La constructionnalisation de y compris

Une analyse diachronique

The constructionalization of y compris

A diachronic analysis

Kaoru Kunisue

Tokyo University of Foreign Studies (Tokyo, Japon)

kunisue.kaoru.p0@tufs.ac.jp

Reçu le 30/9/2022, accepté le 16/12/2022, publié le 5/4/2023 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Pour citer cet article

Kunisue, Kaoru 2023. La constructionnalisation de y compris. Une analyse diachronique. Studia linguistica romanica 2023.9, 47-64. https://doi.org/10.25364/19.2023.9.3.

Résumé

L'objectif de cet article est d'examiner, dans une perspective diachronique, l'expansion de l'usage de la locution y compris. Y compris est à l'origine une proposition absolue, ayant un syntagme nominal comme sujet. Cependant, dans l'usage contemporain, y compris peut être suivi par divers éléments, tels que des adverbes, des adjectifs et des propositions. Afin de décrire cette expansion d'usage, nous avons adopté une analyse en diachronie basée sur des données du corpus écrit Frantext. Par l'observation des données, nous constatons que l'expansion d'usage de y compris est caractérisé par une augmentation de la fréquence et une extension contextuelle et fonctionnelle à partir de la période moderne. L'analyse et la discussion montrent que le phénomène observé dans y compris pourrait être expliqué par le concept de constructionnalisation développé par l'approche de la grammaire de construction diachronique.

Abstract

This article aims to examine the increase in use of the phrase y compris from a diachronic perspective. Originally, y compris was an absolute proposition with a nominal phrase as a subject. However, in contemporary usage, y compris can be followed by various elements such as adverbs, adjectives, and propositions. Based on data from the written corpus Frantext, we performed a diachronic analysis to describe this widening of use. The analysis showed that the usage expansion of y compris is characterized by an increase in its total frequency and a contextual and functional extension in the modern period. The analysis and discussion reveal that the phenomena observed in y compris could be explained by the concept of constructionalization developed by the diachronic construction grammar approach.

Sommaire

1 Introduction
2 État de l'art
2.1 Description de la locution y compris
2.2 Question et objectifs de l'étude
3 Corpus et méthode d'analyse
4 Description diachronique de y compris basée sur corpus
4.1 Augmentation de la fréquence d'occurrence de y compris
4.2 Diversification de la propriété syntaxique de l'élément focalisé par y compris
4.3 Diversification des fonctions
5 Discussion
6 Conclusion
Abréviations et références bibliographiques

1 Introduction1

[1] Cette étude se propose d'examiner, dans une perspective diachronique, l'expansion de l'usage de la locution y compris. Y compris est à l'origine un emploi de la proposition absolue du verbe comprendre, mais aujourd'hui, nous observons dans cette locution une variété d'emplois. Dans cette étude, nous voudrions voir comment l'usage de cette locution s'est développé au fil du temps.

[2] Dans ce qui suit, nous effectuons une analyse diachronique dans le but de décrire le processus d'expansion de l'emploi de y compris en s'appuyant sur des données extraites de Frantext. Après une brève présentation des caractéristiques de y compris dans § 2, nous présenterons les corpus et la méthodologie que nous utiliserons (§ 3). Nous montrerons ensuite nos résultats d'analyse (§ 4) et enfin (§ 5) nous tenterons d'expliquer le développement de l'emploi de y compris en utilisant le concept de constructionnalisation développé par les approches de la grammaire de construction diachronique.

2 État de l'art

2.1 Description de la locution y compris

[3] Il existe très peu de recherches qui traitent et mettent au clair l'usage de y compris. Nous commençons donc par décrire les caractéristiques syntaxiques et sémantiques de cette forme.

[4] Grevisse & Goosse (2007 [1936], 2016 [1936]) classent y compris parmi les propositions absolues. Selon Grevisse & Goosse (2016 [1936]), la proposition absolue est constituée d'un sujet et d'un prédicat au participe présent ou au participe passé. Ses fonctions sont diverses : elle peut jouer le rôle d'un complément adverbial dépendant d'un verbe ou d'une proposition adverbiale, le rôle d'un attribut du sujet ou du complément d'objet et le rôle d'une épithète détachée. L'exemple (1) est un exemple typique de la proposition absolue et le (2) présente la proposition absolue dans laquelle y compris est utilisé.

(1)

Grevisse & Goosse 2016 [1936] : 309

DIEU AIDANT2, je vaincrai.

