Compte rendu
Catherine Camugli Gallardo 2022. Lire les textes anciens italiens. Éléments de morpho-syntaxe diachronique. Peter Lang
Book review
Catherine Camugli Gallardo 2022. Lire les textes anciens italiens. Éléments de morpho-syntaxe diachronique. Peter Lang
Hélène Miesse
Université de Liège (Liège, Belgique)
helene.miesse@uliege.be
https://orcid.org/0000-0002-2229-0198
Reçu le 18/11/2024, accepté le 18/1/2025, publié le 11/4/2025
Creative Commons Attribution 4.0 International
© 2025 Hélène Miesse
Pour citer ce compte rendu
Miesse, Hélène 2025. Compte rendu. Catherine Camugli Gallardo 2022. Lire les textes anciens italiens. Éléments de morpho-syntaxe diachronique. Peter Lang. Studia linguistica romanica 2025.13, 100-103. https://doi.org/10.25364/19.2025.13.7.
[1] Les 486 pages de l'imposant volume de Catherine Camugli Gallardo se posent pour objectif – c'est annoncé dès l'avant-propos et se révèle être le cas – de pallier un manque, soit l'absence d'« outils efficaces » (p. 9), à tout le moins en français, pour l'étude de la morphosyntaxe de l'italien ancien. Si elles sont en priorité destinées à un public d'étudiants ne connaissant pas le latin, elles pourront satisfaire les attentes d'un public plus vaste de chercheurs comme de passionnés.
[2] Pour couvrir une période qui s'étend de l'émergence des parlers romans jusqu'à la borne ultime de 1525, lorsque la langue italienne entre, avec Pietro Bembo, dans une phase normative de son histoire, Catherine Camugli Gallardo adopte une approche contrastive qui, avec une visée didactique affirmée, fait dialoguer l'italien et le français, comme le passé et le présent. L'ouvrage exploite des références et des matériaux textuels variés pour permettre au lecteur francophone contemporain de comprendre la constitution progressive de la langue italienne et l'aider à réduire la double distance – linguistique et chronologique – qui le sépare des textes fondateurs de l'idiome péninsulaire (voir, bien qu'à propos de la latinité, le tableau des pp. 72-80).
[3] Le volume s'appuie principalement sur des textes issus de la tradition littéraire 'prébembienne', tant en prose qu'en vers, surtout toscans et septentrionaux : poètes ombriens, I Fioretti di San Francesco, Marco Polo, Dino Compagni et Giovanni Villani, Il Novellino, les Trois Couronnes, le Tristano Riccardiano, Boiardo et L'Arioste, Alberti mais aussi Machiavel et Cellini. Il fait néanmoins la part belle aux exemples issus de la littérature moderne (Calvino et Leopardi) comme au cinéma, tout en ménageant un espace aux dialectes, dans leurs usages littéraires (Goldoni, C. Levi, Morante, par exemple) ou plus contemporains, et ce par le biais de la chanson dialectale. Le recours aux dialectes permet à l'autrice d'illustrer la concurrence entre certaines formes ou la pérennité d'usages anciens délaissés par le standard.
[4] Catherine Camugli Gallardo revendique une méthodologie systématique inspirée des travaux de Anna Giacalone Ramat sur la grammaticalisation et de Michel Banniard sur les phases d'une évolution. Elle inscrit sa démarche dans celle de Durante (1981), renouvelée par De Mauro (1991 [1963]), et réserve un accueil favorable aux macro-phases de Tesi (2004, 2007 [2001]). Si la bibliographie mobilisée n'est pas toujours la plus récente, les travaux de synthèse de grands linguistes italiens (citons Francesco Bruni, Arrigo Castellani, Paolo D'Achille, Claudio Marazzini, Giovanni Patota, Luca Serianni) côtoient des études davantage centrées sur l'étude de la syntaxe (dont celles de Riccardo Ambrosini, Michele Loporcaro et Nunzio La Fauci, pour n'en citer que quelques-unes) et d'autres concernant les dialectes.
