Compte rendu

Estèle Dupuy, Victor Millogo, Marie-Hélène Lay (éds.) 2020. La continuité référentielle ou le choix des mots dans les textes français et anglais. Rennes : Presses universitaires de Rennes

Book review

Estèle Dupuy, Victor Millogo, Marie-Hélène Lay (eds.) 2020. La continuité référentielle ou le choix des mots dans les textes français et anglais. Rennes : Presses universitaires de Rennes

Yaiza I. Hernández Muñoz

Universidad Complutense de Madrid (Madrid, Espagne)

yahernan@ucm.es

Reçu le 6/9/2021, accepté le 25/10/2021, publié le 8/4/2022 selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Pour citer cet article

Hernández Muñoz, Yaiza I. 2022. Compte rendu. Estèle Dupuy, Victor Millogo, Marie-Hélène Lay (éds.) 2020. La continuité référentielle ou le choix des mots dans les textes français et anglais. Rennes : Presses universitaires de Rennes. Studia linguistica romanica 2022.7, 141-145. https://doi.org/10.25364/19.2022.7.7.

[1] La continuité référentielle ou le choix des mots dans les textes français et anglais est un ouvrage collectif publié sous la direction d'Estèle Dupuy, Victor Millogo et Marie-Hélène Lay dont l'objectif est de s'interroger sur la notion de continuité référentielle et sur les processus linguistiques et psychologiques sous-jacents à son fonctionnement. Il s'agit d'une étude qui se veut complète grâce aux différentes contributions qui abordent le sujet dans une perspective sociohistorique et diachronique, mais également dans une perspective contemporaine et synchronique permettant au lecteur une compréhension holistique du sujet. Les recherches dans le domaine de la référence, qui ont précédé celles sur la continuité référentielle, ont commencé dans les années soixante. Parmi les travaux fondateurs, nous pouvons mentionner ceux de Benveniste (1966) et de Tesnière (1959). L'un des auteurs qui a le plus travaillé en France sur l'anaphore est Georges Kleiber (voir par exemple Kleiber 1981, 1990, 1994). L'un des apports majeurs de cet auteur a été la définition de l'anaphore associative (Kleiber 2001). D'autres auteurs de référence dans le domaine français sont Milner (1982) ou Corblin (1987). Les réflexions de ces auteurs ont alimenté bien d'autres travaux depuis plus d'une cinquantaine d'années. La continuité référentielle, comme évoqué dans l'introduction, est un sujet qui peut être abordé sous l'angle linguistique, psycholinguistique ou didactique et étudié également à différents niveaux : soit à un niveau infra-textuel, avec la description et l'identification des éléments linguistiques qui permettent la mise en relation référentielle (étude de paradigmes référentiels, de binômes presque synonymiques ou non…) ; soit au niveau textuel, grâce à l'étude des anaphores ou des processus de cataphore. L'introduction présente un parcours temporel des avancées dans le domaine de la référence depuis les années soixante jusqu'à nos jours. Les années soixante-dix marquent le début d'un nouvel intérêt pour la façon dont l'information référentielle se construit à travers le texte ou le discours, tout comme pour les processus cognitifs qui assurent les liens référentiels afin que le locuteur puisse construire une continuité référentielle. Dans les années quatre-vingt la perspective scientifique change : l'expression référentielle est envisagée en tant qu'unité faisant partie d'un ensemble et d'un chaînage. Une décennie plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, les recherches se centrent sur les chaînes anaphoriques et les chaines de référence qui rendent possible la création de modèles de représentation de la succession ou de l'enchainement de ces expressions. Dans les années 2000, les chercheurs se penchent sur le rôle de la sémantique verbale et sur sa relation avec le concept de chaînage et de chaîne anaphorique.

[2] Cet ouvrage, issu de la rencontre scientifique autour de la continuité référentielle qui a eu lieu en octobre 2015 à l'Université de Poitiers, apporte de la lumière sur un sujet central qui suscite un grand intérêt dans un éventail pluridisciplinaire qui touche à la linguistique, la didactique ou la psycholinguistique. Nombre d'études de cet ouvrage ont bénéficié des avancées technologiques dans le domaine de l'informatique, grâce à l'utilisation des grands corpus de données qui ont permis de repenser les approches méthodologiques ou d'en créer de nouvelles, et grâce aussi à une étude contrastive en langue française et anglaise qui contribue à enrichir l'ouvrage. Cependant, les éditeurs n'oublient pas de rappeler que malgré l'avancement des technologies dans le domaine de la continuité référentielle, il reste encore un grand travail humain à faire, ce qui rend la tâche encore difficile, spécialement sur les travaux portant sur l'ancien français. Le choix d'inclure le français et l'anglais repose sur l'intérêt d'observer les similitudes et les différences quant au fonctionnement des processus de continuité référentielle surtout à une période, le 14e et le 15e siècle, où les échanges entre ces deux langues sont spécialement importants, l'anglo-normand étant la variante du français médiéval instaurée sur le territoire britannique. Ces échanges sont importants encore aujourd'hui et leur description et originalité constitue l'un des objectifs et des nouveautés de cet ouvrage, tout comme l'intérêt d'apporter de nouveaux éclairages sur les procédés linguistiques qui permettent d'assurer la suite de la continuité référentielle au niveau théorique et empirique.