(2)

Grevisse & Goosse 2016 [1936] : 315

Tout le monde était arrivé sur la plage, Y COMPRIS l'homme dont le bateau était là.

[5] Contrairement à la proposition absolue dans l'exemple (1) qui fonctionne comme le complément adverbial de la proposition principale, dans le cas de y compris, la proposition absolue est employée comme une épithète détachée, servant à définir et à déterminer la portée sémantique de la phrase nominale ou du pronom dans la proposition principale que nous appelons hôte. Dans (2) par exemple, la proposition introduite par y compris sert à préciser la portée sémantique de l'hôte tout le monde.

[6] Notons également que le verbe au participe passé, compris, fonctionne comme un attribut du sujet de la proposition absolue. Dans l'exemple (2), compris est un attribut du sujet de la proposition absolue l'homme dont le bateau était là. Selon Grevisse & Goosse (2007 [1936], 2016 [1936]), tant que compris est reconnu comme un attribut, la préposition n'est pas répétée, même lorsque le syntagme nominal qu'elle modifie est accompagné d'une préposition. En (3), son propre mari ne répète pas la préposition par.

(3)

Grevisse & Goosse 2007 [1936] : 299

Carlotta fut blâmée par tous, Y COMPRIS son propre mari.

[7] Cependant l'usage moderne tend à perdre cette valeur en tant que proposition absolue, et le syntagme suivant y compris tend à être conforme syntaxiquement avec l'hôte. Ainsi, la préposition de est répétée en (4), afin de clarifier l'équivalence syntaxique avec l'hôte.

(4)

Grevisse & Goosse 2007 [1936] : 300

Un enfant […] / Abandonné DE tous, Y COMPRIS DE sa mère.

[8] Cette perte de la valeur primitive de y compris a également entraîné une extension de la classe d'élément qui suit. Aujourd'hui, y compris permet de faire suivre non seulement des syntagmes nominaux mais aussi divers éléments tels que les syntagmes prépositionnels, les adverbes, les adjectifs et les propositions conjonctives3.

[9] Piot (2003) nous donne une explication syntaxico-sémantique des éléments reliés par y compris, en s'intéressant exclusivement à l'emploi de y compris pour connecter les constituants en fonction sujet. Elle souligne que y compris relie les mots par le mécanisme de la focalisation. Cette étude, en traitant également d'autres marqueurs ayant la même fonction (seulement, particulièrement, également, même, sauf, outre), décrit les caractéristiques syntaxiques et sémantiques du contexte dans lequel ces marqueurs d'inclusion et d'exclusion apparaissent.

(5)

Piot 2003 : 318

Toutes les eaux ont été bues, (sauf/même/y compris/…) *le beaujolais.

(6)

Piot 2003 : 318

Toutes les eaux ont été bues, (sauf/même/y compris/…) la Contrex.

[10] Les tests syntaxico-sémantiques de Piot (2003) révèlent qu'il existe diverses contraintes dans les énoncés avec y compris. Premièrement, le syntagme nominal de l'énoncé qui précède y compris doit être au pluriel ou un nom collectif qui désigne le paradigme auquel le syntagme suivant y compris appartient. Dans les exemples (5) et (6), le syntagme nominal toutes les eaux englobe la marque d'eau Contrex, mais pas le Beaujolais. Deuxièmement, il existe également des contraintes dans l'identité du syntagme nominal dans l'énoncé qui précède y compris. Le syntagme indiquant un ensemble doit être défini, ainsi, l'article indéfini et les adjectifs de nature indéfinie (quelques, plusieurs) ne peuvent pas être utilisés. Troisièmement, l'énoncé avant et après y compris doit être accompagné du même verbe. Par conséquent, lorsque différents verbes sont utilisés, comme dans l'exemple suivant, il s'agit d'une phrase incorrecte.

(7)

Piot 2003 : 321

*Y compris que Marie a chanté, tout le voisinage a aidé Pierre.

[11] L'étude de Piot (2003) est l'une des rares études qui analyse y compris. Cependant, il est à noter que l'emploi décrit dans cette étude n'est qu'une partie des emplois de y compris. En effet, y compris porte sur des éléments plus divers que des noms en fonction sujet. Dans les exemples (3) et (4), le nom introduit par y compris porte sur un complément d'agent.

