Conscience linguistique dans le monde hispanophone
La représentation du prestige de la variété péninsulaire
Linguistic awareness in the Spanish-speaking world
The representation of the prestige of the peninsular variety
Antoine Brahy
Université de Lorraine (Nancy, France)
antoine.brahy@univ-lorraine.fr
Reçu le 20/4/2023, accepté le 17/11/2023, publié le 24/4/2024
Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
© 2024 Antoine Brahy
Pour citer cet article
Brahy, Antoine 2024. Conscience linguistique dans le monde hispanophone. La représentation du prestige de la variété péninsulaire. Studia linguistica romanica 2024.11, 1-29. https://doi.org/10.25364/19.2024.11.1.
Résumé
Depuis la vague d'indépendances du début du 19e siècle, la communauté hispanoaméricaine entretient des rapports ambivalents avec l'Espagne sur tous les plans. S'agissant du débat autour des différentes variétés (nationales) de l'espagnol, la querelle opposant les partisans de la différenciation linguistique comme marqueur d'une identité ethnique et les adeptes d'une norme transatlantique unifiée n'est pas récente. Dans ce contexte, l'étalon péninsulaire semble occuper une place de choix dans l'imaginaire collectif hispanique, en raison, entre autres, de son rayonnement historique. La vocation de cet article est d'étalonner ces perceptions, en prenant pour appui les résultats d'une enquête menée par une équipe de sociolinguistes. Placés dans cette situation fictive qu'est l'uniformisation linguistique, ces derniers sont invités à se prononcer sur ses modalités. À travers leurs réponses, nous analyserons leur rapport à la variété péninsulaire, dans l'optique de dresser un état des lieux du prestige dont ce parler jouit, ou non, outre-Atlantique.
Abstract
Since the wave of independence at the beginning of the 19th century, the Hispano-American community has maintained ambivalent relations with Spain at all levels. Regarding the various (national) dialects of Spanish, the debate between the supporters of linguistic differentiation as a marker of an ethnic identity and the supporters of a unified transatlantic norm is not recent. In this context, the peninsular standard seems to occupy a special place in the Hispanic collective imagination, due in part to its historical influence. The purpose of this article is to discuss these perceptions based on the results of a survey conducted by a team of sociolinguists. Placed in the fictitious situation that is linguistic standardization, the participants of the study are invited to decide on its modalities. Through their answers, we will analyze their relationship with the peninsular variant of Spanish, seeking to assess the extent of the prestige this language enjoys, or not, across the Atlantic.
Sommaire
1 Introduction
2 Présentation du projet LIAS et cadre méthodologique
3 Analyse des données
3.1 Question 21
3.2 Question 22
3.3 Question 23
4 Discussion
5 Synthèse
Abréviations et références bibliographiques
1 Introduction
[1] Una estirpe, una lengua y un destino. La trinité sur laquelle se fonde le mantra de l'Asociación de las Academias de la Lengua española (ASALE) renvoie à une conception éminemment unitaire de l'hispanité. Ce patrimoine immatériel et transcendant qu'est la langue des peuples hispanophones procéderait d'un passé constitutif et fédérateur de cette vaste lignée, tout en la guidant vers une même destinée civilisationnelle.
[2] Une telle lecture de l'identité hispanique repose en réalité sur une intuition dégagée et mise en mots par certains linguistes en ces termes : « conciencia colectiva panhispánica » (Company Company 2016 : 2), ou le sentiment d'appartenir à une communauté supra-étatique, modelée par l'Histoire et dont le dénominateur commun ne serait autre que la langue partagée par l'ensemble des peuples hispanophones. Bon nombre d'acteurs politiques et institutionnels se sont saisis de cette approche pleinement glottopolitique (Guespin & Marcellesi 1986), la plupart du temps à des fins idéologiques.
[3] Dans le même temps, le caractère polycentrique de l'espagnol fait désormais consensus au sein de la communauté scientifique (Greußlich 2015 ; Lebsanft, Mihatsch & Polzin-Haumann 2012). Par conséquent, la pluralité des foyers d'influence linguistique et la diversité des parlers qui en résultent ne sont pas davantage contestées. On en veut pour preuve le nombre incalculable d'études, d'ouvrages et de productions dédiés au recensement et à la description des multiples variétés de la langue espagnole dans la zone où elle est parlée (Moreno de Alba 1992 ; Moreno Fernández & Otero 2008).
[4] Unité et Diversité, deux constats et objectifs à première vue antagoniques. Pourtant, la logique première suivie par le courant de pensée panhispaniste est bien d'en appeler à une harmonisation linguistique de l'Espagne et de ses anciennes colonies, censés faire front commun sur la scène internationale dans la double optique de contrecarrer l'hégémonie du monde anglophone (Rodríguez Campesino 2018) et de ne pas voir l'actuelle aire hispanique se disloquer linguistiquement. De tels objectifs ne peuvent être satisfaits que sur la base d'une cohésion interne suffisamment consolidée.
[5] Ces objectifs, aussi louables soient-ils sur le papier, s'inscrivent malgré tout dans une conjoncture géopolitique contemporaine faisant suite à un processus historique de colonisation et d'indépendances subséquentes. À la suite de la perte de ses colonies, l'État espagnol a agi dans le sens d'un maintien de l'influence ibérique en Amérique, au moyen d'une « política exterior de prestigio que recuperara el valor internacional de la España de comienzos del siglo XX » (Sepúlveda Muñoz 2005 : 22). Le grief principal imputé à l'Espagne étant d'exercer, à travers différents leviers culturels, politiques et économiques, une influence sur ses anciennes colonies américaines qui s'apparenterait, selon certains, au néocolonialisme, et ce dans l'espoir de continuer à tirer parti des ressources du nouveau monde sans pour autant traiter ses anciens vassaux d'égal à égal.
[6] Il y a lieu de préciser que ces réserves émises outre-Atlantique quant aux velléités néocolonialistes de l'ancienne métropole ne se cantonnent pas aux seuls domaines économique et social. Elles s'étendent à tous les traits culturels communs qu'entretiennent les deux blocs hispanophones, et notamment à la sphère linguistique. Dès lors, la friction gagne le terrain de la variété, où l'espagnol péninsulaire fait face à un homologue américain morcelé, en proie à une crise identitaire et de légitimité face au reste du monde :
La simple banderita española que se encuentra en internet o en las guías turísticas europeas o estadounidenses para indicar la lengua, refuerza la creencia de que el español es de los españoles y los demás no podemos tratarlo como propio. (Lara 2011)
[7] Ainsi, ces diverses démonstrations de défiance adressées à l'Espagne se cristallisent autour d'une langue qui n'en demeure pas moins, en l'état actuel des choses, parlée de part et d'autre de l'Atlantique. Si les tensions diplomatiques procèdent, en partie, d'un positionnement hésitant de la part des ex-colonies sur l'échiquier culturel et politique mondial, les problématiques linguistiques, quant à elles, s'articulent notamment autour du concept de prestige octroyé à l'une ou à l'autre variété de l'espagnol. D'ores et déjà, précisons qu'à l'occasion de ce travail, nous entendrons concept de prestige linguistique au sens de Moreno Fernández (2005 : 187), qui y voit un « proceso de concesión de estima y respeto hacia individuos o grupos que reúnen ciertas características y que lleva a la imitación de las conductas y creencias de esos individuos o grupos ».
[8] Selon les travaux de Giles, Bourhis & Davies (1979), résumés par Sancho Pascual (2013), le prestige attaché à une variété linguistique donnée découle directement de celui dont jouissent ses locuteurs aux yeux d'une communauté extérieure, ce qui rejoint les considérations d'ordre historique, culturel et économique précédemment évoquées :
Según la hipótesis de la norma impuesta, una variedad hablada por un grupo de prestigio será considerada mejor o más prestigiosa que otras, ya que el estatus del que goce será alcanzado a través del prestigio de sus usuarios. (Sancho Pascual 2013 : 36)
Par conséquent, la vocation première du présent article n'est autre que celle de mettre ce sentiment de communauté panhispanique à l'épreuve des chiffres, et surtout du jugement du locuteur hispanophone moyen. Afin de rendre compte des perceptions sociolinguistiques de ce dernier le plus finement possible, nous nous appuierons sur les résultats d'une enquête sociolinguistique menée sur le terrain, le projet Linguistic identity and attitudes in Spanish-speaking Latin America (LIAS) (Chiquito & Quesada Pacheco 2014).