[3] Cet ouvrage présente une structure en trois parties : L'élucidation référentielle ; Le choix des expressions référentielles au sein de la chaîne anaphorique ; et Mécanismes structurants de la continuité référentielle et implications. Chacune de ces parties est précédée d'un aperçu des contributions que l'on trouve dans chaque partie, ce qui permettra au lecteur de faire le lien entre ces différentes contributions au sein d'un seul axe thématique. Finalement, ce volume se complète avec une introduction et une section de bilan et perspectives, qui précède les résumés en anglais et en français de chaque article.

[4] La première partie L'élucidation référentielle compte six contributions qui analysent le fonctionnement référentiel sous plusieurs angles en se basant sur des corpus de nature différente. Il s'agit de la seule partie où il y a des articles traitant de la langue anglaise : deux articles utilisent des corpus de français, deux d'anglais et deux en font la comparaison. Il y a deux contributions qui étudient la langue ancienne et quatre la langue contemporaine.

[5] Cette première partie s'ouvre avec le travail de Richard Ingham Choix des mots, choix des langues : contacts linguistiques en Angleterre médiévale, une étude sur le choix communicatif dans l'Angleterre médiévale qui requiert, pour les Anglais bilingues, une maîtrise de systèmes grammaticaux de l'anglais et de l'anglo-normand et où l'auteur se centrera sur l'emploi de la continuité référentielle et l'expression du sujet pronominal. Ensuite, le chapitre de Karine Moreau-Guibert Symylitude eiþer liknes. Étude des réitérations lexicales dans les binômes synonymiques de la compilation religieuse en moyen anglais Pore Caitif est une étude diachronique sur la langue anglaise des 14e et 15e siècles qui analyse les particularités du traité religieux Pore Caitif, notamment en ce qui concerne les « nombreuses et régulières réitérations lexicales juxtaposés » (p. 39). Dans cette même partie, le travail d'Héloise Lechevallier-Parent Généricité nominale, dénotation et dénomination d'espèce en anglais contemporain aborde en synchronie la question des syntagmes nominaux génériques en anglais, en proposant une définition du terme espèce (kind en anglais) afin de montrer le rôle essentiel de ce type de syntagmes dans la continuité référentielle. Le chapitre suivant Élucidation du lexique spécialisé et chaînes de référence dans les romans historiques pour la jeunesse, de Séverine Abiker, analyse un corpus de textes du genre roman historique pour la jeunesse en français contemporain afin de décrire la disposition et la sélection des maillons nominaux sur la chaîne référentielle. Pour revenir à la comparaison de l'anglais et du français, Silvia Adler propose ensuite l'étude Continuité référentielle dans le langage médiatique écrit français et anglais : Le cas du nom général situation, où elle analyse le fonctionnement référentiel du nom général situation dans un corpus médiatique en langue française et anglaise (britannique et américaine). Pour finir cette section, Mélynda Daval aborde le mécanisme de catégorisation de l'anaphore résomptive en français contemporain. L'auteure s'intéresse aux finalités pragmatiques de la recatégorisation et à l'utilisation des ressources lexicales en contexte.

[6] La deuxième partie de l'ouvrage Le choix des expressions référentielles au sein de la chaîne anaphorique comprend quatre travaux. Dans cette partie toutes les contributions portent sur le français, aussi bien en synchronie qu'en diachronie.

