Compte rendu

Jean-Christophe Pellat 2023. L'orthographe française. Histoire, description, enseignement. Ophrys

Book review

Jean-Christophe Pellat 2023. L'orthographe française. Histoire, description, enseignement. Ophrys

Christophe Benzitoun

Université de Lorraine (Nancy, France)

christophe.benzitoun@univ-lorraine.fr

Reçu le 11/9/2023, accepté le 21/9/2023, publié le 24/4/2024
Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
© 2024 Christophe Benzitoun

Pour citer ce compte rendu

Benzitoun, Christophe 2024. Compte rendu. Jean-Christophe Pellat 2023. L'orthographe française. Histoire, description, enseignement. Ophrys. Studia linguistica romanica 2024.11, 54-57. https://doi.org/10.25364/19.2024.11.3.

[1] Jean-Christophe Pellat a consacré une grande partie de sa carrière scientifique à l'étude de l'orthographe française. En tant que spécialiste de la question, il publie en 2023 un ouvrage intitulé L'orthographe française qui prend la forme d'une synthèse accessible portant, comme son sous-titre l'indique, sur son histoire, sa description et son enseignement. Et cela est des plus utiles car comme nous l'apprend la quatrième de couverture : l'orthographe française est « une des plus compliquées au monde ».

[2] Le livre est court (un peu moins de 160 pages hors bibliographie et glossaire). Par conséquent, il ne traite pas toutes les questions en détail, ce qui aurait nécessité un volume nettement plus important. Il offre toutefois un riche panorama des problèmes posés par l'orthographe française et des solutions que l'on peut apporter pour en améliorer l'enseignement.

[3] L'ouvrage se divise en trois parties et huit chapitres. La première partie aborde l'histoire de l'orthographe française de manière chronologique. Le premier chapitre de 21 pages s'étend sur une longue période allant du 8e au 18e siècle. L'auteur met en avant, de manière classique, deux paramètres pour expliquer la complexité de l'orthographe contemporaine : les insuffisances de l'alphabet latin (qui a servi de base à l'alphabet français) et l'autonomie grandissante de l'écrit par rapport à l'oral. Une place de choix est également accordée aux polices de caractères manuscrites puis imprimées. Suit une mise au point sur les caractéristiques principales de l'orthographe ancienne et de l'orthographe moderne.

[4] Le chapitre 2 aborde les différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie française. On y apprend notamment que, quand l'Académie a introduit la distinction entre i/j et u/v, elle n'a pas tout de suite supprimé les consonnes muettes qui avaient pour rôle de désambigüiser la prononciation. Ainsi, advocat a conservé son d dans la deuxième édition alors que cette lettre ne servait plus à signaler que v devait se prononcer /v/ et non /y/. Plus généralement, on comprend que l'Académie procède régulièrement à des innovations mais sans forcément supprimer les dispositifs antérieurs. Ce chapitre est particulièrement riche en exemples empruntés aux différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie. Il se termine sur l'évocation des réformes de l'orthographe et plus particulièrement celle d'Aristide Beslais dans les années 1950 et les rectifications de 1990. Le contenu de cette dernière est présenté en détail.

[5] Dans la deuxième partie portant sur la description de l'orthographe française, Jean-Christophe Pellat pose d'emblée sa conception de l'écriture :

Une langue qui possède une écriture présente deux réalisations, orale et écrite, en relation de complémentarité entre elles, chacune ayant des fonctions spécifiques. Avec le temps, l'écriture d'une langue historique comme le français, comme toute écriture alphabétique, acquiert une relative indépendance par rapport à l'oral. (p. 63)

Ce questionnement des liens entre oral et écrit traverse une partie des problèmes fondamentaux que les linguistes rencontrent depuis de nombreuses années. Jean-Christophe Pellat traite également la question des néographies présentes dans les messages électroniques et y voit une forme de polygraphie dépendant des dispositifs d'écriture.

[6] Le chapitre 3 aborde les trois principes de l'orthographe du français : phonographique, sémiologique et étymologique. Selon Jean-Christophe Pellat, la correspondance avec un phonème n'est pas définitoire du graphème étant donné qu'en français il existe des graphèmes distinctifs sans lien avec l'oral, ce qui montre bien une autonomie partielle entre code écrit et code oral. Un très intéressant historique de l'évolution de la définition du graphème est proposé (encart 10).

[7] Le chapitre 4 est composé principalement de listes décrivant le plurisystème orthographique du français. Une distinction est faite entre les lettres étymologiques et les lettres historiques (comme le h dans huile qui permettait de distinguer le mot huile du mot vile à l'époque où u et v n'étaient pas distinguées).

[8] La troisième partie est consacrée à l'enseignement. Le chapitre 5 évoque les principales zones de difficultés pour enseigner l'orthographe. La question de la baisse du niveau des élèves est évoquée mais l'auteur ne tient pas compte des données les plus récentes fournies par les services du ministère de l'Éducation nationale français (Eteve, Nghiem & Philbert 2022). Il est possible que cette étude ne fût pas encore disponible au moment de la rédaction.