[9] Si les prescriptions institutionnelles semblent aller dans le sens d'un panhispanisme sans aspérités, dont les différentes variétés seraient placées sur un pied d'égalité, il n'en va pas nécessairement de même pour le locuteur moyen, el hombre de a pie, dont l'étude de la hiérarchisation interne – ou son absence – nourrira de façon fructifère le débat sur l'octroi, réel ou fantasmé, de prestige à telle ou telle variété et son impact sur le sentiment de conscience panhispanique.
[10] Ainsi, quête identitaire et prestige constituent deux facteurs cardinaux pour qui souhaite faire la lumière sur les dynamiques sociolinguistiques en jeu à travers l'aire hispanophone. De fait, la présente étude a pour visée d'éprouver, à l'échelle de l'individu, la consistance et les ressorts de cette conscience collective panhispaniste dégagée par les linguistes, mais aussi d'analyser la vivacité de « la tradicional hegemonía etnolingüística de España como potencia colonial » (Amorós Negre 2012 : 143), en dressant un état des lieux réaliste et éclairant de la façon dont l'Espagne s'inscrit dans l'imaginaire linguistique collectif des peuples hispanophones, près de deux siècles après la vague d'indépendances hispanoaméricaine.
[11] À cet égard, précisons que les hispanoaméricains ont spontanément désigné, dans leur grande majorité, la variété utilisée par les espagnols comme étant la plus correcte (Sobrino Triana 2018 : 94). L'explication d'un tel comportement repose sans aucun doute sur l'entrelacement d'un certain nombre de facteurs évoqués par Lope Blanch (1972 : 35) :
Desde el punto de vista político, la norma culta de la capital de un país soberano gozará de un cierto prestigio, que será tanto mayor cuanto más sensible sea el peso de ese país en el concierto de las naciones, lo cual se relaciona estrechamente con los factores económicos, demográficos e históricos.
Autrement dit, un pays aux racines historiques, économiques et politiques bien ancrées rayonnera davantage culturellement, diffusant ainsi ses codes linguistiques, tout en se montrant moins perméable aux influences extérieures. Si, au cours de l'histoire coloniale, l'Espagne faisait autorité en matière politique dans ses anciennes colonies et dans le monde, le temps n'a pas joué en faveur de la péninsule, aujourd'hui reléguée au second plan sur la scène internationale. Tel n'est pas le cas de certains pays émergents d'Amérique latine qui commencent à prendre conscience de leur potentiel humain et économique.
[12] La spécificité du travail proposé réside, d'une part, dans la façon d'exploiter les données du projet LIAS, en ce qu'il ne sera tenu compte que des seuls éléments chiffrés relatifs à l'Espagne. D'autre part, cette originalité s'exprime aussi à travers le choix des échantillons retenus, puisque nous nous focaliserons sur les résultats de la section unidad lingüística, dont nous examinerons les résultats dans le corps du texte.
[13] Dès lors, de telles informations sont de nature à éclairer le rapport des locuteurs hispanoaméricains avec le parler de l'ancienne mère patrie. L'examen des chiffres relatifs à l'Espagne pour chacun des États d'Amérique hispanophone et la mise en perspective de ces chiffres donnera lieu à l'élaboration d'une cartographie des perceptions exprimées par les locuteurs interrogés. La présentation sous forme de cartes géographiques des données tirées du projet LIAS est la plus à même de refléter ces résultats de façon percutante et synthétique.
[14] La cartographie en question et l'analyse afférente ont pour objectif de répondre aux problématiques qui suivent :
1. | Comment se positionnent les différents peuples hispanophones face au concept d'unité linguistique ? |
2. | Peut-on distinguer des zones hispanophones présentant plus ou moins d'affinités que d'autres avec la variété péninsulaire ? |
3. | Une majorité de locuteurs hispanophones serait-elle disposée à se conformer à l'étalon péninsulaire1 ? |
4. | Que peut-on en conclure quant à la perception du parler péninsulaire outre-Atlantique ? |
Les pays étudiés sont les suivants : Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, El Salvador, Équateur, Espagne, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Puerto Rico, République dominicaine, Uruguay, Venezuela.
[15] Concernant le jalonnement théorique de cette recherche, il convient d'examiner les divers concepts qui y sont convoqués. Dans un contexte de recueil des perceptions et opinions des locuteurs sur les variétés, propres ou extérieures, de leur langue maternelle, la notion clef est sans doute celle que Moreno Fernández (1998 : 179) nomme « actitud lingüística », définie par lui comme suit, et que nous ferons nôtre :
La actitud lingüística es una manifestación de la actitud social de los individuos, distinguida por centrarse y referirse específicamente tanto a la lengua como al uso que de ella se hace en sociedad, y al hablar de 'lengua' incluimos cualquier tipo de variedad lingüística.
Pour Calvet (2009 : 54), ces attitudes se traduisent par un certain nombre de sentiments ou comportements liés à la langue (préjugés, sécurité, insécurité, hypercorrection, hypocorrection), lesquels constituent « un puissant facteur d'évolution ». Ainsi, l'attitude des répondants du projet LIAS à l'égard du mouvement panhispaniste, d'une part, et de la variété péninsulaire, d'autre part, feront office d'indicateurs fiables sur la persistance, ou non, de vieux stéréotypes et sur la nature du sentiment de communauté qui les anime.
[16] À cet égard, mentionnons que si la notion de communauté linguistique donne matière à débattre, il convient tout de même de l'aborder succinctement. Le recours à un tel concept s'avère en effet pertinent, en ce que notre étude s'attache à déterminer les contours de la communauté à laquelle s'identifient le plus les informateurs ou dont, au contraire, ils se désolidarisent. Son appréhension n'est toutefois pas chose aisée, c'est pourquoi les définitions fleurissent avec des degrés de précision variables.
[17] Selon Labov (1976 [1975] : 338), « il parait justifié de définir une communauté linguistique comme étant un groupe de locuteurs qui ont en commun un ensemble d'attitudes sociales envers la langue ». Quant à lui, Moreno Fernández (1998 : 347) distingue la « comunidad idiomática » de la « comunidad de habla », la première formant un « conjunto de hablantes de una lengua histórica », tandis que la seconde serait un « conjunto de hablantes que comparten al menos una variedad lingüística, unas reglas de uso, unas actitudes y una misma valoración de las formas lingüísticas ». De fait, notre travail permettra de découvrir le regard que portent ces différentes comunidades de habla du monde hispanique sur leurs homologues, aussi bien américains qu'européens. Si Moreno Fernández (1998) livre une définition plus précise de ce qu'il nomme comunidad de habla que Labov (1976 [1975]) de la communauté linguistique, force est de constater que les deux concepts se recoupent et tendent à faire de l'attitude et de la perception linguistique des critères clés, à même de circonscrire une communauté linguistique. Dans le cadre de cet article, nous nous alignerons sur l'interprétation de Moreno Fernández (1998).
2 Présentation du projet LIAS et cadre méthodologique
[18] Les données récoltées grâce au projet LIAS, conduit en 2011 par Ana B. Chiquito et Miguel Á. Quesada Pacheco, de l'Université de Bergen (Norvège), constituent une véritable matière première pour qui s'intéresse aux dynamiques perceptuelles et linguistiques du monde hispanophone.
[19] Les linguistes, jusqu'ici plus soucieux de procéder à l'inventaire descriptif des abondantes variétés qui font la richesse de l'aire hispanophone, ne s'intéressent que depuis peu à la situation sociolinguistique générée par cette même diversité. Depuis plus de vingt ans pourtant, plusieurs études ont été conduites dans l'optique d'appréhender les dynamiques en jeu dans les représentations mentales et affectives de la langue, conscientes ou inconscientes, des locuteurs hispanophones de tous horizons.