[12] Quant à sa signification, les études antérieures ont souligné que y compris exprime une relation d'inclusion (Piot 2003 ; Ashino & de Penanros 2016). Nous pouvons ajouter que, comme les adverbes paradigmatisants (Nølke 1982), y compris présuppose l'existence d'un paradigme composé d'éléments similaires et reprend un ou plusieurs de ces exemples en y ajoutant une signification particulière. Il est à noter que les éléments repris par y compris ne représentent pas un simple élément qui fait partie d'un ensemble mais, dans la plupart des cas, un élément considéré comme marginal, périphérique ou comme dernier à évoquer dans l'ensemble. Par exemple dans (4), l'élément introduit par y compris, sa mère, est la dernière personne à abandonner l'enfant. Dans cet exemple, la phrase introduite par y compris permet en effet d'articuler la situation désespérante de l'enfant. Ce choix de l'élément introduit par y compris est motivé par plusieurs facteurs, tels que connaissances générales, contexte social, facteurs contextuels et pragmatiques.

2.2 Question et objectifs de l'étude

[13] En considérant les caractéristiques de y compris, nous pouvons soulever la question suivante : par quel processus y compris est-il passé de l'usage de proposition absolue à l'usage reliant plusieurs éléments ? Les différents usages et le processus par lequel y compris les a acquis n'ont pas été examinés diachroniquement. Par conséquent, cette étude vise à clarifier le processus d'expansion de l'usage de y compris à travers une analyse diachronique des données attestées dans Frantext. Ces dernières années, un nombre croissant d'études ont examiné les changements linguistiques en menant des études diachroniques sur corpus. En nous référant à ces études, nous voulons montrer que y compris a subi le processus de constructionnalisation développé par les approches de la grammaire de construction diachronique.

3 Corpus et méthode d'analyse

[14] Le but de notre recherche étant d'observer l'évolution de l'emploi de y compris, nous nous intéresserons à un corpus qui offre bon nombre de données permettant d'effectuer une analyse diachronique. Nous utilisons par conséquent la base textuelle Frantext comme corpus de notre étude. Afin d'inclure le plus de données possibles dans l'étude, tous les genres ont été inclus dans la recherche. Y compris est utilisé dans des écrits fictionnels aussi bien que dans des textes non-fictionnels.

[15] Pour ces données, nous avons tout d'abord relevé toutes les occurrences de y compris, incluant les formes au féminin (y comprise et y comprises) et la variante orthographique dans les données préclassiques (y comprins). Ensuite, nous avons enlevé les expressions contenant y compris mais qui ne font pas partie de la cible de notre recherche, telles que j'y compris ou je n'y compris rien. Au total, 2553 occurrences ont été extraites.

[16] Dans l'analyse, nous classons et observons les données du corpus en quatre périodes : préclassique (1550-1649), classique (1650-1799), moderne (1800-1979) et contemporain (1980-aujourd'hui). Cette division est conforme à la classification des données dans Frantext.

[17] L'analyse s'effectue en trois étapes : dans un premier temps, nous observerons la fréquence d'occurrences de y compris par période. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons au changement de la propriété syntaxique de l'élément focalisé par y compris. Et enfin, dans la troisième partie de notre analyse, nous nous intéresserons à l'aspect fonctionnel de l'évolution de y compris.

4 Description diachronique de y compris basée sur corpus

4.1 Augmentation de la fréquence d'occurrence de y compris

[18] Nous montrons d'abord la fréquence de y compris calculée à partir du nombre total de mots constituant le corpus de chaque période. Voici le résultat de cette recherche.

Période

Nbre mots

Occ. y compris

Fréq. par million de mots

Préclassique (1550-1649)

14827775

7

0,472087012

Classique (1650-1799)

43635170

51

1,168781971

Moderne (1800-1979)

150098452

1647

10,97279804

Contemporain (1980-aujourd'hui)

43493885

848

19,49699366

Total

252055282

2553

10,12873041

Tableau 1 : Fréquence de y compris par million de mots

[19] La première utilisation de y compris remonte à la période préclassique, en 1579. Par l'observation de la fréquence de y compris dans chaque période, nous constatons que y compris n'était pas fréquemment utilisé au début de son apparition à la période préclassique. Cependant, sa fréquence a brusquement augmenté à partir de la période moderne. La fréquence de chaque période calculée par million de mots montre qu'à la période moderne, l'utilisation de y compris est environ neuf fois plus fréquente qu'à la période classique. Y compris semble être une locution qui continue à se développer même aujourd'hui, puisque les données contemporaines sont représentées environ deux fois plus que les données modernes.

