a deux deux choses qui sont bien à différencier donc qui sont effectivement l'identité français et l'immigration parce que euh le fait de bon les immigrés clandestins pardons qui euh qui arrivent en masse comme ça et qui réclament je vais peut-être en choquer certain hein ça je sais pas mais euh qui réclament la nationalité française moi […] (Débat sur l'immigration, code de/9bc, CLAPI)

Dans cet extrait de dialogue, le locuteur est sur le point d'avouer son avis vis-à-vis de certains comportements pour l'acquisition de la nationalité française. Le locuteur est conscient que son avis pourrait heurter quelqu'un, c'est pourquoi le marqueur sert ici à préparer les interlocuteurs à entendre la suite. Le marqueur peut-être sert à la fois comme préparateur et comme atténuateur des propos du locuteur. Ainsi, en italien, l'exemple suivant montre la même fonction du marqueur :

(22)

lei ha detto perché aveva paura //aveva paura sì /aveva paura dell'intervento perché se ne sono sentite troppe cioè in teoria forse appunto persone che si sono affidate io so che una tua amica anche prima tutta entusiasta insieme con te quando ci hai scritto /poi ti vedeva così agitata e ti ha detto guarda se sei così preoccupata forse è meglio che rinunci // (Italia 1, Bisturi! Nessuno è perfetto, 8 janvier 2006)

Dans ce cas, le locuteur prépare son interlocuteur au fait que beaucoup de personnes ont fait confiance à une pratique esthétique dangereuse. Il apparaît que le locuteur a entendu différents cas de chirurgie ratés et prépare l'interlocuteur à ce qu'elle va lui avouer par rapport à ces expériences manquées. Pour ce qui est du roumain, nous avons trouvé l'exemple qui suit :

(23)

Poate la mine (daca tot suntem la HOTnews), s-ar putea vorbi mai degraba de o componenta masochista! Pentru ca intotdeauna am detestat televiziunea, dar la modul fellinian, deci fara incrancenare sau repulsie, pur si simplu am detestat-o cu zambetul pe buze. (Blaga 2009)

[28] Pour la deuxième fonction, d'atténuer les propos, nous soutenons que le locuteur, tout en préparant son auditoire par rapport à ce qu'il va exprimer par la suite, de sorte qu'il ne soit pas choqué de son propos, affaiblit la violence de son propos. La composante masochiste dont le locuteur fait part à ses interlocuteurs pourrait choquer le public, il prépare alors à la suite de son discours. Voyons l'exemple suivant :

(24)

Peut-être que le plus dur, c'est qu'on se dit qu'on est tout petit… (Incendie de Notre-Dame : Myriam, caporal-chef des Pompiers de Paris raconte, https://www.youtube.com/watch?v=8wm_Gab2sfQ)

Dans cet énoncé, le locuteur atténue l'expression de son discours et de son propos et sensibilise l'interlocuteur à son énonciation. Il met en avance la possibilité d'une difficulté de l'exercice des fonctions des sapeurs-pompiers. Dans l'exemple suivant, le journaliste donne des informations par rapport à une catastrophe qui s'est produite aux Philippines :

(25)

la gigantesca frana nelle Filippine // duemila forse i morti // due villaggi / sommersi dal fango. (Raiuno, Telegiornale, 17 février 2006)

Le nombre de morts est très élevé et le marqueur pragmatique forse sert ici pour atténuer le chiffre qu'il vient de dire et limiter le choc chez les auditeurs. Aussi, forse ne limite pas le champ d'expansion du nombre de morts, mais celui-ci était, au moment du journal télévisé, d'environ deux mille. L'emploi de forse dans ce cas ne peut pas être considéré comme exprimant la modalité épistémique pour deux raisons principales. Premièrement, dans ce cas il n'est pas question du savoir du locuteur, en l'occurrence la journaliste, en termes de vrai ou faux, mais de révéler un fait objectif ayant eu lieu. En d'autres mots, l'énoncé ne dépend pas du savoir ou du croire du locuteur. Deuxièmement, le fait relaté ne relève guère de l'expérience personnelle mais d'une catastrophe naturelle, donc d'un fait qui se révèle être objectif. Le marqueur pragmatique participe à réduire l'impact de l'énoncé sur l'auditoire. Nous considérons que le changement sémantique est le résultat de ce que les spécialistes appellent invited inferencing (Traugott & Dasher 2002). Cela signifie que le sens d'un mot se développe par extension dans des cas spécifiques. Dans notre cas, forse ne pourrait pas être interprété comme adverbe exprimant la probabilité, car en essayant de le remplacer avec probabilmente, le sens de la phrase changerait. Comme souligné par Prévost & Fagard (2018 : 233) : « A semantic shift results from new contexts, but it also makes it possible to use the word or construction in yet other contexts: semantic reinterpretation is thus followed by extension […] ». Forse a subi donc un changement sémantique et ne peut plus être considéré comme adverbe, comme nous l'avons fait noter, mais devient un marqueur pragmatique. Dans l'exemple suivant, le locuteur évoque la guerre et exprime le fait que beaucoup de personnes ont été, parfois, obligées de fusiller même leurs proches :

(26)

Sau care au fost puşi să tragă, deşi poate trăgeau în rude sau poate… (România TV, Ultima oră, 19 février 2012)

Le marqueur pragmatique poate sert ici à atténuer la gravité de ce que le locuteur exprime et, en même temps, la gravité des faits.