[20] Le projet LIAS est l'un des plus ambitieux de ces travaux, en ce que la masse d'informateurs sollicités (400 personnes par ville étudiée) est aussi conséquente que l'étendue géographique couverte (pas moins de 20 capitales hispanophones). La sélection des échantillons s'opère selon des critères établis au regard des données statistiques de chaque capitale, notamment pour le sexe et pour l'âge (répartition entre trois tranches d'âge préalablement définie 20-34 ans, 35-54 ans, 55 ans et plus). Chaque tranche d'âge est elle-même subdivisée en trois catégories correspondant à différents niveaux socioéconomiques (bas, moyen, haut), une répartition homogène de la population qui autorise, de facto, une grande variété d'approches analytiques des résultats obtenus (Chiquito & Quesada Pacheco 2014b : XIV). Rien d'étonnant, donc, à ce que de nombreux auteurs se soient saisi de ces travaux, qui font alors office d'instruments de mesure fiables. Des questions aussi diverses que le rapport à la norme (Sobrino Triana 2018) ou le pluricentrisme de l'espagnol (Amorós Negre & Quesada Pacheco 2019) ont été abordées à l'aune des chiffres dégagés.
[21] Pour chaque échantillon de locuteurs des pays étudié, les thématiques abordées par les concepteurs de l'enquête sont de trois ordres : la variété nationale, la langue espagnole en général et l'espagnol parlé à l'étranger. Pour les besoins de la présente recherche, nous nous concentrerons uniquement sur le deuxième point (la langue espagnole en général). Ce dernier se subdivise en deux versants, la corrección lingüística et la unidad lingüística. Ainsi, ce travail a vocation à exploiter les réponses recueillies aux questions du volet unidad lingüística. Ledit volet est composé des trois questions suivantes, dont les résultats constitueront notre corpus :
- | Question 21 : ¿Sería bueno que todos habláramos el mismo español/castellano (en los países donde se habla)? |
- | Question 22 : Si todos tuviéramos que hablar el mismo español/castellano, ¿el de qué país le gustaría que fuera o piensa que debería ser? |
- | Question 23 : Si tuviera que cambiar de acento del español/castellano, ¿el de cuál país preferiría? |
Les informateurs sont invités à répondre par oui, non ou je ne sais pas à la question 21, à ordonner des pays pour les deux questions suivantes, et à justifier leurs réponses pour chacune d'entre elles. Comme le soulignent eux-mêmes ses instigateurs, ce projet « entre otros importantes méritos, tiene el de ser el primer estudio de Actitudes Lingüísticas hacia el español desde una perspectiva panhispánica en la que está incluida España » (Rojas Mayer 2014 : IV). L'avantage de cette approche transatlantique des perceptions linguistiques est qu'elle autorise la confrontation de données recueillies selon un même protocole pour la totalité des pays étudiés.
[22] Avant d'entamer la présentation des chiffres strictement liées à l'unité linguistique, il ne semble pas inutile de rappeler quelques résultats portant sur le lien entre variété diatopique et rapport à la norme. À cet égard, Sobrino Triana (2018 : 94) conclut dans son analyse des chiffres du projet LIAS relatifs au volet corrección lingüística2 que :
[…] se infiere que los hispanohablantes consideran el español de España como la variedad más correcta. A excepción de algunos pocos países (Colombia, Venezuela y Paraguay), en la mayoría la modalidad española fue la más mencionada, con una frecuencia que generalmente sobrepasa el 30 % de los informantes encuestados en cada país.
Le doute n'est donc pas permis : une forte proportion d'hispanoaméricains sont d'accord pour désigner la variété péninsulaire comme étant la plus conforme à la norme. En outre, l'Espagne arrive presque systématiquement en première position parmi les variétés mentionnées. Seuls deux pays la positionnent en second rang (Panama et Colombie) et un seul, le Venezuela, la relègue en troisième position. Gardons toutefois à l'esprit que le concept de correction linguistique ne repose en aucun cas sur une vérité objective, mais sur une adhésion collective à un modèle parmi d'autres, ainsi que l'exprime Alonso (1943 : 175) à travers ces lignes :
Correctas son las formas del habla aceptadas como buenas por el grupo dirigente en la vida cultural. Corrección es aceptación social, prestigio social. Las formas con que hablan los que tienen una educación que pasa por buena.
[23] En contraste avec cette reconnaissance latinoaméricaine de la primauté du parler péninsulaire, Lope Blanch (1972) nous livre quelques commentaires relatifs aux positionnements des hispanoaméricains vis-à-vis de la langue, lesquels seraient pourtant sensibles au parler de prestige hispanoaméricain. À titre d'exemple :
Por otra parte, la actitud del hablante hispanoamericano —más preciso sería decir el hablante de ciertos países de América— no es de inclinación hacia el habla vulgar, como se suele sostener, sino de respeto hacia la lengua cultivada. El prestigio lingüístico-cultural es en Hispanoamérica, contra lo que suele imaginarse, más reverentemente reconocido que en España. (Lope Blanch 1972 : 38)
[24] D'après Moreno Fernández (2015), la conformité (réelle ou fantasmée) à la norme et le caractère (subjectif) plus ou moins agréable de la langue sont intimement liées. La combinaison de ces deux éléments est donc de nature à orienter les perceptions des locuteurs, les faisant ainsi tendre vers un degré d'acceptation plus ou moins élevé de tel ou tel parler :
A partir de una teoría popular de la lengua, Preston concluye que hay dos factores que vienen a determinar la mayoría de las actitudes lingüísticas de los hablantes: la naturaleza más o menos (subjetivamente) agradable de las lenguas y la corrección en su uso. (Moreno Fernández 2015 : 219)
[25] En dernier lieu, il convient d'apporter quelques éclaircissements concernant le choix assumé d'exploiter les données du projet LIAS plutôt que celles issues d'autres projets pourtant plus récents, comme le Proyecto para el estudio de las creencias y actitudes hacia las variedades del español en el siglo XXI (PRECAVES XXI). Ce dernier a été impulsé en 2013 depuis l'Université d'Alcalá, par les chercheurs Ana María Cestero Mancera et Florentino Paredes García, « con objeto de investigar la percepción de las variedades cultas del español mediante una encuesta basada fundamentalmente en la técnica de pares falsos o matched guise » (Cestero Mancera & Paredes García 2018 : 12). Il s'agit donc de deux projets voisins, dont les méthodologies diffèrent cependant. Sans s'appesantir sur les caractéristiques de l'un et de l'autre, mentionnons simplement que le projet PRECAVES XXI s'est pour le moment davantage déployé sur le terrain ibérique que sur son versant américain. Si sa vocation panhispanique et sa méthodologie aboutie le prédisposent à devenir une source de connaissances incontournable dans la matière qui nous occupe, le projet LIAS offre un maniement des données plus aisé. Les résultats révélés par ce dernier sont en effet moins morcelés et relativement harmonisés, puisque l'entièreté des pays hispanophones de la zone américaine, en plus de l'Espagne, y sont inclus et analysés selon un protocole commun.
3 Analyse des données
[26] Dans le cadre de l'analyse proprement dite seront successivement présentés et examinés les résultats recueillis pour les questions 21, 22 et 23 (cf. supra).
3.1 Question 21
[27] En premier lieu, nous interrogerons les chiffres relatifs à la question 21 qui, pour rappel, sollicite l'opinion des informateurs quant à l'adoption d'une seule variété de l'espagnol pour l'ensemble du monde hispanique, sans toutefois s'avancer encore sur la variété de prédilection désignée dans le cadre de cette uniformisation de papier.
[28] Ce que convoque réellement cet item, au-delà de la simple perspective d'adoption d'une langue universelle, fonctionnelle et utilitariste, prompte à gommer les difficultés de compréhension et autre incommodités langagières liées à la variété dialectale, c'est la portée du concept d'identification et de la dimension que ce dernier revêt chez les locuteurs, de manière consciente ou inconsciente. Dès lors, la teneur de cette fameuse conscience collective est éprouvée, en ce que le répondant peut se ranger du côté d'une hispanité transatlantique, entendue dans son acception panhispanique, ou signifier son attachement au maintien d'une variété régionale, ethnique. Ainsi donc, les informateurs sont amenés à hiérarchiser et clarifier les rapports qu'ils entretiennent avec différents ensembles linguistiques, pour le dire schématiquement, l'hispanophonie globale ou locale.