[20] Ces résultats pourraient apporter un nouvel éclairage à la recherche antérieure sur y compris et sur le verbe comprendre. Picoche (1987), en se basant sur la documentation du TLF, constate que y compris apparaît seulement à partir de l'année 18504. La présente étude a pu inclure un plus grand nombre de données écrites dans l'analyse, obtenant ainsi des usages encore antérieurs à ceux indiqués dans les études précédentes.

[21] Notons également qu'avant l'apparition de y compris en construction absolue, il existait dans les données du moyen français une forme de phrase ayant un verbe copule entre y et compris, comme y est compris. Nous supposons que y compris s'est construit à partir de ces formes détachées, en omettant le verbe copule.

4.2 Diversification de la propriété syntaxique de l'élément focalisé par y compris

[22] Nous verrons maintenant l'évolution de la propriété syntaxique de l'élément focalisé par y compris. Par l'observation des premiers exemples de y compris dans la période préclassique, nous remarquons que la propriété syntaxique de l'élément focalisé par y compris est un syntagme nominal désignant un contenu concret comme les noms topographiques (8), les personnes (9) ou les choses.

(8)

Boisguilbert, Le Détail de la France sous le règne présent, 1, 1695 : 85, Frantext

Tous les droits d'aide, entrées et sorties des grosses villes, passages et travers y compris, […]

(9)

Sans mention d'auteur, Voyage de La Pérouse autour du monde, t. 3, 1797 : 197, Frantext

[…] au lieu de deux cens habitans, y compris les femmes et les enfants, que M De Langle y avait rencontrés en arrivant à une heure et demie, il s'en trouva mille ou douze cents à trois heures.

[23] Ce n'est qu'à partir de la fin du 18e siècle que nous observons des exemples ayant, en tant que focus, des syntagmes nominaux qui désignent une entité abstraite, comme un nom décrivant le temps (10) ou un nom dérivé d'un verbe (11). Toutefois, la majorité des exemples dans cette période tend à focaliser les éléments concrets comme la période précédente. Nous pouvons cependant déduire que la force d'inclusion et le caractère connectif de y compris se sont élargis aux éléments abstraits dans cette période.

(10)

Volney, Voyage en Égypte et en Syrie, t. 2, 1787 : 384, Frantext

Dans le trajet du Kaire à Suez, qui est de 40 à 46 heures (y compris les repos), ils ne mangent ni ne boivent ;

(11)

Staël, De l'Allemagne, t. 4, 1810 : 284, Frantext

Helvétius, Diderot, Saint-Lambert n'ont pas dévié de cette ligne, et ils ont expliqué toutes les actions, y compris le dévouement des martyrs, par l'amour de soi-même.

[24] La propriété syntaxique de l'élément focalisé se diversifie à partir du 18e siècle. Les syntagmes prépositionnels, fonctionnant en tant que complément du verbe, de l'adjectif ou du nom, commencent à être focalisés. Dans (12), le syntagme prépositionnel dans la proposition principale, de toutes les liaisons amoureuses, fonctionne comme complément de blasé. L'élément focalisé de madame Uscariz répète la préposition de afin de clarifier l'équivalence syntaxique avec l'hôte. Les syntagmes prépositionnels sont focalisés également pour se rapporter à des éléments ayant différentes natures syntaxiques. Dans l'exemple (13), dans les pays où n'intervient pas l'émiettement des forces professionnelles porte sur l'adverbe partout.

(12)

Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1815 : 526, Frantext

Mais finalement, il fut blasé de toutes les liaisons amoureuses, y compris de madame Uscariz

(13)

Meynaud, Les Groupes de pression en France, 1958 : 228, Frantext

Le phénomène est de portée générale : on le trouve partout, y compris, dans les pays où n'intervient pas l'émiettement des forces professionnelles.

[25] Par ailleurs, concernant la position de y compris, dans les premiers usages y compris se situe toujours à la périphérie gauche de l'élément focalisé. Nous avons trouvé le premier exemple de la postposition d'y compris en 1734. Cependant, ce n'est qu'à partir de la période moderne que cet usage se propage.

[26] À partir du 20e siècle, nous observons également quelques exemples de y compris focalisant les adverbes comme (14)

(14)

Antelme, L'Espèce humaine, 1947 : 48, Frantext

Il sera prêt à la subordonner toujours - il acceptera, par exemple, qu'on lui dise que la faim est basse - pour se faire pardonner, y compris rétrospective-ment, le temps où il avait pris la place de Dieu.