[29] Nous avons trouvé, par la suite, une troisième fonction du marqueur qui ne concerne que le français et le roumain. Les exemples suivants montrent la fonction d'anticipation des propos des interlocuteurs :

(27)

Ça fait environ 5319149 pots de nutella. Oui, on a compté. Bon, cela dit, il va peut-être acheter autre chose. (Le Figaro, 9 mai 2019)

(28)

Băsescu : [...] Poate vă aşteptați la un discurs in favoarea unuia sau altuia dintre candidați. Nu pentru asta am venit aici, Opțiunile mele sunt cunoscute, aşa că am venit să vedem dacă in continuare avem puncte comune care să ne facă parteneri pentru viitor. (Băsescu 2013)

Dans l'exemple français, le journaliste joue d'anticipation en annonçant qu'une personne a gagné 25 millions à l'Euromillions. En effet, il anticipe le fait que les interlocuteurs, après qu'il a lancé le propos des pots de nutella, puissent dire qu'il y aurait une possibilité d'acheter quelque chose d'autre avec cet argent. Dans l'exemple roumain, l'ex-président évoque les attentes du public, jouant d'anticipation, dans les circonstances particulières d’une compétition, pour contredire. Il joue d'avance sur l'intervention du journaliste qui est porte-parole du public mais aussi de la nation entière.

[30] L'exemple suivant illustre la fonction d’ironie du marqueur, partagée par les trois langues :

(29)

Mdrrr … Mon connard de < PRE_7 > !?! Ah les hommes ! Il voulait se venger peut-être !?! Mdrrrrr […]. (sms 56946, 4 novembre 2011, 88milSMS).

L'interlocuteur utilise peut-être de façon ironique, ce qui fait supposer que la réponse de son interlocuteur devrait être négative. La fonction ironique a été proposée par Nølke (2011) pour les cas où peut-être est détaché à droite ; il l'interprète comme l'affirmation d'une « chose contraire à toute évidence ». En effet, dans l'exemple ci-dessus, le modalisateur porte sur l'énoncé du locuteur et implique une réponse négative. Nous considérons que peut-être ici devient antiphrastique car la réponse qu'on s'attendrait est une négation plutôt qu'une affirmation. En outre, Nølke (2011 : 5) note aussi un changement de la courbe mélodique, où peut-être « reçoit un intonème plat et (probablement) bas ».

[31] En italien, la fonction ironique est représentée par l'exemple suivant :

(30)

- è tutta colpa di Olmo // finché non ripara l'agenda aziendale ... ma dov'è che ha studiato informatica?
- forse a Biarritz? tra una tequila e l'altra! (Italia 1, Camera Café, 15 mai 2006)

Dans ce dialogue, l'interlocuteur répond de manière ironique à son locuteur lorsque celui-ci lui demande où le technicien a étudié informatique. L'emploi du marqueur pragmatique forse annonce du complément de lieu : le technicien ne connaît pas grand-chose à l'informatique car il a étudié dans une station touristique. Le syntagme prépositionnel seul n'aurait pas la même capacité de transmettre l'ironie qui est transmise par forse. De plus, avec un futur épistémique avrà studiato a Biarritz l'énoncé serait alourdi et nécessiterait de nombreux éléments suprasegmentaux pour le rendre ironique. À noter que Serianni, Castelvecchi & Patota (1997 : 360) situent forse parmi les signaux particuliers (« segnali particolari ») utilisés dans les réponses aux phrases interrogatives rhétoriques. Parmi ces signaux particuliers de l'italien ils ajoutent, outre forse, non è vero 'ce n'est pas vrai', nevvero 'pas vrai', vero 'c'est vrai'.

[32] L'exemple roumain suivant montre que le locuteur joue sur l'ironie :

(31)

Diaconescu : De ce spun toți că sunteți un dictator  ?
Băsescu : Habar n-am de ce au făcut-o, poate că li s-a parut că e de bon ton. (OTV, Sensațional, 30 novembre 2009).

En effet, l'ex-président ironise le fait qu'on le considère comme un dictateur et l'interprète de façon erronée à une conformation du savoir-vivre. En somme, on s'accommode à la pensée courante de la société.