[7] Le travail de Lene Schøsler Le rapport entre continuité référentielle et expression du sujet envisagé dans une perspective diasystématique ouvre la deuxième partie. Il s'agit d'une étude diachronique sur les liens entre continuité référentielle et expression du sujet en français aux 14e et 15e siècles. L'auteure met en évidence l'importance de certains facteurs liés à la situation de communication pour analyser l'expression du sujet. Ce travail et la contribution présentée par Richard Ingham dans la première partie de cet ouvrage permettra au lecteur d'avoir une vision complète de l'expression du sujet pronominal. Daniela Capin et Pierre Larrivée s'interrogent également sur le sujet, dans ce cas sur la disparition du sujet nul dans les textes législatifs en ancien français, ce qui conduirait à une modification du potentiel anaphorique de celui-ci. De son côté, Stéphanie Gobet se penche sur le maintien de la référence dans des textes écrits d'enfants sourds. L'auteure analyse le fonctionnement de l'écriture Pi sourde, soit un écrit empreint de marques linguistiques de la langue des signes, qui pourrait être envisagée comme une interlangue. Dans le dernier article de la deuxième partie, Victor Millogo adopte une approche psycho-cognitive pour étudier le choix des expressions référentielles et leurs coûts cognitifs dans des productions écrites d'élèves du cours élémentaire 2e année et du cours moyen 2e année.

[8] La troisième et dernière partie de l'ouvrage Mécanismes structurants de la continuité référentielle et implications comprend trois travaux qui ne portent que sur le français en diachronie. Tout d'abord, Marta Saiz-Sánchez s'interroge sur le statut d'anaphorique des marqueurs ouy/nenny et des expressions de type si ferai je, non est il, si a, non fait en Moyen français. Bien que ces marqueurs aient souvent été considérés comme des anaphoriques, certains enchaînements laissent à penser que la définition d'anaphorique devrait être repensée. La contribution de Mathieu Goux porte sur les phénomènes linguistiques qui ont lieu après les ajouts des locuteurs suite à une ponctuation forte comme le point. L'auteur porte un intérêt particulier aux pronoms relatifs et à leurs mécanismes référentiels. L'article d'Estèle Dupuy La continuité référentielle comme élément d'identification de l'oral représenté : le cas des lettres autographes de Commynes clôt la troisième partie. Il s'agit d'une étude en diachronie où l'auteure confronte un discours relevant de l'oral représenté extrait d'un corpus littéraire du moyen français et les lettres diplomatiques de Commynes (15e siècle) afin d'étudier le fonctionnement de la continuité référentielle et de définir le milieu discursif de ces lettres diplomatiques de Commynes.

[9] Cet ouvrage permet d'apporter de la lumière et de faciliter les échanges entre des experts de divers horizons sur le sujet de la continuité référentielle, tout en rapprochant des disciplines diverses comme la didactique, la syntaxe historique, la pragmatique ou la psycholinguistique. Cet échange permet d'avoir une vision plus riche et holistique du sujet abordé. À cette richesse contribue aussi l'étude de l'anglais et du français, ce qui permet de tisser des liens entre les deux langues surtout à des périodes de contact étroit, comme c'était le cas aux 14e et 15e siècles, dont l'influence se prolonge encore aujourd'hui. Pour le lecteur, la structure de l'ouvrage permet un repérage facile, notamment grâce aux aperçus de contenu disponibles au début de chaque axe thématique. L'ouvrage invitera au lecteur à une réflexion du sujet allant d'une approche diachronique à une approche synchronique ce qui permettra d'avoir une vision d'ensemble, un aspect à nos yeux nécessaire afin de mieux comprendre les enjeux de la continuité référentielle. Finalement, l'ensemble de ces contributions et de ces échanges ont donné lieu à d'autres interrogations comme l'importance d'explorer la possibilité d'une grammaire descriptive des processus de continuité référentielle et de construction du sens en discours, comme évoqué dans le bilan de l'ouvrage.

Références bibliographiques

Benveniste 1966 = Émile Benveniste 1966. Problèmes de linguistique générale. Vol. 1. Paris : Gallimard.

Corblin 1987 = Francis Corblin 1987. Indéfini, défini et démonstratif. Constructions linguistiques de la référence. Genève : Droz.

Kleiber 1981 = Georges Kleiber 1981. Problèmes de référence. Descriptions définies et noms propres. Paris : Klincksieck.

Kleiber 1990 = Georges Kleiber 1990. La sémantique du prototype. Catégories et sens lexical. Paris : Presses universitaires de France.

Kleiber 1994 = Georges Kleiber 1994. Anaphores et pronoms. Louvain-la-Neuve : Duculot.

Kleiber 2001 = Georges Kleiber 2001. L'anaphore associative. Paris : Presses universitaires de France.

Milner 1982 = Jean-Claude Milner 1982. Ordres et raisons de langue. Paris : Éditions du Seuil.

Tesnière 1959 = Lucien Tesnière 1959. Éléments de syntaxe structurale. Paris : Klincksieck.