[27] Puis, vers la fin du 20e siècle, y compris apparaît avec des adjectifs (15), des gérondifs (16) et des propositions conjonctives (17). Le choix des conjonctions est restreint : les propositions construites par si, quand et lorsque, qui fonctionnent comme des compléments circonstanciels et que qui fonctionnent comme complément d'objet sont attestées après y compris.

(15)

Schwartz, Un mathématicien aux prises avec le siècle, 1997 : 176, Frantext

Je lus cependant beaucoup de livres de toute nature, y compris scientifiques.

(16)

Quignard, Le salon du Wurtemberg, 1986 : 303, Frantext

Deuxièmement d'expertiser et de compléter sa collection d'instruments anciens, y compris en achetant lors des ventes internationales les instruments qui présentaient de l'intérêt et de les mener jusqu'à un état de restauration irréprochable.

(17)

Benoziglio, Cabinet portrait, 1980 :131, Frantext

Tu parles, je les connais, les as de la psychologie, y compris quand tu te casses la jambe à ski : […]

[28] Le tableau ci-dessous présente le résultat de l'analyse quantitative sur la propriété syntaxique des éléments focalisés par y compris.

Préclassique (1550-1649)

Classique (1650-1799)

Moderne (1800-1979)

Contemporain (1980-aujourd'hui)

Synt. nominal

7 (100,00 %)

51 (100,00 %)

1557 (94,54 %)

622 (73,35 %)

Synt. prépositionnel

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

72 (4,37 %)

180 (21,23 %)

Infinitif

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

9 (0,55 %)

11 (1,30 %)

Gérondif

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

1 (0,06 %)

4 (0,47 %)

Adjectif

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

7 (0,83 %)

Adverbe

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

1 (0,06 %)

17 (2,00 %)

Proposition conjonctive

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

5 (0,30 %)

7 (0,83 %)

Ambigu, autre

0 (0,00 %)

0 (0,00 %)

2 (0,12 %)

0 (0,00 %)

Tableau 2 : Récapitulatif de l'analyse sur la classe de l'élément focalisé par y compris

Nous observons d'abord que, jusqu'à la période moderne, seuls les syntagmes nominaux sont focalisés. Cela semble naturel étant donné que la locution y compris est à l'origine une proposition absolue, comme nous l'avons vu dans les études précédentes. Dans la période moderne, nous observons une diversification de la propriété des éléments cooccurrents : la préposition représente 4,37 % de l'ensemble des données de cette période. Les verbes conjugués à l'infinitif, le gérondif, les adverbes et les propositions sont également attestés. Dans la période contemporaine, nous observons que la diversification observée dans la période précédente est en progression. La proportion d'exemples avec les syntagmes nominaux diminue, tandis que le taux de cooccurrence des autres propriétés augmente en conséquence. Surtout, les exemples avec les syntagmes prépositionnels représentent plus de 20 % des données de cette période.

4.3 Diversification des fonctions

[29] Pour les fonctions de y compris, nous distinguons deux fonctions différentes dans l'usage d'aujourd'hui. Le premier emploi est un cas observé dans les études antérieures dans lequel y compris est un élément obligatoire pour relier les syntagmes à la proposition principale. Dans (18), l'omission de y compris produira une phrase agrammaticale, y compris est donc un connecteur indispensable pour relier le syntagme les élèves qui est en relation d'apposition avec quarante personnes. Nous remarquons que dans cet emploi (que nous appelons y compris 1), y compris a une fonction strictement explicative, qui est de délimiter l'extension de l'hôte.

(18)

Michelet, Journal, t. 1, 1828-1848, 1848 : 270, Frantext

Quarante personnes en tout, y compris les élèves.

[30] Cependant, en observant les exemples du corpus, nous remarquons que dans l'usage d'aujourd'hui, il existe des exemples ayant une caractéristique plus libre que le premier emploi, y compris 1. Contrairement à l'usage précédent, y compris n'est plus un connecteur indispensable pour relier le syntagme : dans (19), le syntagme qui le suit, sous l'aspect linguistique est syntaxiquement lié à la proposition qui précède, c'est la campagne profonde.

(19)

Sekiguchi, Ce n'est pas un hasard, 2011 : 162, Frantext

Vue de la capitale, Tôhoku a toujours été une périphérie reculée bien que géographiquement proche. Dans l'imaginaire tokyoïte, c'est la campagne profonde, y compris sous l'aspect linguistique : l'accent de Tôhoku est considéré comme l'un des plus difficiles à comprendre.