[29] Sur le plan linguistique, le dépouillement des réponses à la question 21 tend à confirmer cette tendance. À la lecture des résultats qui suivent (cf. tableau 1), se profilent des pays, voire des blocs transnationaux, majoritairement opposés à l'uniformisation des parlers ou, au contraire, favorables à l'abolition des variétés.
Question 21 |
Non |
Oui |
Ne sait pas |
Mexique |
57,5 |
39,8 |
2,8 |
Guatemala |
36,1 |
46,3 |
17,7 |
Honduras |
34,3 |
57,5 |
8,3 |
El Salvador |
32,0 |
48,0 |
20,0 |
Nicaragua |
21,5 |
77,0 |
1,5 |
Costa Rica |
30,0 |
70,0 |
0,0 |
Cuba |
40,3 |
58,0 |
1,8 |
République dominicaine |
- |
- |
- |
Puerto Rico |
52,3 |
37,3 |
10,5 |
Panama |
51,5 |
39,8 |
8,8 |
Colombie |
53,8 |
43,5 |
2,8 |
Venezuela |
61,3 |
35,5 |
3,3 |
Équateur |
28,6 |
69,4 |
2,0 |
Pérou |
39,3 |
57,0 |
3,8 |
Bolivie |
35,0 |
56,0 |
9,0 |
Chili |
56,8 |
40,8 |
2,5 |
Argentine |
60,0 |
34,0 |
6,0 |
Paraguay |
38,0 |
45,3 |
16,8 |
Uruguay |
47,0 |
52,0 |
1,0 |
Espagne |
47,5 |
35,5 |
17,0 |
Moyenne |
43,3 |
49,6 |
7,1 |
Tableau 1 : Réponses des informateurs (en %) à la question 213
Figure 1 : Cartographie fondée sur les réponses non (en %) à la question 214
[30] Il résulte de ces chiffres que, du Nord au Sud de l'Amérique, les zones favorables à l'unité linguistique alternent avec celles qui y sont hostiles. Quatre blocs partisans du non se détachent. Dans la partie la plus septentrionale de l'aire étudiée, le Mexique s'inscrit en rupture avec l'idéal unitariste partagé unanimement par ses voisins d'Amérique centrale (Guatemala, El Salvador, Honduras, Nicaragua, Costa Rica). L'appartenance ethnique et/ou l'identification culturelle semblent constituer l'argument principal des réfractaires mexicains : « me gustaría que quedara así como está, porque eso es lo que nos hace diferentes. En la manera de hablar va inmerso el tipo de cultura de cada país » (Morett 2014 : 889). Plus au Sud, le trio Panama, Colombie et Venezuela se positionne en défenseur de la diversité, faisant contrepoids avec les pays andins et Cuba. Aux confins méridionaux de la zone étudiée (Cono Sur), l'Argentine et le Chili rejettent massivement l'idée d'adopter un espagnol commun, contrairement au Paraguay et à l'Uruguay. Dans ce contexte, un informateur de ce dernier pays évoque les écueils de compréhension liés à la variation diatopique : « Mejoraría la comunicación y el entendimiento mutuo » (García de los Santos 2014 : 1388). L'Espagne, quant à elle, opte également pour le non, sans toutefois montrer d'opinion aussi tranchée que l'Argentine ou le Mexique.
[31] À quelques exceptions près, les pays d'Amérique hispanique hostiles à la généralisation d'une seule et unique variété s'avèrent être les plus peuplés (ce qui tempère la légère avance du oui dans les chiffres totaux indiqués en dernière ligne de la figure 1). Ils partagent également la caractéristique de compter parmi les plus vastes, en termes de surface. De surcroit, et en prenant pour étalon la division de Moreno Fernández (2009) de l'Amérique en cinq zones dialectales, à savoir les zones caribéenne, mexicaine et centraméricaine, australe, chilienne et andine, l'on constate la présence, pour chacune de ces zones, d'au moins un pays plus attaché à la variété diatopique qu'à une conception unitariste de la langue. Les arguments avancés en défaveur de l'uniformisation linguistique ont presque systématiquement trait à l'exacerbation d'une identité culturelle distinctive, comme l'exprime cet informateur cubain : « se rompería algo peculiar que identifica a cada nación, se pierde la identidad de cada nación » (Sobrino Triana, Montero Bernal & Menéndez Pryce 2014 : 360).
[32] Partant, cet alignement discontinu de pays influents culturellement comme le Mexique, l'Argentine et la Colombie, densément peuplés et s'inscrivant tous dans une zone dialectale précise, illustre bien le phénomène d'interaction centre-périphérie ou relation centripète (Pöll 2012 : 31), en vertu duquel la variété dominante irradie autour d'elle, exerçant de facto une influence sur les variétés dites périphériques. Ces pays de grande superficie sont aussi ceux qui tendent le plus à se prononcer en faveur d'une certaine préservation du ou des parlers nationaux, en ce sens qu'ils conçoivent volontiers leur variation comme un marqueur d'identité. Toute la question étant de savoir quelle(s) variété(s), parmi les foyers de prestige émergents, priment sur les autres.
3.2 Question 22
[33] Dans le cadre de la question 22, surgit justement la problématique des dynamiques régissant l'attribution de prestige à telle ou telle variété. Concrètement, la question se pose de savoir quelles variétés du monde hispanophone seraient privilégiées dans l'hypothèse factice d'une uniformisation linguistique contrainte, cas de figure envisagé par la question 22. Précisons à nouveau que les locuteurs ont la possibilité de hiérarchiser différentes variétés étrangères, mais aussi d'inclure leur propre parler.
[34] Concernant les pays d'Amérique latine, il est tentant d'émettre l'hypothèse selon laquelle les réponses sont susceptibles d'osciller entre deux pôles de prestige linguistique. En premier lieu, l'Espagne, en raison de son poids historico-culturel et des représentations de la péninsule dans l'esprit des locuteurs hispanoaméricains. Madre patria, terres historiques de la langue, berceau de la Real Academia Española, les arguments foisonnent dans les comptes-rendus des enquêtes de terrains (Alvar López 1983 ; Rivera Orellana 2014), l'accent étant mis, la plupart du temps, sur le rapport à la norme : « por la exactitud de las palabras, la fonética y la acentuación […] asumimos que es el español correcto » (Zamora Úbeda 2014 : 978).
[35] En second lieu, il est également légitime de s'attendre à ce que les pays d'Amérique latine culturellement, et donc linguistiquement, influents soient aussi en lice (Argentine, Mexique et Colombie, au regard des résultats précédemment exposés). Plus identifiables et transposables aux réalités américaines, ces variétés de l'espagnol pourraient être érigées par les locuteurs au statut de langue panhispanique, reléguant ainsi le parler péninsulaire au second plan. Toutefois, selon Lope Blanch (1972 : 46), cette hypothèse ne saurait prospérer en l'absence d'une norme américaine généralisée :
En conclusión, la norma castellana culta (madrileña 'académica') tiene sobre cada una de las fragmentadas normas locales de Hispanoamérica la ventaja de su prestigio histórico; pero cuando la norma americana es general – común a todas las hablas prestigiosas del Nuevo Mundo –, su peso contrarresta plenamente esa prioridad de raigambre histórica.
Les chiffres qui suivent tendent à démontrer qu'une telle norme, si tant est qu'elle existe, n'est pas encore suffisamment consolidée pour éclipser le prestige révérenciel attribué à l'Espagne. Soulignons que Lope Blanch (1972) a rédigé ces lignes il y a cinquante ans, durée largement suffisante pour que la situation linguistique évolue. Il convient donc d'accueillir sa citation avec la réserve qui s'impose. En effet, les réponses à la question 22, livrées à travers le tableau 2, et mises en carte en figure 2, révèlent que 24,7 % des locuteurs hispanoaméricains érigeraient l'espagnol d'Espagne en langue unique dans une perspective d'uniformisation. Quant aux informateurs espagnols, ils plébiscitent largement leur propre variété (78 %).
[36] Précisons que le choix auquel le répondant fait face dans le cadre de cette question convoque deux facteurs inhérents à l'aspect sociologique de n'importe quelle langue : l'identité et la norme. Il s'agit en effet d'élire une variété supra-étatique cohérente avec le besoin d'identification culturelle liée à l'usage d'une langue (« A mayor conciencia del hecho de que su variedad de lengua es un rasgo intrínseco de su identidad, mayor afectividad positiva el hablante evidenciará hacia ella », Sobrino Triana 2018 : 89), sans toutefois que cette variété ne s'écarte trop des préceptes universellement admis comme corrects et conformes à la norme par l'ensemble de la communauté hispanique.