[33] Nous avons trouvé aussi une fonction d'inférence générale de ce marqueur pragmatique. Par inférence générale nous entendons un raisonnement qui est tenu pour vrai et réalisable de la part de celui qui l'énonce. Cette fonction est représentée dans les langues française et roumaine dans les exemples qui suivent :

(32)

Tu es pas loin, je finis mon travail et je passe peut-être te voir ? (Message, Facebook Messenger).

(33)

Băsescu : Doamană, poate e mai puțin important că aşteaptă Comisia Europeană. In primul rând, aşteaptă românii. (TVR1, Edition spéciale, 11 octobre 2005).

Dans l'énoncé français, le locuteur fait un raisonnement personnel, mais le soumet à la fois à l'acceptation de son interlocuteur. Il sollicite l'approbation et l'accord de son interlocuteur à travers cette inférence générale. Dans l'exemple roumain, l'ex-président met l'accent sur l’importance de ses concitoyens, plus importants que la Commission européenne.

[34] Par la suite, nous avons trouvé une autre fonction, à savoir réponse évasive, en français et en roumain. L'exemple suivant illustre sa présence en français :

(34)

JAN : de se pos- de (.) de dire ah bon ben comment pensaient °ceux° qu'est -ce que pensent les [paysans]
KRI : [hm hm ] (0.2) hm hm
KRI : mais de temps en temps e- (.) je pense que (.) les gens ils ont un peu peur que qu'ils voient que c'est vrai qu'est ce qu'on qu'est ce qu'il y a qu'est ce qu'on dit
JAN : peut-être
KRI : ET:: ils ont il veut pas (0.6) le voir pa`ce qu'ils ont peur que puis euh doit changer et c'est pas
JAN : je n` [sais pas ]
KRI : [c'est pas] facile et .. (Conversation à table, code 124/4ne, CLAPI)

L'interlocuteur répond de manière évasive à la question posée par le locuteur et on voit que sa réponse, dans la réplique suivante, reste toujours vague et peu formulée. Soit l'interlocuteur a autres choses à faire et n'a pas le temps de répondre de manière formulée, soit ses connaissances sont trop marginales pour donner une réponse claire et définie à son locuteur. On peut dire que l'interlocuteur viole la maxime de modalité de Grice (1979 [1975] : 61-62), selon laquelle il faut être clair.

[35] En roumain, la réponse évasive est montrée dans l'exemple suivant :

(35)

Cred că poezia chineză, indiană, japoneză ar putea influența în continuare evoluția poeziei actuale. Altfel riscăm să cădem în vulgaritatea poeziei tip wrap, rock, hip-hop, Coca Cola și droguri. Sunt retrograd? Poate. Înțelepciune și frumusețe, asta voiau și anticii, asta ne oferă și Biblia prin Cântarea Cântărilor, Psalmi, poezia religioasă, dar nu cea bigotă. Profesorul meu de muzică, deși nu era un om rău, era chiar sentimental, făcea pedagogie artistică prin pumn (Microeseu despre artă de Boris Mehir, éd. no. 1484 du 23 janvier 2015, CoRoLa)

De manière évasive, poate permet à la fois de reconnaître les propos du locuteur mais aussi de garder les siens, violant la maxime de modalité (Grice 1979 [1975] : 61-62), on ne voit pas trop clair dans la réponse que le locuteur donne. Il n'y a pas un avis tranché du locuteur, il laisse sa réponse ambiguë, mystérieuse et absolument pas claire.

[36] En résumant, peut-être français et poate roumain permettent une violation de la maxime de modalité et en même temps une prise de position neutre par rapport à un fait exposé par le locuteur, ou une assertion ainsi qu'un regard sur les pensées de l'interlocuteur, tout en participant à la communication et en donnant sa contribution. C'est maintenant que les deux langues se séparent. On verra d'abord le français et ensuite le roumain. Nous avons vu donc que les trois langues étudiées dans notre analyse partagent au moins cinq fonctions véhiculées par le marqueur pragmatique. Cependant, notre étude nous a fait identifier d'autres fonctions qui concernent, dans ce cas, seulement le roumain et le français. En effet, nous avons pu découvrir que d'un côté, en français, peut-être peut exprimer les fonctions de prise de distance par rapport à un fait dont on ne discute pas la réalité et une réponse évasive à une question posée par le locuteur, cette dernière ayant été rencontrée en roumain aussi. De l'autre côté, nous avons essayé de reformuler ce qu'Angheluță (2015) avait proposé comme médiateur de l'information en lui donnant une définition plus concrète qui pourrait rendre les choses plus claires. Pour ce qui est de la première fonction, à savoir une prise de distance par rapport à un fait dont on ne discute par la réalité, Pohl (1965) avait déjà théorisé cette fonctionnalité dans l'énoncé Vous êtes peut-être irréprochable pour la chasteté ma Mère, …mais pour l'orgueil, où le locuteur, le fils dans ce cas, ne met guère en doute la chasteté de sa mère mais il critique son orgueil. Le marqueur peut-être sert à prendre de la distance par rapport au fait qu'on ne veut pas discuter et dont on ne met pas en doute la réalité. Mais voyons avec des exemples ce dont on parle.