[31] Ce deuxième emploi (que nous appelons y compris 2) nous évoque la classification de Eggs & McElholm (2013) sur les marqueurs d'exemplification. Cette étude distingue trois types d'usages des marqueurs d'exemplification de l'anglais par un critère syntaxique et fonctionnel : usage exemplifiant (20), usage sélectif (21) et usage argumentatif (22).

(20)

Eggs & McElholm 2013 : 11

Boyce Avenue has played shows with Secondhand Serenade in important venues, FOR EXAMPLE the Hammersmith Apollo.

(21)

Eggs & McElholm 2013 : 11

Boyce Avenue has for example played shows with Secondhand Serenade in the Hammersmith Apollo.

(22)

Eggs & McElholm 2013 : 11

For example Boyce Avenue has played shows with Secondhand Serenade in the Hammersmith Apollo.

[32] Dans leur classification, l'usage sélectif est identique au deuxième emploi de y compris puisque les éléments qui précèdent et suivent for example sont syntaxiquement liés. Sur ce point, Eggs & McElholm (2013) mentionnent que l'usage sélectif des marqueurs d'exemplification fonctionne comme un marqueur discursif. Certes, le deuxième emploi de y compris est plus contraignant au niveau du déplacement de la position qu'un marqueur discursif, mais nous observons que cet usage diffère du premier usage dans le sens où la fonction principale n'est pas de relier les syntagmes avec une relation logique. Dans le deuxième emploi, y compris n'a pas une fonction explicative, mais plutôt une fonction additive.

[33] Nous montrons ci-dessous le résultat de la répartition des deux emplois dans le corpus.

Figure 1 : La répartition des emplois de y compris

La figure 1 montre la répartition des deux emplois de y compris. En observant les données diachroniquement, nous remarquons d'abord que le deuxième emploi n'apparaît qu'après la période moderne. Jusqu'à cette période, tous les exemples d'y compris fonctionnent comme un élément indispensable pour relier des syntagmes qui sont en relation d'apposition. Nous avons trouvé le premier exemple de y compris 2 dans l'exemple qui date de 1815. Toutefois, ce n'est qu'à la fin des années 1900 que l'usage semble s'être largement répandu chez un grand nombre d'écrivains.

[34] Ce changement permet à y compris de devenir syntaxiquement plus libre et d'être utilisé dans des contextes plus variés. La construction dans laquelle apparaît y compris ne nécessite plus des syntagmes ou des contextes désignant un élément ensembliste. L'apparition de ce nouvel emploi peut être la cause de l'augmentation de la fréquence de y compris et la diversification de la propriété syntaxique de l'élément focalisé dans la période moderne et contemporaine.

5 Discussion

[35] Dans y compris, nous avons pu observer des expansions au niveau de la propriété syntaxique de l'élément focalisé et au niveau de la fonction. À la suite de notre analyse, nous considérons que les expansions d'usage observées dans y compris correspondent au concept de la constructionnalisation développé par les approches de la grammaire de construction diachronique. Tout d'abord, nous présentons ce concept tel qu'il est soutenu par Traugott & Trousdale (2013).

[36] Selon Goldberg (1995), la construction est un appariement de forme et de sens dans lequel un aspect de la forme, ou un aspect du sens, ne peut être dérivé de la combinaison des éléments constitutifs. Goldberg (2006) ajoute que même si la signification est entièrement prévisible, les unités linguistiques qui apparaissent avec une fréquence suffisante peuvent être considérées comme des constructions. L'analyse constructionnelle s'intéresse non seulement à des structures syntaxiques régulières mais aussi à des structures syntaxiques idiomatiques ou semi-idiomatiques (Fillmore, Kay & O'Connor 1988).

[37] En s'appuyant sur les recherches de Goldberg (1995, 2006) et de Croft (2001), Traugott & Trousdale (2013) proposent le concept de la constructionnalisation, une approche diachronique de la grammaire de construction. Traugott & Trousdale (2013 : 22) définissent cette notion comme ci-dessous :

Constructionalization is the creation of formnew-meaningnew (combinations of) signs. It forms new type nodes, which have new syntax or morphology and new coded meaning, in the linguistic network of a population of speakers. It is accompanied by changes in degree of schematicity, productivity, and compositionality. The constructionalization of schemas always results from a succession of micro-steps and is therefore gradual. New micro-constructions may likewise be created gradually, but they may also be instantaneous. Gradually created micro-construction tend to be procedural, and instantaneously created micro-constructions tend to be contentful.

