Compte rendu

Marc Duval 2021. Court de Gébelin, vocabulaire comtois et lorrain. Attribution, édition et analyse linguistique. Strasbourg : ELiPhi

Book review

Marc Duval 2021. Court de Gébelin, vocabulaire comtois et lorrain. Attribution, édition et analyse linguistique. Strasbourg: ELiPhi

Myriam Bergeron-Maguire

Université Sorbonne Nouvelle (Paris, France)

myriam.bergeron-maguire@sorbonne-nouvelle.fr

orcid.org/0000-0003-0014-9297

Reçu le 23/7/2022, accepté le 15/8/2022, publié le 5/4/2023 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Pour citer ce compte rendu

Bergeron-Maguire, Myriam 2023. Compte rendu. Marc Duval 2021. Court de Gébelin, vocabulaire comtois et lorrain. Attribution, édition et analyse linguistique. Strasbourg : ELiPhi. Studia linguistica romanica 2023.9, 126-128. https://doi.org/10.25364/19.2023.9.7.

[1] Il faut remercier Marc Duval d'avoir édité dans ce volume le Vocabulaire des termes des patois de Lorraine, de Franche-Comté et de Bourgogne, avec quelques remarques sur ces divers jargons, par Court de Gebelin (env. 1770), remédiant ainsi aux problèmes d'accessibilité de ce précieux témoignage conservé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. L'ouvrage, préfacé par Pierre Rézeau, s'ouvre sur une introduction contenant une présentation de la source examinée : d'une longueur de 14 pages, le Vocabulaire contient près de 600 diatopismes glosés, dont plusieurs sont pourvus d'une étiquette géolinguistique (B pour bourguignon, C pour comtois ou L pour lorrain). Ce sont ensuite les sources sur lesquelles s'appuie Court de Gébelin pour la confection de son Vocabulaire qui sont présentées en deuxième partie : l'auteur s'est largement fondé sur un essai qui était demeuré inédit de l'abbé Nicolas-Sylvestre Bergier visant à « retrouver les racines primitives et universelles des langues » (p. 7). Suit ensuite dans le troisième chapitre l'édition du glossaire, un répertoire minimaliste auquel Marc Duval ajoute des renvois au FEW (où les types lexicaux se trouvent rangés ou lorsqu'ils en sont absents, où ils devraient l'être), aux atlas linguistiques couvrant la zone étudiée (ALB, ALF, ALFC et ALLR) et à quelques autres sources ponctuelles telles que les mémoires inédits de Lucien Adam, consultés à la bibliothèque municipale de Nancy, ou les Mémoires sur la langue celtique (1754-1760) de Jean-Baptiste Bullet comportant environ 800 mots bourguignons, franc-comtois ou lorrains. Marc Duval s'est d'ailleurs efforcé d'éditer et de mettre à disposition de son lectorat cette sélection de 800 entrées en annexe à la fin de son ouvrage. C'est sur ce travail de recensement bibliographique pour chacune des entrées du glossaire que s'appuie ensuite, dans le chapitre 4, la localisation du lexique (bourguignonne dans une moindre mesure, lorraine et surtout franc-comtoise), proposée par l'auteur au quatrième chapitre (pp. 127-133).

[2] Si la source minutieusement éditée concerne au premier rang les patois franc-comtois, lorrains et bourguignons, le français (régional) n'est pas en reste, augmentant son intérêt pour les spécialistes de l'histoire du français et de sa variation, notamment diatopique : l'intensifieur gros dans le syntagme gros beau 'très beau' (p. 7), les types lexicaux armotte f. 'petite âme, enfant' (p. 24), clanche f. 'loquet d'une porte' (p. 42), darbon m. 'taupe' (p. 48), pive f. 'cône de sapin' (p. 91), etc. En outre, le travail de Court de Gébelin est d'abord de nature lexicale, mais contient aussi de nombreux éléments de description en lien avec la grammaire : morphologie nominale (suffixe diminutif -at, -et, -ot, p. 7), morphologie pronominale (-i, , -ai, 3e personne du singulier, p. 7), morphologie verbale (paradigme du verbe être, p. 19 ; -tor, morphème aspectuel de l'imparfait, p. 116), etc. Il s'agit là d'un apport important, compte tenu du peu de documentation dont on dispose pour la grammaire des dialectes au 18e siècle, contrairement à leur lexique relativement bien connu.