Question 22 |
Choix de l'Espagne (en %) |
Premier(s) choix |
Mexique |
13,0 |
Variété nationale |
Guatemala |
32,2 |
- |
Honduras |
39,3 |
- |
El Salvador |
42,0 |
- |
Nicaragua |
34,8 |
Variété nationale |
Costa Rica |
26,0 |
Variété nationale |
Cuba |
38,5 |
- |
République dominicaine |
26,2 |
Variété nationale |
Puerto Rico |
24,3 |
Variété nationale |
Panama |
19,3 |
Variété nationale |
Colombie |
10,3 |
Variété nationale |
Venezuela |
7,3 |
1. Variété nationale |
Équateur |
19,0 |
Variété nationale |
Pérou |
19,0 |
Variété nationale |
Bolivie |
22,0 |
Variété nationale |
Chili |
29,3 |
- |
Argentine |
20,0 |
1. Aucune |
Paraguay |
16,0 |
1. Variété nationale |
Uruguay |
32,0 |
Variété nationale |
Espagne |
78,0 |
- |
Tableau 2 : Réponses des informateurs à la question 225
Figure 2 : Cartographie fondée sur les réponses (en %) à la question 226
[37] En analysant ces données, le constat à établir d'emblée est qu'il est possible de situer une zone géographique particulièrement réceptive à la variété péninsulaire. Comme le mettent en évidence les chiffres, les pays du Nord de l'Amérique centrale font preuve, à son égard, d'une reconnaissance supérieure aux autres zones hispanoaméricaines. Cet état de fait se vérifie notamment dans la sphère septentrionale de la région en question (El Salvador, Honduras, Nicaragua et Guatemala), auquel il faut ajouter l'île de Cuba pour obtenir le palmarès des pays les plus enclins à généraliser le parler espagnol. À l'exception du Nicaragua, tous placent l'Espagne en tête. Les arguments qui sous-tendent un tel élan se fondent bien souvent sur des considérations historiques : « es nuestra Madre Patria », « ahí está la RAE », ou encore « es la cuna del español » (Hernández 2014 : 762). Tous choisissent également leur propre variété en deuxième chef, excepté le Salvador. Ce dernier pays plébiscite largement la variété péninsulaire (42 %) au détriment de sa propre variété (12 %), mais pour les autres, l'écart entre variété espagnole et variété nationale est inférieure à 10 %. Notons que l'ensemble de ces pays est plutôt favorable à l'uniformisation linguistique (cf. question 21), notamment le Salvador et le Honduras, qui sont aussi les nations de la zone en question valorisant le plus l'espagnol ibérique (en dehors de l'Espagne elle-même).
[38] Dans la même mouvance, et dans des proportions certes moindres, le Chili et l'Uruguay sont les deux pays d'Amérique du Sud les plus enclins à faire de l'étalon péninsulaire un modèle. Les informateurs chiliens vont même jusqu'à le faire primer sur le leur, ce qui n'est pas le cas de l'Uruguay, qui place néanmoins l'Espagne en bonne position. Le cas chilien appelle cependant un bref commentaire concernant l'auto-perception linguistique. En effet, si l'on en croit les propos de Vivanco Rojas (2018 : 2), il existe un certain sentiment d'infériorité linguistique dans ce pays, en comparaison avec d'autres variétés nationales de l'espagnol :
Es una alarma nacional lingüística que los chilenos somos 'mal hablados' en comparación con otros hablantes de la región americana, como los peruanos, los argentinos, bolivianos, colombianos, mexicanos, venezolanos, etc.
[39] Cette tendance particulièrement marquée à la dépréciation de la variété nationale pourrait en partie expliquer la nette préférence des chiliens pour un modèle réputé conforme à la norme, tel que l'espagnol péninsulaire. Fait notable, ni les chiliens, ni les uruguayens ne se tourneraient, dans l'hypothèse envisagée par la question 22, vers la variété argentine que bien peu de répondants estiment généralisable (respectivement 4 % et 1,8 %), et ce malgré leur appartenance à un même ensemble géoculturel dit Cono Sur. De telles prises de positions pourraient s'expliquer par un rejet de l'Argentine de la part de ses voisins, plus modestes en termes de population et de rayonnement international, lesquels verraient en leur voisin plus imposant un concurrent plutôt qu'un modèle.
[40] À l'inverse, les pays les moins prompts à s'aligner sur la variété péninsulaire peuvent être appréhendés selon différentes catégories. Le premier profil se dessine avec la Colombie et le Mexique, les deux pays hispanoaméricains les plus peuplés, dont la majorité des répondants, bien qu'octroyant tous deux la deuxième position à l'Espagne, valorisent de très loin leur propre variété. Les écarts sont vertigineux : 71 % des colombiens choisiraient leur parler national (« el colombiano es el mejor porque no tiene acento », Bernal, Munévar & Barajas 2014 : 227), de même que 60 % des mexicains. Dans le cas de la Colombie, la longue tradition linguistique de ce pays (dont l'un des pères est Rufino José Cuervo Urisarri, 1844-1911), qui a vu la création de la première Académie de la langue espagnole en Amérique, n'est sans doute pas étrangère aux choix des répondants. Ces chiffres témoignent en tout cas d'une nette valorisation de la variété nationale qui, par conséquent, éclipse presque complètement le reste des parlers du monde hispanique.
[41] Tel n'est pas le cas du bloc Venezuela, Paraguay et Argentine, aux opinions plus nuancées. En effet, si ces trois pays priorisent eux aussi la variété nationale, ils ne le font guère avec la même conviction que le Mexique et la Colombie. Par leurs réponses, ces nations démontrent avant tout qu'elles n'appréhendent pas le concept de langue unique sous le même angle. En effet, le rejet de l'uniformisation linguistique occupe une position significative pour l'Argentine et le Paraguay, qui optent pour aucune [variété] à 28 % (devant la variété nationale, 25 %) et 17 % respectivement. De plus, ces deux Etats mentionnent moins volontiers leur propre parler que la plupart des autres aires géographiques, comme les pays andins par exemple. Ainsi, c'est avant tout l'opposition au concept d'unification linguistique que traduisent ces résultats. Dans le cas de l'Argentine et du Venezuela, les réponses des informateurs à la question 21 ont également traduit cette opposition, puisqu'il s'agit des pays ayant rejeté le plus massivement la perspective d'une unification linguistique (respectivement 60 % et 61,3 % ont répondu non).
[42] Le Venezuela est un cas hybride. Si, les répondants vénézuéliens optent à 44 % pour le parler national, il n'en demeure pas moins qu'une frange non négligeable (20,5 %) déclare ne pas savoir quelle variété pourrait être celle de tous les hispanophones du globe. Fait notable, il est le seul pays à mentionner une variété autre que l'option nationale ou ibérique, à savoir celle de son plus proche voisin, la Colombie. Par conséquent, les caracassiens sont à la fois récalcitrants face à la perspective d'une uniformisation linguistique, et ceux qui plébiscitent le moins la variété péninsulaire.
[43] Enfin, les pays du bloc andin (Équateur, Pérou, Bolivie), du versant sud de l'Amérique centrale (Panama, Costa Rica), ainsi que des Caraïbes (République dominicaine, Puerto Rico) s'inscrivent pour leur part dans un entre-deux. Le Panama, l'Équateur, le Pérou et, dans une moindre mesure, la Bolivie, affichent une forte préférence pour la variété nationale tout en octroyant, malgré tout, la seconde position à la péninsulaire, à hauteur de 20 %. La préférence pour l'espagnol d'Espagne, plus précisément la variété castillane du Nord du pays, trouve également des justifications d'ordre utilitaire. Ainsi, un informateur panaméen indique : « no tendríamos problemas para diferenciar la ce, la ese la zeta » (Tinoco 2014 : 1039). Même schéma pour le Costa Rica et Puerto Rico, deux pays administrativement ou économiquement tournés vers les États-Unis, qui citent toutefois plus fréquemment la péninsule (25 % en moyenne). Pour finir, la République dominicaine présente un écart minime entre variété nationale et péninsulaire (respectivement 28,2 et 26,2 %), qui s'explique par la mention assez fréquente du bloc Colombie-Venezuela (25 % au total).