[38] La notion de constructionnalisation désigne deux types de changement linguistique. La constructionnalisation lexicale, désigne le processus par lequel deux mots indépendants deviennent un mot composé comme le nom anglais, cupboard. La constructionnalisation grammaticale, quant à elle, désigne le processus par lequel un nom référentiel devient moins référentiel, plus abstrait et procédural. Le quantitatif anglais a lot of illustre ce changement, puisqu'il s'est développé du nom hlot désignant souvent un morceau de bois à une unité grammaticale.

[39] La constructionnalisation grammaticale englobe deux visions différentes sur la grammaticalisation : la grammaticalisation comme réduction et augmentation de dépendance et la grammaticalisation comme expansion. Le premier point de vue interprète la grammaticalisation comme impliquant une augmentation de la dépendance et une réduction de divers aspects de l'expression originale, alors que le deuxième considère la grammaticalisation comme l'expansion sémantico-pragmatique et syntaxique. La fusion des deux concepts ci-dessus permet de faire des phénomènes pragmaticalisés l'objet de considération de la grammaticalisation.

[40] Traugott & Trousdale (2013) caractérisent les changements qui peuvent arriver seulement au niveau formel ou seulement au niveau sémantique, le changement constructionnel. Ils remarquent que la constructionnalisation ne se produit pas brusquement, mais par plusieurs étapes de changement constructionnel : « A constructional change is a change affecting one internal dimension of a construction. It does not involve the creation of a new node » (Traugott & Trousdale 2013 : 26).

[41] Pourtant, la distinction entre constructionnalisation et changement constructionnel a été beaucoup discutée ces dernières années (Börjars, Vincent & Walkden 2015 : 371-374 ; Hilpert 2018 : 26-31 ; Flach 2020 : 46-49 ; Smirnova & Sommerer 2020 : 11-18 ; Diewald, Dekalo & Czicza 2021 : 88-90). Ces études se demandent s'il est possible de déterminer le moment précis de la constructionnalisation et du changement constructionnel5.

[42] Dans notre étude, nous utilisons le terme de constructionnalisation en nous appuyant notamment sur la définition proposée par Diewald, Dekalo & Czicza (2021). À travers une analyse quantitative, cette dernière étude montre que l'apparition d'une nouvelle connexion d'une forme (nouvelle ou ancienne) et d'un sens (nouveau ou ancien) constitue une constructionnalisation :

[…] the only correct definition of "constructionalization", i.e. the coming into existence of a new sign, can be that it is a new connection of a form and a meaning (both of which may have been components of different signs before, i.e. both of which may be "old"). (Diewald, Dekalo & Czicza 2021 : 89)

[43] Nous considérons que la locution y compris résulte d'une constructionnalisation grammaticale. La locution y compris est à l'origine une proposition absolue dans laquelle seuls les syntagmes nominaux peuvent être focalisés. Nous avons vu qu'à partir de la période moderne, la propriété syntaxique de l'élément focalisé se diversifie en gardant toujours sa fonction de connecteur indispensable pour relier le syntagme. À la fin de la période moderne, nous observons un nouvel emploi de y compris fonctionnant comme marqueur.

[44] Il est vrai que le sens procédural de y compris qui est de relier les syntagmes avec une relation d'inclusion est un sens dérivé du verbe comprendre. Cependant, nous constatons à travers les exemples dans lesquels y compris relie les éléments autres que les syntagmes nominaux, que leur portée syntaxique dépasse celle du verbe comprendre : le verbe comprendre, au sens d'inclure, peut seulement relier les syntagmes nominaux. Nous considérons que la construction y compris va de pair avec la fonction de relier les éléments par une relation d'inclusion, entièrement prévisible, mais plus abstraite et plus procédurale que le verbe comprendre.

[45] Le processus de l'expansion que nous avons observé dans l'analyse est récapitulé dans le tableau ci-dessous.

