Compte rendu

Dorothée Aquino-Weber, Sara Cotelli Kureth (éds.) 2022. Les chroniques de langage dans la francophonie. Cahiers internationaux de Sociolinguistique 2022/2 (nº 21)

Book review

Dorothée Aquino-Weber, Sara Cotelli Kureth (eds.) 2022. Les chroniques de langage dans la francophonie. Cahiers internationaux de Sociolinguistique 2022/2 (nr. 21)

Thomas Verjans

Université Toulouse Jean Jaurès (Toulouse, France)

thomas.verjans@univ-tlse2.fr

Reçu le 2/6/2023, accepté le 3/7/2023, publié le 17/10/2023 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Pour citer ce compte rendu

Verjans, Thomas 2023. Compte rendu. Dorothée Aquino-Weber, Sara Cotelli Kureth (éds.) 2022. Les chroniques de langage dans la francophonie. Cahiers internationaux de Sociolinguistique 2022/2 (n° 21). Studia linguistica romanica 2023.10, 35-38. https://doi.org/10.25364/19.2023.10.2.

[1] Le numéro 21 des Cahiers internationaux de Sociolinguistique (2022/2) est consacré aux chroniques de langage dans la francophonie et contient des contributions réunies par Dorothée Aquino-Weber et Sara Cotelli-Kureth. La double originalité revendiquée par les autrices tient, d'une part, au fait de réunir des études sur des chroniques qui permettent un « point de vue englobant plusieurs régions francophones » et, d'autre part, de donner la parole « aux rédactrices et rédacteurs de ces écrits » aussi bien qu'« aux scientifiques qui les analysent » (p. 7). Certains et certaines cumulent en outre le double rôle de chroniqueur ou de chroniqueuse et de scientifique. Matériellement, le volume s'organise donc en une introduction, une première partie rassemblant les propos de chroniqueurs et de chroniqueuses, et une seconde les propos scientifiques.

[2] Dans leur introduction, les deux directrices du volume dressent un état des lieux des recherches sur le sujet, tout en s'attachant à discuter les définitions génériques pour en cerner les implications et, partant, en délimiter le corpus. C'est aux trois critères de Remysen (2005) qu'elles souscrivent, à savoir le contenu linguistique de la chronique, sa régularité et la légitimité de son auteur ou de son autrice, à quoi s'ajoute, en suivant Quemada (1970-1972), le destinataire de la chronique, en l'espèce le grand public. Elles explorent ensuite la place des chroniques dans l'histoire des réflexions métalinguistiques non strictement professionnelles et l'intérêt de leur étude, notamment par rapport au développement de la folklinguistique, laquelle ne pourrait rendre compte que d'une partie des chroniques de langage. Est encore mise en évidence la dimension idéologique qui peut être attachée à ces chroniques, laquelle tient autant du chroniqueur, notamment non-linguiste, que, le cas échéant, du média dans lequel il s'exprime. C'est donc un très précieux état des lieux que constitue cette introduction, tant sur le plan des questions soulevées que de la situation des Chroniques en tant qu'objet d'étude.

[3] Il semble cependant que la question de l'autorité des chroniqueurs appellerait davantage de précisions. Une dichotomie fondamentale apparaît bien entre linguistes et non-linguistes, mais cette dichotomie dans son versant linguistique, du moins, mériterait quelques nuances. En effet, l'image donnée, dans cette introduction, des linguistes chroniqueurs/chroniqueuses est sans doute un peu trop consensuelle dans la mesure où elle laisse penser que toutes et tous se situeraient du côté descriptiviste, par opposition aux puristes, essentiellement non-linguistes. Si cela appert bien à la lecture de celles et ceux retenus dans le présent volume, les débats récurrents sur l'écriture inclusive, par exemple, ou bien encore sur la féminisation, témoignent de bien des divergences qui peuvent exister au sein de la profession, et du purisme exacerbé de certains et de certaines linguistes. L'échange tout contemporain qui succède à la publication du tract des Linguistes attéréEs (Les linguistes attéréEs 2023) et qui oppose les auteurs et les autrices de celui-ci aux signataires de la Tribune du Figaro, initiée par Jean Pruvost (Le Figaro, 24 mai 2023), lui-même récent créateur d'une chaîne Youtube consacrée à une forme de chronique sur le vocabulaire, témoigne bien de ces positions parfois radicalement opposées1. L'on est certes là souvent aux extrêmes limites de la définition du genre, mais les frontières demeurent relativement perméables. Au point que l'on pourrait encore interroger, dans le prolongement de ces questionnements, l'appel aux linguistes dans des chroniques telles que celles du Figaro. Tout cela excède naturellement ce que l'on peut attendre d'une introduction et ne témoigne que de la stimulation induite par celle-ci.