[5] Sur le plan de la construction et de la transmission des savoirs, c'est du côté de l'enseignement explicite que l'on identifiera les références. Comme le rappellent Gauthier, Bissonnette & Richard (2013), il s'agit pour l'enseignant d'expliciter l'ensemble des dimensions de son enseignement que sont les démarches, le programme, les étapes, les objectifs de connaissance. En ce sens, les huit chapitres qui composent le manuel veillent à rendre évidentes les intentions de l'autrice, les bornes et l'approche choisies, les théories et lectures qui sous-tendent le travail. Chacun des chapitres débute, dès lors, par une présentation des objectifs de connaissance et s'achève sur des exercices, ensuite corrigés et expliqués, visant à vérifier les acquis du chapitre. En particulier, après un avant-propos rendant compte des raisons d'être du volume, le chapitre initial pose le cadre historique, linguistique et les bases méthodologiques nécessaires pour la bonne compréhension des évolutions exposées dans les volets successifs.
[6] S'agissant des cinq chapitres qui constituent le cœur du volume, ils envisagent tour à tour le passage des marques casuelles latines vers l'ordre des mots en italien (chap. 2) ; le démonstratif, l'article et le pronom italiens (chap. 3) ; les innovations romanes du système verbal (chap. 4) ; les mots invariables que sont les prépositions, les adverbes et les connecteurs (chap. 5) puis la phrase complexe, soit les propositions complétives, adverbiales et relatives (chap. 6). Ils se fondent sur une association étroite entre théorie et pratique, entre description du fonctionnement de la langue et observation des phénomènes décrits dans les textes. L'ensemble est riche de la grande variété des exemples mobilisés, patiemment décortiqués, commentés, traduits lorsqu'ils sont encore latins. Les extraits convoqués sont soigneusement sélectionnés et contextualisés par quelques phrases, tandis que les œuvres dont ils sont tirés font l'objet d'une description succincte aux pp. 431-451.
[7] Les chapitres ultimes se présentent, quant à eux, comme un discours de méthode pour la lecture des textes anciens (chap. 7 : Pour finir : comment lire un texte ancien) et une description du corpus des textes cités (chap. 8 : Corpus : auteurs & œuvres. Typologie textuelle & traits linguistiques du corpus). À la différence des chapitres intermédiaires, donc, le dernier volet de l'ouvrage n'a pas pour visée l'analyse de modifications morphosyntaxiques survenues lors du passage du latin à l'italien. Il entend rappeler au lecteur quelques caractéristiques propres aux textes anciens qu'il convient de garder à l'esprit pour entamer leur lecture : leur aspect particulier et les supports qui les véhiculent, l'importance de l'oralité et du rythme qui mènent à des habitudes syntaxiques bien éloignées de la norme et du goût actuels.
[8] L'explicitation précédemment évoquée se retrouve aux différents niveaux de l'ouvrage : dans sa méthode, on l'a dit, mais aussi dans sa mise en page. Par un jeu de graisses, de nuances et d'encadrés, la présentation typographique participe pleinement de la hiérarchisation du propos. On relèvera aussi, à la fin des sections, la mise en évidence d'une sélection de références bibliographiques pour approfondir l'une ou l'autre des questions envisagées. Le traitement réservé aux notions-clés, épinglées en tête de chaque chapitre, est représentatif d'un souci de clarification du métalangage, souci que l'on retrouve également dans le recours fréquent à l'étymologie (adstrat, diatopique, parataxique, pour ne mentionner que quelques exemples). Le sommaire détaillé ainsi que les index de fin d'ouvrage – index des formes explicitées et des notions, des citations d'auteurs et de la variation dialectale – permettent un va et vient entre les métatermes, la description théorique des traits morphosyntaxiques et leur actualisation dans les textes (pp. 469-473).