[44] À titre de conclusion préliminaire, il convient de souligner la primauté du parler national sur le parler étranger révélée par ces résultats. Parmi les 19 pays hispanoaméricains, 14 souhaiteraient ériger en priorité la variété nationale au rang de langue unique plutôt qu'un autre. Il n'en demeure pas moins que l'espagnol d'Espagne est cité en premier par les cinq pays restants, dont le noyau d'Amérique central et caribéenne (Cuba, Guatemala, Honduras, El Salvador). Il apparaît quasi-systématiquement en deuxième choix (en excluant les réponses du type aucune ou ne sait pas), sauf pour le Venezuela, qui place la Colombie avant l'Espagne. Ainsi, il semble que la perspective d'un espagnol unique suscite des réactions tenant plus du repli identitaire et national que du consensus autour d'un espagnol unique et représentatif, comme en témoigne cet informateur péruvien qui défend sa propre variété : « Es mi lengua » (Arias Torres 2014 : 1227).
[45] Si la question 21, relative au concept même d'uniformisation linguistique, donne lieu à des résultats contrastés, les réponses à la question 22 tendent à démontrer que les répondants font preuve d'une certaine réserve, dans l'ensemble, face à la généralisation d'une variété de l'espagnol. Ainsi que l'affirme Fernández (2000 : 51) :
Las diversas variedades de una lengua son fuente de identidades sociales, salvo, naturalmente, en la situación anómala – y tal vez imposible – en la que los usuarios de una variedad no estuviesen en contacto con otras.
C'est donc à leur identité régionale que les locuteurs s'identifient, plus qu'ils ne se rangent derrière une unique langue panhispanique. Néanmoins, il convient de nuancer ce constat, en soulignant la récurrence de l'Espagne dans les retours des répondants, systématiquement citée, supplantant parfois la variété nationale. Aussi, la Péninsule ibérique, sans aller jusqu'à fédérer le monde hispanique sur le plan linguistique, occupe bel et bien une place privilégiée à cet égard, du fait de l'image de prestige et de correction dont elle jouit (encore) en Amérique.
3.3 Question 23
[46] La question 23 convoque un versant plus ciblé de la variété, en ce qu'elle se focalise uniquement sur sa dimension orale. De fait, le répondant est invité à indiquer l'accent pour lequel il opterait dans l'hypothèse, toujours fictive, où il devrait remplacer le sien.
Question 23 |
Choix de l'Espagne (en %) |
Premiers choix |
Mexique |
23,3 |
1. Espagne |
Guatemala |
26,6 |
1. Espagne |
Honduras |
27,3 |
1. Espagne |
El Salvador |
35,0 |
1. Espagne |
Nicaragua |
34,7 |
1. Nicaragua |
Costa Rica |
19,0 |
1. Costa Rica |
Cuba |
40,8 |
1. Espagne |
République dominicaine |
- |
- |
Puerto Rico |
24,0 |
1. Espagne |
Panama |
16,0 |
1. Panama |
Colombie |
19,3 |
1. Argentine |
Venezuela |
5,5 |
1. Ne sait pas |
Équateur |
14,2 |
1. Colombie |
Pérou |
25,0 |
1. Espagne |
Bolivie |
18,5 |
1. Aucune |
Chili |
30,3 |
1. Espagne |
Argentine |
18,5 |
1. Aucune |
Paraguay |
12,2 |
1. Aucune |
Uruguay |
- |
- |
Espagne |
16,5 |
1. Aucune |
Tableau 3 : Réponses des informateurs à la question 237
Figure 3 : Cartographie fondée sur les réponses (en %) à la question 238
[47] En premier lieu, il ressort des données exposées que la préférence nationale s'est en partie évaporée. En effet, la plupart des répondants n'érigent plus de façon quasi-systématique leur parler en tête du classement, comme c'était le cas pour la question précédente. Plusieurs nations bénéficient de ce changement, qui s'explique peut-être en partie par la structure de la question (si vous deviez changer d'accent), même si certains pays ont tout de même opté pour la variété nationale en premier chef. Il convient en effet de préciser qu'en dépit de la structure de la question numéro 23, qui semble de prime abord exclure le choix de sa propre variété, nombre de répondants ont pourtant choisi de la mentionner, aucune précision n'étant apportée dans le questionnaire. Il semble que répondants n'aient pas tous compris la question de la même façon. Par conséquent, dans l'optique de ne pas biaiser l'interprétation des résultats, nous avons choisi de nous concentrer uniquement sur les pays étrangers mentionnés par les informateurs. La teneur du compte rendu du chercheur chargé de recueillir les témoignages argentins confirme ce constat :
Una vez más, se advierte resistencia por parte de los encuestados a cambiar su variedad de castellano. En este punto no debe pasarse por alto que, aun cuando el ítem consulta por un cambio, el 9,5 % de la muestra responde que el de Argentina y el 8 %, que el de Uruguay. (Llull & Pinardi 2014 : 44)
Pour ce qui est du rapport à l'Espagne, qui caracolait généralement en seconde position à la question précédente, les mentions des locuteurs prennent un tour quelque peu différent ici. Le positionnement des hispanoaméricains vis-à-vis du parler péninsulaire se fait plus tranché : trois pays supplémentaires le hissent en tête de leur classement (le Mexique, le Pérou et Puerto Rico), tandis que trois autres (le Paraguay, la Bolivie et le Panama) le font reculer. Dès lors, si l'Espagne apparaît plus souvent en premier choix, c'est au prix d'un résultat moyen globalement moins élevé.
[48] Cette tendance à l'éclectisme se confirme avec certains pays tels que le Paraguay. Ainsi, d'autres variétés font leur apparition dans le classement et sont préférées à l'espagnol du vieux continent : l'Argentine, la Colombie et le Mexique, les trois pays les plus peuplés d'Amérique hispanophone. Au demeurant, certains ensembles géographiques maintiennent leur position antérieure, à l'instar du groupe centroaméricain qui table toujours majoritairement sur l'accent espagnol, tout comme le Chili, ou du bloc Argentine-Paraguay campant sur son rejet de l'homogénéisation linguistique. D'autres pays semblent désormais adhérer à ce dernier point de vue, à savoir le Panama, l'Espagne et la Bolivie, qui introduisent tous la réponse aucune avant de mentionner le parler péninsulaire, une attitude qu'ils n'avaient pas adoptée à la question précédente. Enfin, le Venezuela reste le seul pays à mentionner si peu fréquemment l'Espagne.
[49] L'accent revêt cette particularité de traduire l'altérité linguistique de façon instantanée, et ce quelle que soit la situation communicationnelle, pourvu qu'elle soit orale. En conséquence, ce dernier endosse, d'une certaine façon, le rôle singulier d'ambassadeur de telle ou telle variété diatopique, puisque les éléments liés à la prononciation, délivrés à l'occasion de l'acte de communication, renvoient immédiatement le locuteur à une zone géographique plus ou moins délimitée, et donc à des réalités sociales, culturelles et économiques plus ou moins fantasmées elles aussi.
[50] Concernant les données qui nous occupent, il est probable que la dimension affective9 convoquée par la question 23 soit à l'origine de l'augmentation des mentions d'autres pays d'Amérique, de même que l'hétérogénéité des réponses reflète sans doute la pluralité des expériences et représentations individuelles des répondants, plus facilement confrontés dans leur existence aux différentes variétés américaines que péninsulaires.