[3] Le cinquième chapitre intitulé Interprétation phonétique de la graphie représente une partie volumineuse de l'ouvrage. Y sont présentées des hypothèses concernant les graphies francisantes employées par Court de Gébelin pour transposer l'oralité dialectale cible ; Marc Duval s'appuie principalement sur les données dialectales modernes pour l'interprétation. Lorsque les matériaux des atlas régionaux sont ambigus ou ne suffisent pas (par ex. p. 157 pour l'interprétation de la graphie au), l'analyse tire parti de tous les témoignages disponibles, des grammairiens des 17e et 18e siècles (Jean Hindret, Laurent Chiflet, etc.) aux enquêtes effectuées par des linguistes du 20e siècle (Martinet 1945 ; Walter 1982). Même s'il est parfois contraint à n'émettre que des hypothèses à propos de certaines graphies, notamment en se fondant sur la régularité des évolutions phonétiques – qui connaissent, on le sait, des exceptions en nombre – on admire la méthode prudente et rigoureuse appliquée par Marc Duval.

[4] Le sixième chapitre, Observations sur le lexique, propose une synthèse permettant de se faire une idée des lexèmes régionaux attestés en dehors du domaine nord-oriental (hin m. 'hameçon', p. 174, connu aussi sous la variante graphique haim dans les provinces maritimes du Canada et aux Antilles), attestés pour la première fois (orcheveau m. 'puits, trou', p. 174) ou remplacés ultérieurement par des formes françaises (quemotte f. 'pomme', p. 174).

[5] Le septième chapitre, qui fait trois pages, porte sur l'accueil sceptique réservé à l'œuvre de Court de Gébelin par ses contemporains, ce qui explique que celle-ci n'ait pas été exploitée lors des grands dépouillements des glossaires dialectaux effectués pour le FEW. Le volume se clôt par une quantité importante d'annexes : une longue liste de références bibliographiques, quelques cartes schématiques, d'impressionnantes cartes dialectales en couleurs, une édition du glossaire de Jean-Baptiste Bullet, l'édition d'une lettre de Court de Gébelin adressée à Jérôme-Jacques Oberlin, professeur à l'Université de Strasbourg vers la fin du 18e siècle, et un index des étymons facilitant la consultation de l'ouvrage. Nul doute que ce riche volume rendra bien des services aux spécialistes des dialectes galloromans nord-orientaux, mais également aux historiens du lexique régional du français.

Abréviations et références bibliographiques

ALB = Gérard Taverdet 1975-1984. Atlas linguistique et ethnographique de la Bourgogne. Paris : Éditions du Centre national de la recherche scientifique.

ALF = Jules Gilliéron, Edmond Edmont 1902-1910. Atlas linguistique de la France. Paris : Champion. http://lig-tdcge.imag.fr/cartodialect5.

ALFC = Colette Dondaine, Lucien Dondaine 1972-1991. Atlas linguistique et ethnographique de la Franche-Comté. Paris : Éditions du Centre national de la recherche scientifique.

ALLR = Jean Lanher, Alain Litaize, Jean Richard 1979-1988. Atlas linguistique et ethnographique de la Lorraine romane. Paris : Éditions du Centre national de la recherche scientifique.

FEW = Walther von Wartburg et al. 1928-2002. Französisches etymologisches Wörterbuch: eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes. Bonn, Basel, Leipzig : Helbing & Lichtenhahn, Klopp, Teubner, Zbinden.

Martinet 1945 = André Martinet 1945. La prononciation du français contemporain. Témoignages recueillis en 1941 dans un camp d'officiers prisonniers. Paris : Droz.

Walter 1982 = Henriette Walter 1982. Enquête phonologique et variétés régionales du français. Paris : Presses universitaires de France.