Les emplois

Les propriétés syntaxiques de l'élément focalisé

Les fonctions

La proposition absolue

Les syntagmes nominaux

explicative

Y compris 1

Les syntagmes nominaux
Les syntagmes prépositionnels
Les verbes à l'infinitif
Les adjectifs
Les adverbes
Les propositions conjonctives

explicative

Y compris 2

Les syntagmes prépositionnels
Les gérondifs
Les propositions conjonctives

additive

Tableau 3 : Le processus de l'expansion de y compris

[46] Concernant la grammaticalisation, Himmelmann (2004) distingue trois types d'expansion : l'expansion au niveau de la classe des éléments reliés, au niveau syntaxique et au niveau sémantico-pragmatique. Notre analyse quantitative et qualitative montre bien que la propriété des éléments reliés par la locution y compris s'élargit en entraînant une extension fonctionnelle. Cette augmentation de la productivité et l'extension contextuelle et fonctionnelle est une des caractéristiques de la constructionnalisation.

[47] Nous pouvons également constater que y compris est devenu une construction par le changement de la structure syntaxique. Comme dans (23), lorsque y compris focalise un syntagme nominal, le sujet de la proposition absolue la vertu et le participe passé compris garde sa relation sujet-attribut. Cependant, dans l'exemple (24) lorsqu'il focalise un syntagme prépositionnel, la relation entre compris et l'élément focalisé n'est plus interprétable par une relation sujet-attribut.

(23)

Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, t. 1, 1817 : 90, Frantext

on lui croyait des talents supérieurs, parce qu'il traitait légèrement les choses les plus sérieuses, y compris la vertu.

(24)

Schwartz, Un mathématicien aux prises avec le siècle, 1997 : 94, Frantext

On les enseigne aujourd'hui partout, y compris dans les lycées.

[48] Dans ce deuxième cas, y compris ne peut plus être décomposé en partie, mais doit être considéré comme une construction qui relie divers éléments avec une relation d'inclusion.

[49] Il est à noter que lorsque nous observons synchroniquement l'usage moderne de y compris, nous trouvons tous les emplois de y compris observés diachroniquement. Cette diversité synchronique nous évoque un des cinq principes de grammaticalisation proposé par Hopper (1991 : 22), layering, désignant le fait que les emplois plus anciens ne sont pas nécessairement éliminés, mais peuvent coexister et interagir avec les nouveaux emplois qui apparaissent continuellement.

6 Conclusion

[50] À partir d'une analyse diachronique basée sur des données réelles attestées dans Frantext, nous avons étudié l'évolution de l'usage de la locution y compris. Nous avons pu observer que la fréquence d'utilisation de y compris a brusquement augmenté à la période moderne. De plus, la propriété syntaxique de l'élément focalisé commence à se diversifier à la période moderne. Cette tendance s'est intensifiée à la période contemporaine. Au niveau de la fonction, à partir de la période moderne, un nouvel emploi de y compris, qui est une fonction semblable à un marqueur, apparaît. Les phénomènes observés dans l'analyse pourraient s'expliquer par le concept de constructionnalisation.

[51] Dans cette étude nous nous sommes intéressés exclusivement à l'évolution de la locution y compris. Il serait maintenant intéressant de le comparer avec d'autres marqueurs ayant des fonctions semblables à y compris. Notons que y compris se développe d'une manière différente de l'antonyme excepté. Dans notre brève recherche sur Frantext, les premiers exemples d'excepté utilisé en tant que proposition absolue sont attestés dans les années 1300 avec une fréquence élevée. Pourtant, contrairement à y compris, la fréquence d'utilisation d'excepté est en voie de diminution aujourd'hui. Une analyse diachronique plus détaillée sur les synonymes et les antonymes mettra au clair si nous pouvons généraliser le phénomène observé dans cette étude. Nous voudrions aborder ce sujet dans une prochaine étude.

Abréviations et références bibliographiques

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1 Nous avons bénéficié du soutien financier du Establishment of university fellowships towards the creation of science technology innovation (JPMJFS2110).

2 Les capitales sont des auteurs, nous soulignons en italique. Il en va de même pour les exemples qui suivent.

3 Dans une étude contrastive entre y compris et le synonyme anglais including, Uchida (2004 : 528) conclut ainsi : « […] the combination 'y compris + prepositional phrase' is employed more freely than is the case with including. »

4 Pourtant, Picoche (1987 : 380) note qu'« il se pourrait que ce soit par hasard que la locution y compris, d'allure archaïque, ne figure sur notre listing qu'à partir de 1850 ». Dans son analyse, elle pouvait inclure peu de données avant 1900.

5 En reflétant les critiques et les études récentes, Traugott (2022 : 45-51) propose une définition plus flexible de la constructionnalisation et du changement constructionnel.