[51] Toutefois, le rapport à la norme et les croyances afférentes ne cessent pas pour autant de déployer leurs effets sur le terrain de l'accent, ce qui explique probablement que certains pays aient mentionné l'Espagne en premier chef là où ils avaient désigné leur propre variété à la question 23, nourrissant ainsi un certain sentiment de soumission linguistique (Zamora Úbeda 2012 : 88). Ces réactions trouvent sans doute leur fondement dans une perception collective, consciente ou inconsciente, partagée par l'ensemble du monde hispanique (une perception panhispanique, donc ?), en vertu de laquelle la prononciation la plus académique serait celle d'Espagne, plus précisément de Castille, comme le souligne Moreno Fernández (2015 : 235) :
En el ámbito hispánico, la variedad castellana es considerada como nuclear, por razones históricas y de prestigio, por muy exterior que sea su posición geográfica relativa y por muy marcados que sean algunos de sus rasgos, percibidos como disímiles en el conjunto, como la pronunciación de zeta o el uso de vosotros. Algunos rasgos de origen castellano, sin embargo, sobre todo la tensión del consonantismo implosivo e intervocálico, se comportan como símbolos de un modelo hispánico ejemplar, que trasciende a su uso en Castilla, que puede ser desconocido para muchos hispanohablantes.
Ainsi, la question de l'universalité linguistique abordée sous le prisme accentuel donne lieu à des comportements légèrement modifiés, si on les compare avec les résultats de la question précédente. Bien que les trois géants américains que sont le Mexique, l'Argentine, et la Colombie suscitent plus fréquemment l'adhésion des locuteurs, la variété espagnole continue à être la plus récurrente dans les réponses.
4 Discussion
[52] Il convient de mettre les données analysées en parallèle dans l'optique de tirer des conclusions concernant les attitudes globales de l'échantillon face à la perspective d'une variété hispanique unique et au choix de ladite variété. Dans un premier temps, les informateurs sont loin d'être unanimes s'agissant de leur sensibilité au seul concept d'uniformisation linguistique. Comme évoqué supra, le nombre de pays favorables à un tel concept est plus élevé (onze sur dix-neuf). Toutefois, en rapportant ces chiffres à la démographie des huit pays globalement défavorables, le rapport s'inverse, puisque ces derniers représentent, dans leur majorité, les États les plus densément peuplés et les plus vastes d'Amérique latine. En outre, il ne semble pas exister de corrélation évidente entre l'adoption de telle ou telle position concernant l'unification linguistique et la mention de l'Espagne aux questions 22 et 23. Notons toutefois que les pays d'Amérique centrale et Cuba, tous très disposés à la généralisation du parler péninsulaire, accueillent avec bienveillance l'hypothèse d'une hispanité uniforme du point de vue linguistique.
[53] Ainsi, il y a lieu de constater que les résultats de la question 21 reflètent plus une préoccupation d'ordre américaniste que panhispaniste. En effet, ces réponses semblent certes dictées en partie par une préoccupation pour l'établissement d'une hispanité unifiée (voir la justification d'un des répondants péruviens ayant répondu par l'affirmative à la question 21 : « Seríamos una gran comunidad lingüística homogénea y culturalmente variada », Arias Torres 2014 : 1223), mais aussi et surtout par la manière dont chaque locuteur s'inscrit linguistiquement et culturellement sur le continent par rapport à ses voisins américains. En effet, l'argument, qui apparaît régulièrement dans les comptes-rendus des auteurs du projet LIAS, en vertu duquel l'adoption d'une variété unique contribuerait à gommer les différences de traitement ou les incompréhensions culturelles, fait bien écho à la conscience intrinsèque du locuteur des effets sociaux générés par l'acte de langage (autre argumentaire livré par un répondant péruvien : « Tendríamos el mismo castellano, que conlleva a tener el mismo dejo, eso evitaría que se crearan barreras sociales al tratar a personas de otros pueblos o países », Arias Torres 2014 : 1223). Dès lors, il est légitime de penser que des ressortissants de pays ou ethnies moins considérés et moins peuplés (culturellement, économiquement, politiquement, etc.) dans la région se projettent davantage dans l'hypothèse d'une unité linguistique, qui contribuerait, virtuellement, à remettre tous les locuteurs sur un même plan, tandis que cette même unité apparaîtrait de prime abord comme une transgression de l'identité nationale pour les pays plus influents (ainsi, selon un informateur chilien, « se perdería la identidad de los pueblos », Rojas 2012 : 155).
[54] Dans de telles circonstances, le niveau de prestige octroyé au parler péninsulaire ne semble pas entrer en ligne de compte dans le cheminement des répondants américains, qui s'inscrivent plutôt dans des réalités propres à leur continent pour décider du bienfondé ou non du scénario fictif porté par la question 21. Tel n'est pas le cas lorsque vient le moment de désigner la variété panhispanique en question. Toutes nationalités hispanoaméricaines confondues, près d'un quart des informateurs (24,8 %) estiment que le parler péninsulaire est le plus légitime (question 22), loin devant le colombien et l'argentin, qui totalisent respectivement autour de 7 % et 3,5 %.
[55] Si elle n'obtient qu'une majorité relative, l'Espagne n'en conserve pas moins le monopole du prestige linguistique et peut se targuer de continuer à exercer une certaine influence d'ordre linguistique sur ses anciennes colonies à ce niveau. Un constat qui pourrait, a priori, sembler attendu compte-tenu de l'histoire coloniale sur laquelle il repose. Cependant, il faut souligner que d'autres ex-puissances coloniales ne sont pas parvenues à laisser la même empreinte sociolinguistique dans leurs anciennes colonies américaines, de sorte que le prestige est passé d'une rive à l'autre de l'Atlantique, comme l'illustre l'exemple de la communauté lusophone. Les deux Académies régissant la langue de Camões, l'une brésilienne (1897) et l'autre portugaise (1779), travaillent en étroite collaboration, sans que l'une ne prenne l'ascendant sur l'autre :
Una variedad que fue dominante hace cien años, puede ser que hoy día resulte ser la dominada a pesar de estar asociada al país donde se encuentra el tradicional centro normativo. Tal es el caso de la lengua portuguesa: su variedad culta brasileña se ha transformado en norma caracterizada por bastante peso irradiador. Prueba de eso es por ejemplo el hecho de que se establezca cada vez más como norma de la enseñanza del portugués la variedad brasileña, tanto en Europa como en Estados Unidos. (Pöll 2012 : 35)
Ici encore, la taille, le poids démographique et le rayonnement culturel d'un pays tel que le Brésil semblent jouer un rôle dans l'acceptation et la reconnaissance de la variété brésilienne du portugais. Ainsi, et malgré son passé d'État vassal du Portugal, il tend aujourd'hui à devenir central, du point de vue de la norme linguistique, et non plus périphérique.
[56] Selon Pöll (2012 : 37), les Académies de la langue jouent un certain rôle dans l'attribution de prestige à telle ou telle variété d'une langue. Prestige et norme étant intimement liés, le protagonisme d'une institution faisant autorité en la matière est de nature à contribuer à la création d'un standard sur lequel il est de bon ton de s'aligner.
[57] Dès lors, la maison-mère qu'est la Real Academia Española, par son activité prolifique, sa présence séculaire et son implantation en terres historiques de la langue, n'est sans doute pas étrangère aux résultats ici présentés, en ce qu'elle incarne l'autorité protectrice d'une norme auparavant édictée depuis l'Espagne, par des académiciens de nationalité espagnole dans leur grande majorité. Du reste, sa collaboration avec le reste des Académies et son intégration à l'ASALE, la mancomunidad au service d'un traitement panhispanique de la langue espagnole, ne semble avoir pour l'instant qu'un impact limité sur les croyances linguistiques des informateurs.
[58] La question de savoir pourquoi la zone centraméricaine est la plus réceptive au parler péninsulaire est plus épineuse. Le Salvador en tête, suivi du Nicaragua, du Honduras, du Guatemala, ont en commun de faire partie d'une même aire géographique et linguistique (área septentrional de Centroamérica, selon Moreno Fernández 2009), même si rien, a priori, ne semble les relier davantage à l'ancienne madre patria que le reste des nations hispanoaméricaines. Il est évident que les hypothèses qui permettraient de faire la lumière sur cet état de fait pourraient faire l'objet d'une étude spécialement dédiée. La multiplicité des explications possibles et la complexité de leurs potentielles imbrications est telle que nous ne pourrons que nous contenter ici d'effleurer la question. Néanmoins, quelques pistes peuvent être avancées.