[4] La première partie est consacrée aux témoignages de chroniqueurs et de chroniqueuses appartenant à différentes régions de la francophonie (Belgique, Canada, France, Suisse) et exerçant dans différents médias (journal imprimé, radio, blogue). Ont ainsi participé à ce numéro, dans l'ordre de leur contribution : Michel Feltin-Palas, Michel Francard, Médéric Gasquet-Cyrus, Marinette Matthey, Benoît Melançon et Jean-Benoît Nadeau. Ces chroniqueurs et chroniqueuses sont, pour les uns, linguistes, et pour les autres non, et reviennent ici sur leurs pratiques, leurs conceptions de la chronique et le rôle que ces chroniques peuvent jouer. La lecture des témoignages paraît bien révélatrice de la différence essentielle entre les perspectives des linguistes et celles des non-linguistes, chez qui transparaissent une position de défense, d'opposition, et un constat aux accents quelque peu alarmistes sur l'état de la langue, quand les chroniqueurs et les chroniqueuses linguistes s'attachent exclusivement à l'explication de la variété. Un fait relativement unanime et souligné par l'ensemble des chroniqueurs concerne la tonalité des questions posées, qui relève de la dimension normative fondamentalement ancrée chez l'immense majorité des locuteurs et des locutrices. Michel Francard, par exemple, met en avant l'existence de « sujets qui fâchent » (p. 48), laissant entendre que toutes les questions traitées, fussent-elles liées à la seule présence/absence d'une préposition (pallier (à)), ne possèdent pas les mêmes enjeux sociétaux. Ils et elles soulignent plus généralement le rapport constant avec leur lectorat ou leur auditorat ainsi que la liberté rarement contrainte qui est laissée à leur parole. Cela cependant sans exclure certains partis-pris des rédactions (Marinette Matthey, p. 63 ou 65). Et si, naturellement, quelques particularités peuvent être liées à la région de la francophonie qui est la leur, on lira ces témoignages avec le plus vif intérêt, en ce qu'ils montrent aussi la diversité interne du genre même de la chronique, tant dans ses objets que dans ses réalisations.

[5] La seconde partie est composée de trois articles. Le premier, dû à Karine Gauvin, s'attache aux chroniques de langage en Acadie. Après avoir rappelé la situation particulière de cette province, dans laquelle « les francophones sont en situation minoritaire face à la population anglophone » (p. 83), elle montre d'abord l'influence des chroniques québécoises en un lieu où la pratique de l'exercice est moins importante. Pour autant, les réflexions et les publications sur les pratiques linguistiques et le bon usage de la langue existent, imprégnées le cas échéant d'une idéologie ancienne. Est en particulier visé le chiac, « parler vernaculaire à forte résonance identitaire dont la base est acadienne et qui est le produit du contact étroit avec l'anglais » (p. 93). Mais Karine Gauvin montre surtout que la situation politique particulière de l'Acadie peut expliquer l'absence d'une réelle tradition de chroniques de langage.

[6] Le deuxième article, dû à Dorothée Aquino-Weber et à Sara Cotelli Kureth, interroge sous forme de premier aperçu la question des régionalismes dans les chroniques de langage de Suisse romande. Elles abordent ainsi « la façon dont ces régionalismes sont traités dans une sélection de chroniques de langage qui s'échelonnent de 1913 à 1999 » (p. 103). En se concentrant sur les chroniques réalisées par des non-linguistes, elles montrent que les critères d'acceptation et ceux de rejet des régionalismes sont en réalité réversibles ou, plus exactement sont en miroir les uns des autres.

[7] La dernière contribution, enfin, porte les cas de Maurice Grevisse et d'André Goosse, grammairiens bien connus et auteurs successifs du Bon usage, mais aussi chroniqueurs dans le quotidien La libre Belgique. Anne Dister présente ainsi les démarches de chacun des deux chroniqueurs, en pointant notamment quelques différences, parmi lesquelles le traitement de la variation, diatopique en particulier, absente chez Maurice Grevisse mais présente chez son successeur. De la même manière, et dans la filiation de Vaugelas, la notion de bon usage apparaît chez les deux auteurs, tout en reposant sur un ensemble de critères plus diversifiés chez le second, ainsi que sur un corpus plus vaste, non limité à la seule littérature. Chez celui-ci cependant, et parce qu'a émergé la notion de français universel, le belgicisme devient problématique pour les risques d'incompréhension qu'il engendre.

[8] En définitive, l'une des lignes de force de ce numéro nous semble tenir dans l'opposition, non directement thématisée mais omniprésente, entre chroniqueurs/chroniqueuses linguistes et chroniqueurs/chroniqueuses non-linguistes, retrouvant par ce biais la question du purisme et de l'éthos du chroniqueur. Ainsi, et outre son objet propre qui concerne la place des chroniques dans une grande part de l'espace francophone, cette livraison des Cahiers internationaux de Sociolinguistique se pose comme un incontournable pour qui veut étudier les chroniques de langage dans la francophonie.

Abréviations et références bibliographiques

Les linguistes attéréEs 2023 = Les linguistes atteréEs 2023. Le français va très bien, merci. Gallimard.

Quemada 1970-1972 = Bernard Quemada 1970-1972. Bibliographie des chroniques de langage publiées dans la presse française. Didier.

Remysen 2005 = Wim Remysen 2005. La chronique de langage à la lumière de l'expérience canadienne française. Un essai de définition. Julie Bérubé, Karine Gauvin, Wim Remysen (éds.). Les journées de linguistique. Actes du 18e colloque, 11-12 mars 2004. Centre interdisciplinaire de recherches sur les activités langagières, 267-281. https://www.usherbrooke.ca/crifuq/fileadmin/sites/crifuq/contributions/REMYSEN_chronique.pdf.

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