[9] Au rang des bémols, qui n'entachent cependant pas la grande qualité didactique de l'ensemble, on regrettera une langue quelquefois incohérente, qui oscille entre un français oralisant, teinté d'humour (« Sur quels témoignages repose la réflexion linguistique ? », p. 37 ; « L'italien ne s'est pas construit uniquement par les écrivains », p. 55 ; « Exercice 17 - Formes verbales méli-mélo », p. 263 ; ou encore, pour le second degré, sur les notes sur les « séjours Erasmus de l'époque », p. 33 ; « la pensée altruiste de Lucrèce », p. 101), et le langage soutenu, culturellement chargé, de la communication scientifique, qui pourra peut-être déconcerter le lectorat le plus jeune (voir « [le christianisme] s'adresse dans ses débuts aux grandes masses populaires qui en ont été exclues puisque la prédication de Paul s'adresse aux Gentils », p. 45 ; « Les jeux rythmico-phonétiques sur la rime et ceux fondés sur la mobilité de ces mots dans l'octave et/ou les deux rimes plates du distique final, sont également mis à contribution. Ces accrétions lexicales constituent des sortes de refrain. », p. 429). Sans doute est-ce là un moindre prix à payer pour toucher un double public, à la fois celui des étudiants en formation et se préparant au concours (mais déjà d'un bon niveau, il faut le dire !), et celui des chercheurs désireux de se confronter à un nouveau champ d'étude.
[10] Il conviendra enfin de souligner qu'une grande prudence et une totale transparence vis-à-vis du lecteur guident en permanence le propos. Catherine Camugli Gallardo veille à questionner les étiquettes, à déconstruire certaines idées reçues et à nuancer les affirmations (entre autres celle d'un « latin abâtardi », p. 55 et 104, ou le primat de l'économie florentine, p. 55), à reporter les débats lorsqu'il est difficile de trancher (les « cadres de réflexion » sur la transition linguistique aux pp. 47-48). L'étudiant peut dès lors percevoir l'essence même de la démarche scientifique – faite d'hypothèses discutées et retenues valides jusqu'à ce que voie le jour une explication plus convaincante – et se rendre compte que, malgré l'avancement des connaissances, de nombreuses questions restent ouvertes (p. ex. p. 95).
[11] Sans se limiter à l'analyse morphosyntaxique, le passage en revue des phénomènes présentés amène à examiner, pour en apprécier les effets, les choix posés par les auteurs anciens. Ainsi à la p. 415, la consigne c) de l'exercice 31 invite à s'interroger sur la relation entre les répétitions lexicales et « ce que nous savons du thème » d'une nouvelle de Boccace. L'autrice engage son lecteur à ne pas laisser une certaine forma mentis contemporaine « compromettre le plaisir de sa lecture » (p. 409) ; elle l'invite à « goûter la narration » (p. 411). « Que vos lectures soient heureuses », conclut-elle, puisque tel est l'un des bénéfices que devrait procurer l'étude rapprochée des textes.
Abréviations et références bibliographiques
De Mauro 1991 [1963] = Tullio De Mauro 1991 [1963]. Storia linguistica dell'Italia unita. Laterza.
Durante 1981 = Marcello Durante 1981. Dal latino all' italiano moderno. Saggio di storia linguistica e culturale. Zanichelli.
Gauthier, Bissonnette & Richard 2013 = Clermont Gauthier, Steve Bissonnette, Mario Richard 2013. Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. De Boeck.
Tesi 2004 = Riccardo Tesi 2004. Parametri sintattici per la definizione di italiano antico. Maurizio Dardano, Gianluca Frenguelli (éds.) 2004. SintAnt. La sintassi dell'italiano antico. Atti del Convegno internazionale di studi. Università Roma Tre, 18-21 settembre 2002. Aracne. 425-444.
Tesi 2007 [2001] = Riccardo Tesi 2007 [2001]. Storia dell'italiano. La formazione della lingua comune dalle fasi iniziali al Rinascimento. 2e édition. Zanichelli.