[59] D'après les données émanant de la Comisión económica para América latina y el Caribe (CEPAL), ces pays ont en commun de figurer en tête du triste palmarès des nations les plus pauvres de l'ancien empire colonial espagnol. La paupérisation croissante des populations d'Amérique centrale, à laquelle échappent justement le Panama et le Costa Rica, pourrait en partie expliquer l'attribution de prestige attribué à une Espagne lointaine, mais perçue comme européenne et prospère par les répondants. Ainsi, une corrélation entre prestige linguistique et santé économique doit sans doute être établie en pareil cas, bien qu'elle ne saurait, à notre sens, justifier à elle seule les résultats observés. Toujours selon la CEPAL, d'autres pays connaissaient une situation de forte précarité économique au moment où le travail de collecte de données du projet LIAS a été mené à bien, comme le Mexique ou la Bolivie.
[60] En effet, l'explication se situe sans nul doute au carrefour des différentes réalités qui sous-tendent les dynamiques sociolinguistiques en Amérique hispanophone, et notamment dans sa zone centrale. Le traitement scolaire de la langue pourrait constituer l'un des facteurs explicatifs de cette révérence vis-à-vis du parler péninsulaire. À titre d'illustration, mentionnons le phénomène du voseo, extrêmement courant au Nicaragua dans la langue orale, mais considéré comme impropre d'une langue soignée par les locuteurs et par le système scolaire. Dès lors, le système éducatif conditionne également les attitudes linguistiques des locuteurs à travers les publics qu'il touche, ses contenus didactiques et ce qu'il choisit d'ériger, ou non, au rang de norme : «[...] considerando el material del currículo veo que el vos no existe dentro de la norma explícitamente escrita de la escuela» (Christiansen 2014 : 280). La même logique s'applique pour les médias et l'audiovisuel. Toujours au Nicaragua, les annonces publicitaires privilégient l'usage du pronom personnel tú, au détriment de l'usage national majoritaire. Dans une logique comparative, il conviendrait de mener à bien l'étude du traitement de la langue par l'institution éducative ou les médias dans chaque pays d'Amérique latine, afin de dégager des données de nature à expliquer l'estime plus ou moins prononcée à l'égard de la variété péninsulaire.
[61] D'autres facteurs entrent également en jeu, comme la vivacité des Académies nationales, la vigueur de la littérature locale ou la proportion de locuteurs de langues précolombiennes. L'histoire politique d'un pays, et notamment celle de son indépendance, peut également influer sur les perceptions linguistiques. On en veut pour preuve le positionnement du Venezuela, berceau du bolivarisme, qui, au rebours des pays susmentionnés, et notamment centraméricains, ne mentionne que très peu l'Espagne. Concernant les informateurs de la République bolivarienne, leur rejet manifeste de l'unification linguistique, d'une part, et de la variété péninsulaire, d'autre part, mérite qu'on s'y attarde, tant il s'est exprimé avec constance et vigueur en réponse à chacune des questions analysées dans cette étude. D'emblée, il ne fait aucun doute que l'explication trouve sa source dans une pluralité de facteurs complexes et entrelacés. Toutefois, les relations diplomatiques houleuses entre les deux pays ne sauraient être étrangères, à notre sens, à l'image dégradée de la variété péninsulaire qui semble être celle des vénézuéliens. Ainsi, et sans préjudice d'un approfondissement ultérieur de la question dans d'autres travaux, rappelons quelques évènements politiques marquants, de nature à influencer la perception des locuteurs. Précisons également que le cycle des entretiens menés à bien dans le cadre du projet LIAS s'est achevé fin 2011 (Chiquito & Quesada Pacheco 2014b : XII). L'avènement du chavismo vénézuélien a sensiblement compliqué les relations diplomatiques avec l'Espagne, les ruptures entre les deux États étant de mise, en particulier avec la droite espagnole. Mentionnons, à titre d'exemple, l'épisode du coup d'État du 11 avril 2002, à la suite duquel le gouvernement espagnol de José María Aznar, et son représentant à Caracas, Manuel Viturro de la Torre, ont été accusés d'ingérence par Hugo Chávez, en raison de leur supposé soutien à la tentative manquée de renversement du gouvernement. Les mêmes accusations ont refait surface à l'occasion de la XVII Cumbre Iberoamericana, célébrée en 2007. Le président vénézuélien s'est alors vu gratifié du fameux ¿Por qué no te callas? par Juan Carlos I, pour tenter de le faire taire. L'incident, de haute portée symbolique, n'a pas manqué de susciter les critiques de ceux qui ont voulu y voir une preuve de mépris néocolonial de l'Espagne envers ses anciennes colonies. Enfin, évoquons encore l'expulsion précipitée de l'ambassadeur d'Espagne, Luis Herrero, à la suite des déclarations polémiques de ce dernier, qui accusait Chávez de arrasar con la libertad de los ciudadanos. Ces imbroglios politiques, par lesquels deux modèles étatiques s'entrechoquent, ont probablement marqué la population vénézuélienne et sa perception de l'Espagne.
5 Synthèse
[62] À titre de conclusion, il paraît difficile d'affirmer que le « verdadero divorcio lingüístico entre la norma castellana y la americana » (Lope Blanch 1972 : 46) est réellement consommé sur le plan perceptuel. Force est de constater que les « fragmentadas normas locales de Hispanoamérica » (Lope Blanch 1972 : 46) trouvent une double traduction dans les données analysées. En premier lieu, l'absence d'une norme américaine généralisée donne lieu, face à la perspective d'une unification linguistique, au réflexe de désigner sa propre variété (comme cela a été constaté à la question 22), faute de pouvoir en désigner une panaméricaine, admise et reconnue de Tijuana à Ushuaïa. Si certains parlers du Nouveau Monde sont mieux considérés que d'autres, comme la variété colombienne, le chemin semble encore long avant que ces derniers en viennent à occuper une place comparable à celui de l'ancienne métropole dans l'imaginaire linguistique américain. En second lieu, cette fragmentation fait la part belle au parler péninsulaire, dont le prestige historique, en l'absence de variété concurrente unifiée, ne s'émousse que très lentement, contrairement à d'autres langues coloniales comme l'anglais ou le portugais.
[63] Dès lors, la clef de voûte d'un panhispanisme institutionnel rééquilibré et exempt du constat selon lequel « España es primus inter pares » (Del Valle 2012 : 480), résiderait, possiblement, dans la mise en place d'un panaméricanisme transcendant, non plus seulement social et économique, mais linguistique, qui, sans préjudice de la richesse des variétés de l'espagnol en usage outre-Atlantique, cristalliserait cette volonté affichée par les hispanophones du Nouveau Monde de propulser leur identité américaine au premier plan, constituant ainsi un contrepoids efficace au rayonnement péninsulaire.
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1 Par étalon péninsulaire, il est fait référence à la variété du Nord de l'Espagne (« hablas castellanas », selon Moreno Fernández 2020 : 36), considérée comme la plus conforme à la norme dans le monde hispanique.
2 Question 14 : Diga/Mencione un país en que se hable español/castellano, en donde, para usted (o desde su punto de vista) se hable más 'correctamente'.
3 Les données concernant la République dominicaine sont indisponibles.
4 Plus le pays apparaît en foncé, plus la proportion d'informateurs ayant répondu par la négative est élevée (les données concernant la République dominicaine sont indisponibles).
5 Dans la deuxième colonne, proportion (en %) de personnes ayant choisi l'Espagne en premier choix, en second choix ou en troisième choix et au-delà (en caractères gras). Pour ces deux derniers cas, les premiers choix sont indiqués en troisième colonne.
6 Plus le pays apparaît en foncé, plus la proportion d'informateurs ayant choisi l'Espagne est élevée.
7 Dans la deuxième colonne, proportion (en %) de personnes ayant choisi l'Espagne en premier choix, en second choix ou en troisième choix et au-delà (en caractères gras). Pour ces deux derniers cas, les premiers choix sont indiqués en troisième colonne (les données relatives à la République dominicaine et à l'Uruguay sont indisponibles).
8 Plus le pays apparaît en foncé, plus la proportion d'informateurs ayant choisi l'Espagne est élevée (les données relatives à la République dominicaine et à l'Uruguay sont indisponibles).
9 Cestero Mancera & Paredes García (2018 : 15) définissent comme suit cette composante affective de la langue : « componente afectivo: sentimientos provenientes de prestigios psicosociales abiertos o encubiertos, que se relacionan con gustos, identidad, solidaridad, lealtad, etc. ».