[37] En français, peut-être peut aussi exprimer la fonction de prise de distance par rapport à un fait dont on ne discute pas la réalité, comme dans l'exemple suivant :

(36)

Vous êtes peut-être irréprochable pour la chasteté ma Mère, …mais pour l'orgueil. (Pohl 1965 : 1436).

Le locuteur ne met nullement en doute la chasteté de sa mère dont il est fier et qu'il respecte, toutefois l'utilisation de l'adversatif mais contraste avec la première construction et met en valeur ce qu'il lui reproche, à savoir son orgueil. En effet, si dans la première construction on a une prise de distance par rapport à un fait qu'on ne discute même pas et dont on ne met pas en cause la vérité, la seconde porte sur le contenu, qui est la cible des reproches faits à la mère.

[38] En ce qui concerne le roumain, nous avons nommé la fonction qu'Angheluță (2015) avait proposée, à savoir médiateur de l'information, fausse hésitation. L'exemple qui suit prouve cette fonction :

(37)

Băsescu : [...] Am avut astăzi o discuţie cu domnul ministru Fini - poate că ceea ce am discutat, parte din ce am discutat, trebuie să fie făcut public - şi eu v-aş spune că este unul din puţinii demnitari, din puţinii politicieni reprezentând state membre ale Uniunii Europene, care a ţinut să mulţumească pentru contribuţia deosebită pe care cei peste 250 de mii de români care lucrează în Italia şi-o aduc la evoluţia economiei italiene. Este o abordare care ne face să înţelegem că Italia, politicienii italieni, privesc cu deschidere către România şi mai ales către români. (Băsescu 2005).

En fait, ce n'est pas que l'ex-président seulement manipule les informations, mais il les manipule à son gré en feignant une hésitation qui se révèle fausse. En littérature, la figure de style qui pourrait lui correspondre est la prétérition, du latin praeteritio (action de passer sous silence), du supin praeteritum qui consiste à parler de quelque chose dont on a annoncé ne pas vouloir parler. Cependant, cette figure de style ne trouve pas son application à ce contexte, du moment où le locuteur n'a pas prévenu son auditoire de l'impossibilité de lui communiquer les secrets d'État. En réalité, l'ex-président veut se rendre agréable au public en leur dévoilant une information, ce que d'autres politiciens n'auraient, peut-être, pas fait. Il est complice de la situation de communication focalisant l'attention sur sa personne et en profite pour améliorer son image.

[39] D'après l'étude que nous avons conduite, sur une échelle de fréquence de ce marqueur pragmatique, dans les trois langues prises en considération, nous pouvons soutenir qu'en italien forse est très fréquent. Le marqueur poate est assez utilisé en roumain oral, surtout dans les dialogues et les discours politiques, soulignant encore deux fonctions distinctes (réponse évasive et fausse hésitation) du marqueur italien forse. Il reste toutefois marginalement utilisé dans les corpus littéraires et dans les monologues. Pour ce qui est du français, peut-être comme marqueur pragmatique reste moyennement employé. Son utilisation se limite aux dialogues et figure parfois dans des monologues littéraires. Il partage avec l'italien et le roumain les trois fonctions : préparer l'interlocuteur, atténuer les propos et ironie, ensuite il en partage deux autres avec le roumain : la réponse évasive et l'inférence.

4 Conclusions

[40] Cette étude contrastive nous a permis d'explorer l'évolution de l'adverbe exprimant la modalité épistémique du possible et de mettre en valeur ses fonctions comme marqueur pragmatique dans trois langues romanes. Nous avons pu donc voir que les usages de cet élément pragmatique changent d'une langue à l’autre et prennent à chaque fois des nuances différentes.

[41] Nous partons d'une base commune, qui est le partage de trois fonctions, à savoir : préparer l'interlocuteur, atténuer les propos et l'ironie, pour identifier ensuite des différences. Le français et le roumain partagent la fonction de réponse évasive et celle de l'inférence mais diffèrent par d'autres fonctions : prise de distance par rapport à un fait dont on ne met pas en doute la réalité pour le français et fausse hésitation pour le roumain.

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1 Jacopo della Lana (c. 24, v. 87) : « [...] mi s'inforsa. Çoè, niente de quella mi è in dubio. Inforsa si è verbo informativo e descende da questo averbio dubitandi forsan vel forsitan ».