[9] Le chapitre 6 aborde les perspectives cognitives de l'enseignement de l'orthographe par trois moyens différents : les entretiens métagraphiques, des typologies d'erreurs ainsi que des stratégies générales d'apprentissage telles que le recours au dictionnaire, aux règles ou à l'analogie. Plus globalement, il s'agit pour l'apprenant de savoir quelle est la meilleure stratégie à mettre en œuvre pour résoudre un problème donné.

[10] Le chapitre 7 porte sur la distinction entre enseignement de l'orthographe lexicale, d'une part, et de l'orthographe grammaticale, d'autre part. La seconde est plus détaillée avec des développements spécifiques sur les chaines d'accord et l'accord du participe passé et ses 44 règles sur lesquelles les grammairiens ne sont pas tous d'accord. L'auteur développe l'idée selon laquelle l'enseignement de l'orthographe est ardu et nécessite un temps long se prolongeant toute la vie. Dans cette partie et dans d'autres, les références citées concernant les manuels d'enseignement peuvent sembler un peu datées, remontant souvent aux années 1970.

[11] Dans le chapitre 8, Jean-Christophe Pellat invite à rapprocher l'orthographe des activités d'écriture en général et des autres domaines que sont la grammaire, le vocabulaire et la conjugaison. Dit autrement, à décloisonner l'enseignement du français. Côté exercices, l'auteur s'intéresse aux activités de rédaction et aux raisons historiques permettant d'expliquer la place importante des dictées. Il met l'accent sur la pluralité de formes que peut prendre cette activité. Le livre se termine sur une liste étendue d'exercices et d'activités, sans conclusion ni synthèse, ce qui est un peu déroutant.

[12] Du point de vue formel, le texte est rédigé en adoptant l'orthographe rectifiée de 1990, ce qui est tout à fait cohérent avec le propos développé, mais malheureusement trop rare en linguistique et dans l'édition en général. Le livre est agrémenté de 19 encarts contenant des extraits de textes ou des précisions portant sur différents thèmes abordés au fil des pages.

[13] Concernant les quelques imperfections que nous avons relevées, nous pouvons citer les notations phonétiques qui ne sont pas accompagnées d'un tableau de correspondances à destination des non-initiés. On peut imaginer que cela peut poser quelques difficultés à certains lecteurs, même s'il est aisé de trouver l'information sur internet. Il y a quelques redites et quelques citations répétées, ce qui peut gêner la lecture. C'est le cas d'une citation de Buffier aux pages 26 et 45 ainsi que Catach aux pages 51 et 67. Nous avons relevé une erreur de formulation à la page 69 : « l'invention de l'écriture à la fin du XVe siècle » au lieu de l'invention de l'imprimerie. Nous n'avons pas trouvé de référence à Cazal & Parussa (2022) dans la partie historique, ce qui aurait été pertinent, nous semble-t-il, dans un tel ouvrage. Nous n'avons pas non plus trouvé de référence aux travaux de Claire Doquet et des récents corpus de copies d'élèves mutualisées dans le cadre du projet E-CALM (Doquet & Ponton 2021). Pourtant, ces corpus sont importants et devraient permettre d'améliorer les connaissances sur les problèmes orthographiques rencontrés par les élèves et ainsi d'apporter des réponses plus ciblées. Ces quelques remarques n'enlèvent rien à l'intérêt que l'on peut tirer de la lecture du livre de Jean-Christophe Pellat.

[14] En conclusion, cet ouvrage s'adresse à un large public – non-spécialistes, professeurs de français, professeurs des écoles, étudiants, etc. Son contenu accessible et sa brièveté sont clairement des atouts. Il permet de faire rapidement le tour des questions et problèmes que pose l'orthographe française, sans connaissance préalable. Les nombreux exemples apportent des éclairages utiles et les exercices dans la dernière partie représentent une ressource directement applicable pour les enseignants ou futurs enseignants.

Abréviations et références bibliographiques

Cazal & Parussa 2022 = Yvonne Cazal, Gabriella Parussa 2022. Introduction à l'histoire de l'orthographe. 2e édition. Armand Colin.

Doquet & Ponton 2021 = Claire Doquet, Claude Ponton 2021. Écrire de l'école à l'université : corpus, traitements, analyses outillées. Présentation. Langue française 211, 11-20. https://www.cairn.info/revue-langue-francaise-2021-3-page-11.htm.

E-CALM = Projet Écriture scolaire et universitaire : Corpus, analyses linguistiques, modélisations didactiques. https://e-calm.huma-num.fr/.

Eteve, Nghiem & Philbert 2022 = Yann Eteve, Xuan Nghiem, Louis Philbert 2022. Maîtrise de la langue en fin d'école : une légère hausse du niveau global des élèves en 2021. Note d'Information de la DEPP 22.28. https://www.education.gouv.fr/maitrise-de-la-langue-en-fin-d-ecole-une-legere-hausse-du-niveau-global-des-eleves-en-2021-343027.